Je crois avoir rêvé lorsque j’ouvre les yeux après avoir passé une nuit reposante. Non, je ne fabule pas, je suis bien ici, en Antarctique. J’essaie de me convaincre que je suis tout à fait adaptée à mon environnement. La première étape consiste à me sentir en harmonie avec le froid. Il fait seulement -13 °C, mais à chaque début d’aventure, je suis assez frileuse. Je n’ai pas toujours le courage de sortir rapidement de mon sac de couchage. Je n’hésite pas à mettre toutes mes couches de vêtements à la minute où mon alarme se déclenche. De cette manière, je ne laisse pas le doute s’installer en moi et, peu importe le froid qu’il fait, je n’ai pas le choix de me lever. Habituellement, ça fonctionne assez bien.

Mon horaire est assez simple, je prendrai 2 h 30 pour chauffer l’eau requise pour la journée sur mon réchaud, déjeuner, boire un café, plier ma tente et mettre mes skis. Plus je fais preuve de rigueur avec mon horaire, plus j’arrive à ne pas perdre de temps. Quelques minutes de retard, chaque matin, peuvent me faire perdre des heures et des dizaines de kilomètres sur la distance totale. La luminosité extérieure n’a pas changé, le vent est toujours aussi calme.

PHOTO FOURNIE PAR CAROLINE CÔTÉ

Caroline Côté

Ce sont d’excellentes conditions pour un départ. J’appelle l’équipe de communication du camp de base : « Hey. Hi. This is Caro. Je vais partir dans les prochaines minutes, je vous envoie mes coordonnées par message alors vous devriez les recevoir bientôt. » De cette manière, un message a été enregistré à Antarctic Logistic Expeditions pour mon départ officiel. Il est 8 h 32 : je commence le défi. Terrorisée à l’idée de donner le premier coup de ski et d’échouer, je concentre mon énergie en m’inspirant des propos de Laurie Anderson, une artiste expérimentale et musicienne américaine :

À chaque pas, vous tombez légèrement en avant.

Et puis, vous vous rattrapez en tombant.

Encore et encore, vous tombez.

Et puis, vous vous rattrapez en tombant.

Et c’est comme ça que vous pouvez marcher et tomber.

En même temps.

Laurie Anderson, Walking & Falling, 1982.

Je comprends ainsi que tout devrait se passer naturellement et rentrer dans l’ordre des choses. Peut-être que je me complique trop la vie et que je me mets trop de pression sans aucune raison. L’idée de tomber ou de commettre des erreurs devrait devenir naturelle en moi. Pourquoi en avoir peur ? Je crois que nous craignons tous d’être vraiment seuls dans l’univers et c’est ce dont je me rends compte. Mon ski glisse vers l’avant. Ça y est ! Je suis en plein mouvement et rien ne peut plus m’arrêter. Je me sens soudainement remplie d’une confiance de fer et de glace.