Reconnu avant tout pour ses performances sur piste et en cross-country, Thomas Fafard sait depuis longtemps qu’il passera un jour sur la route.

Tourner en rond sur un ovale de 400 mètres et gambader dans la pampa, soit, mais rien ne bat à ses yeux une épreuve de masse avec le grand public.

« J’ai commencé par les courses sur route et j’ai toujours aimé l’ambiance », résume l’athlète de 25 ans, médaillé sur 5000 m aux trois derniers Championnats canadiens sur piste. « Ce sont toujours des évènements spéciaux. Avec les années, j’ai délaissé la route pour me concentrer sur la piste, mais je pense que je suis vraiment fait pour courir sur la route. »

Cette impression s’est confirmée dimanche alors que Fafard a pris part à son tout premier demi-marathon, à Houston. Résultat : explosion du record du Québec et intégration du top 10 du palmarès canadien de tous les temps, au septième rang.

« Je ne peux pas vraiment demander mieux ! a réagi l’athlète de Repentigny au lendemain de son coup d’éclat. Comme première expérience sur la distance, c’était parfait. »

Son temps : 1 h 02 min 19 s, soit près de deux minutes de moins que le record précédent, établi par le regretté Philippe Laheurte en 1989.

Surpris ? Pas vraiment, a assuré Fafard, un protégé de l’entraîneur Félix-Antoine Lapointe : « Ça fait trois, quatre semaines que je dis à Félix que j’ai l’impression que je vais courir vite. J’étais certain de faire 62 minutes. »

PHOTO FOURNIE PAR LA BOUTIQUE ENDURANCE

Thomas Fafard

Le coach lui a conseillé de modérer ses attentes pour son initiation au 21,1 km. Sous les 63 minutes, ce serait déjà très bien.

Fafard l’a plus ou moins écouté… Posté sur le bord du parcours, Lapointe a haussé les sourcils quand il l’a vu friser les 29 minutes après 10 km, déjà son meilleur chrono sur la distance par une bonne marge. Là, il lui restait 11,1 km à franchir…

« Je m’étais engagé, je devais survivre jusqu’à la fin, a relaté le coureur. Il était trop tard pour penser à ralentir. Tu es là, vis avec. »

Heureusement, le groupe de tête s’est scindé en deux. Le Québécois a accroché le plus lent. Quand même, parmi ses trois compagnons de route se trouvait Galen Rupp, grande vedette américaine de la course de fond. Le double médaillé olympique (10 000 m et marathon) tentera de se qualifier pour ses cinquièmes Jeux olympiques, le 3 février.

Si lui était là, c’était bon en masse pour moi ! Je suis resté derrière lui et j’ai mis mon cerveau à off. Je le vois courir depuis que je suis jeune.

Thomas Fafard, au sujet de sa course auprès de Galen Rupp

« Juste d’être à côté de lui et de lui faire la course, si on veut, ça m’a donné une motivation supplémentaire », ajoute le coureur.

Un vent de face est venu compliquer la situation dans la dernière portion, où il s’est retrouvé seul avec l’Américain de 37 ans. Il s’est rangé derrière lui.

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Galen Rupp et Thomas Fafard sur le parcours

« T’a-t-il demandé de passer ?

— On a alterné peut-être deux fois, mais c’était mon premier demi-marathon et j’étais déjà plus vite que les attentes. J’ai comme eu peur de la distance. Si je vais en avant et que je pousse le pace dans le vent, est-ce que ça va me casser ? Je me suis dit : « Le gars a un record personnel de 59 minutes, il est en forme, il a déjà couru 2 h 06 au marathon, je n’ai pas d’affaire à l’aider ! » »

Il a lâché Rupp avec deux kilomètres à faire, en route vers la 12e place, à une minute et demie du gagnant, l’Éthiopien Jemal Yimer. Une sacrée entrée en matière.

Le véritable objectif

Fafard portait une camisole du club Endurance, boutique de course à pied cofondée par Philippe Laheurte, qui a péri à l’âge de 34 ans quand une voiture qui fuyait la police a embouti celle dans laquelle il se trouvait. C’est le propriétaire d’Endurance, l’athlète olympique Pierre Léveillé, qui lui a proposé de l’endosser en mémoire de son ami. En échange, il assumait le prix de son vol pour Houston. Le record lui vaudra deux autres billets d’avion ou un montant d’argent.

Avec une deuxième moitié de parcours en un peu plus de 33 minutes, Fafard constate qu’il aurait eu avantage à mieux moduler ses efforts.

Il est plus stimulé que jamais en vue de son véritable objectif depuis longtemps : le marathon. Déjà, le record québécois d’Alain Bordeleau (2 h 14 min 19 s) paraît plus en danger que jamais 40 ans après sa réalisation.

« C’est sûr que courir un demi-marathon en 62 minutes, c’est très encourageant en vue de la transition vers le marathon, mais ça ne veut pas tout dire non plus », a prévenu Fafard, rappelant que plusieurs coureurs d’élite n’ont jamais réussi.

N’empêche, sa performance à Houston pourrait bousculer les choses. À court terme, son calendrier est établi jusqu’en mars : un 10 000 m sur piste en Californie, et les Mondiaux de cross-country en Serbie, pour lesquels il a été sélectionné après avoir remporté le bronze aux Championnats canadiens.

En théorie, il devrait effectuer son premier marathon à l’automne. Or, son entraîneur et lui n’écartent pas une tentative d’ici le 5 mai, date limite pour une qualification pour les Jeux de Paris l’été prochain. Un endroit est déjà ciblé : Hambourg, le 28 avril. Le standard pour un billet automatique est très costaud : 2 h 08 min 10 s.

Cameron Levins est le seul Canadien à l’avoir réussi dans l’histoire : un éblouissant 2 h 05 min 36 s à Tokyo, en mars. Une douzaine de places supplémentaires devraient être attribuées en fonction d’un classement mondial.

« La décision finale n’est pas prise, mais ça reste une très long shot », a prévenu M. Lapointe le « cartésien et rationnel », qui vise davantage les Mondiaux de 2025 et les Olympiques de 2028.

« Il y a une bonne profondeur au marathon actuellement au Canada. Il doit être dans les trois premiers, ce qui est difficile. On verra comment il évolue à l’entraînement. »

Fafard n’attend que le signal.

Une grève salvatrice

Thomas Fafard est l’un des rares élèves à avoir goûté la grève de la Fédération autonome de l’enseignement : les 22 jours sans école lui ont offert le contexte d’entraînement idéal en vue du demi-marathon de Houston. « Je n’ai eu qu’une journée du 21 novembre jusqu’au temps des fêtes ! a souligné l’élève au DEP en mécanique d’engins de chantier. Ça a vraiment été bénéfique. On dirait que les astres étaient alignés pour que je récupère comme il faut et que tout se passe bien. » Mieux que pour les parents, assurément. Le temps chaud et le faible enneigement ont également aidé le résidant de Québec, de même que la piste intérieure de 450 mètres au Centre de glaces Intact Assurance, « un game changer » pour les coureurs. Pour les intéressés, les « engins de chantier », ce sont « toutes les machineries jaunes et orange ».