William Émard a fait encadrer la photo et l’a accrochée à un mur de sa chambre. On le voit, poings fermés, hurler sa joie. À sa gauche, ses trois coéquipiers, muscles contractés, expriment la même pure extase. À sa droite, son entraîneur, Adrian Balan, accréditation au vent, lève les bras au ciel.

Croqué le 1er octobre au Palais des sports d’Anvers, le cliché a été pris au moment précis où l’équipe de gymnastique masculine a assuré sa qualification pour les Jeux olympiques de Paris, l’été prochain.

Tout le monde regarde Félix Dolci, qui vient de terminer sa routine au sol. Avec ses 14,500 points, il a propulsé le Canada jusqu’à la quatrième place des qualifications aux Championnats du monde. Non seulement le groupe masculin se rendra aux Jeux pour la première fois depuis 2008, mais en plus, il le fait avec un coup d’éclat de sa nouvelle vedette.

« On est entrés par la grande porte », résume Émard, 23 ans, assis devant son ordinateur dans un bureau de l’Institut national du sport du Québec.

« C’est l’aboutissement de 20 ans de travail. Avec mon buddy Félix [Dolci], on s’entraîne pour ça depuis qu’on est hauts comme trois pommes. Cette idée d’aller aux Jeux olympiques, je l’ai prise un peu plus au sérieux vers l’âge de 12 ans. Adrian, lui, dit que je vais y aller depuis que j’ai 4 ou 5 ans. Réaliser ça avec eux, c’était vraiment spécial. »

Trois mois et demi plus tard, William Émard vibre encore en racontant les détails de cette compétition qui l’a rendu « le plus fier ».

Elle aurait pu pourtant mal tourner pour le gymnaste de Laval, brillant huitième au concours complet en 2021, un sommet historique au pays, mais ralenti par des blessures aux biceps l’année suivante.

Après un solide début de qualifications, Émard s’est enfargé dans les fleurs du tapis à la table de saut, littéralement ou presque.

« J’ai commis une erreur majeure qui ne m’arrive jamais : au troisième pas de ma course, je savais que je n’étais pas dans mes pas. Tu le sens tout de suite si tu n’es pas à la bonne distance. C’est comme écrire de la main gauche. Je n’étais pas du tout bien placé et j’aurais pu me blesser. J’ai donc fait une demi-vrille plutôt que deux et demi comme prévu. J’ai perdu cinq points, juste comme ça, ce qui est énorme en gymnastique. »

Heureusement, Zachary Clay, qui ne devait théoriquement pas prendre part à cet engin, a sauvé les meubles avec un excellent saut pour son potentiel.

Sur le plan individuel, la compétition d’Émard était pratiquement bousillée, mais il devait se retrousser les manches pour l’épreuve collective, le véritable sésame qui garantit la place de cinq athlètes pour un pays à Paris.

« Pendant un moment, je voulais pleurer et tout sacrer là pour retourner à l’hôtel. Je ne pouvais pas croire que ça m’arrive aux Championnats du monde, dans une qualif olympique. »

Retrouver ses sens

Après s’être recroquevillé dans un coin, il a retrouvé son sang-froid et rebondi aux barres parallèles, à la barre fixe et au sol. C’est plutôt Dolci qui a pleuré quand son ami William l’a enlacé après sa prestation au sol.

FOURNIE PAR WILLIAM ÉMARD

William Émard et Félix Dolci

« On n’a pas le droit, mais je suis sorti du petit espace qui nous est réservé pour le prendre dans mes bras. Félix était en larmes. Je lui ai pris la tête et l’ai regardé dans les yeux en lui disant : “Man, on l’a fait !” Et on l’a fait avec style. Quatrième, ce n’était pas par la peau des fesses. C’était irréel. On a viré complètement fou ! »

Adrian Balan, leur entraîneur au club Laval Excellence, aussi !

« C’est ce qui m’a le plus marqué, raconte Émard. Adrian est émotif, mais en compétition internationale, il est très stoïque. De le voir sauter comme ça, c’est un moment dont je vais me souvenir toute ma vie. »

En plus d’Émard et de Dolci, qui a terminé cinquième à la finale au sol, la remarquable percée canadienne a été l’œuvre du vétéran René Cournoyer, 12e au concours général individuel, de l’Ontarien Jayson Rampersad, un autre protégé de Balan à Laval Excellence, et du Britanno-Colombien Zachary Clay, celui qui a sauvé la mise à la table de saut.

Après les Championnats du monde, le quintette canadien a brillé aux Jeux panaméricains de Santiago, remportant l’argent en équipe. Dolci s’est particulièrement distingué, ajoutant l’or au concours général et au sol, ainsi que le bronze aux anneaux et à la table de saut.

Comme pour les femmes, qualifiées en vertu de leur médaille de bronze historique aux Mondiaux de 2022, les cinq athlètes sélectionnés pour Paris seront déterminés à l’issue des Championnats canadiens de Gatineau, au début de juin. Les deux premiers du concours multiple obtiendront une sélection automatique tandis que les trois autres gymnastes seront choisis par un groupe de travail.

Pour William Émard, dont les chances sont plus qu’excellentes, la priorité sera de rester en santé jusque-là.

Jaloux de Marion Thénault !

En février 2022, Émard s’est demandé s’il avait opté pour le bon sport quand il a vu Marion Thénault gagner une médaille de bronze aux Jeux olympiques d’hiver de Pékin en saut acrobatique. L’ancienne gymnaste de Sherbrooke a adopté cette nouvelle discipline après avoir été repérée dans un Camp des recrues RBC en 2017. Émard l’a connue lorsqu’elle venait s’exercer en trampoline à Laval Excellence. « Il y avait un brin de jalousie ! pouffe Émard. Moi, je travaille depuis que j’ai 4-5 ans pour me rendre aux Olympiques en gym, puis finalement, c’est Marion qui a changé de sport et qui est allée avant moi avec moins d’entraînement ! » Nouvellement commandité par RBC, le gymnaste se fait maintenant le porte-parole du Camp des recrues et invite les athlètes canadiens de 14 à 25 ans à tenter leur chance à un évènement de qualification au Québec : Montréal (18 février à l’UQAM), Sherbrooke (24 mars à l’école secondaire du Triolet) et Québec (14 avril à l’Université Laval).

Consultez le site web du Camp des recrues