Elles ne peuvent pas le crier sur tous les toits, mais les Montréalaises Jacqueline Simoneau et Audrey Lamothe ont pratiquement assuré leur participation aux Jeux olympiques de Paris en prenant le cinquième rang du duo libre aux Championnats du monde de Doha, jeudi.

Deux jours après son éclatant titre au solo libre, une spécialité disparue du programme olympique, Simoneau a replongé pour une dixième épreuve au Qatar, obtenant avec sa jeune coéquipière Audrey Lamothe ce sur quoi elle avait véritablement les yeux rivés pour son retour à la compétition après une retraite de deux ans : un troisième passeport pour les JO.

« Je ne veux pas célébrer trop tôt », a cependant prévenu Simoneau à La Presse à sa sortie du contrôle antidopage, deux heures après la finale.

On va manger, célébrer nos belles performances, mais en ce qui concerne ce billet pour les Jeux olympiques, on va attendre la confirmation [vendredi]. Mais c’est très, très probable. On a fait tous les calculs et on a 99,999 % des chances de le faire !

Jacqueline Simoneau

Au moment du dévoilement des résultats, Lamothe est celle qui a réagi le plus fortement, hurlant sa joie en tombant dans les bras de sa partenaire et idole de jeunesse. Elle retenait mal ses larmes à travers son large sourire.

« C’est un mélange de plusieurs émotions, de circonstances », a précisé l’athlète de 18 ans en reprenant le téléphone des mains de sa coéquipière. « Voir le “1” au tableau, voir qu’on avait encore obtenu notre [pleine] note de difficulté, voir le rêve des Olympiques se rapprocher un peu plus… On dirait que c’est un rêve devenu réalité ! »

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Audrey Lamothe et Jacqueline Simoneau lors du dévoilement des notes

Audrey Lamothe devrait recevoir ce vendredi la confirmation de sa participation à ses premiers JO.

« Dans mon petit cœur, je préfère attendre que ce soit officiel pour crier encore plus ma joie. Juste avec notre performance aujourd’hui, c’est une victoire en soi. »

« Notre énergie vous appartient »

La qualification olympique de la paire canadienne est tributaire des résultats de la finale du programme libre par équipes, dernière compétition au programme, ce vendredi matin (heure de Montréal). À moins d’une épidémie de gastro chez plusieurs nations favorites – et encore –, Simoneau et Lamothe feront partie des 10 duos sélectionnés de façon directe.

Dans un monde idéal, leurs collègues de l’épreuve par équipes, qui ont atteint la finale en vertu de leur neuvième position en préliminaires jeudi, se joindraient à elles pour former un contingent maximal de huit représentantes à Paris.

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L'équipe canadienne à l’œuvre lors de la ronde préliminaire à Doha

Pour y parvenir, le Canada devra, selon toute vraisemblance, finir parmi les deux premiers d’un trio de pays complété par l’Italie et l’Ukraine, qu’il devance pour l’instant au classement combiné des épreuves acrobatique et technique.

En vertu du pointage des préliminaires du programme libre de jeudi, les nageuses canadiennes seraient cependant passées troisièmes. Heureusement, les compteurs repartent à zéro pour la finale, où elles voudront éviter une déduction de trois points de leur note pour la difficulté, comme cela leur est arrivé en préliminaires.

Bref, rien n’est gagné pour le concours collectif, ce qui explique également la retenue de Simoneau et de Lamothe jeudi. « Dès qu’on a fini de nager, on est allées voir nos coéquipières et on leur a dit : “Toute l’énergie qui nous reste, elle vous appartient”», a relaté Simoneau, qui a contribué à la sixième place de l’épreuve technique avant son titre mondial en solo mardi, tout comme Lamothe.

« Petite machine »

À sa toute première compétition depuis les JO de Tokyo, deux ans et demi plus tôt, Jacqueline Simoneau s’est réjouie de constater le maintien du statut de la paire canadienne en dépit d’une préparation minimale. Au Japon, elle s’était aussi classée cinquième avec Claudia Holzner.

« On repart du même endroit, ce qui est déjà un grand rebond par rapport aux derniers Championnats du monde », a noté la nageuse de 27 ans. À Fukuoka, l’été dernier, Scarlett Finn et Kenzie Pridell, qui font aujourd’hui partie de l’équipe, s’étaient contentées de la 18place au duo technique.

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Audrey Lamothe et Jacqueline Simoneau

Pourtant, Simoneau et Lamothe n’ont exécuté leur programme libre d’un bout à l’autre pour la première fois que le 27 décembre. Jugeant que l’ancienne chorégraphie ne leur collait pas à la peau, les deux Québécoises ont elles-mêmes osé en créer une nouvelle à quelques jours d’avis, avec l’intention d’être prétendantes à une médaille dans la capitale française.

« Ça a été une course folle dans le dernier mois et demi pour essayer de les placer dans cette position », a souligné l’entraîneuse Kasia Kulesza. « Les autres nageuses s’entraînent parfois depuis cinq ou dix ans ensemble et nagent les mêmes chorégraphies depuis un an et demi. C’est incroyable, ce qu’elles ont accompli et l’évolution qu’elles ont connue. »

Qualifiée de « petite machine » par sa coach, Audrey Lamothe s’est révélée à la hauteur du statut de sa compagne championne mondiale. « La pression de nager avec Jacqueline Simoneau, c’est intense », a souligné Kulesza, médaillée d’argent olympique en équipe avec, entre autres, Sylvie Fréchette en 1996. « Audrey pouvait le sentir, mais elles forment tellement une bonne équipe ensemble. »

En Lamothe, Simoneau s’est reconnue à l’époque où elle évoluait avec Karine Thomas, sa partenaire des JO de 2016 qui était un modèle pour elle.

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Audrey Lamothe et Jacqueline Simoneau

« Je comprends les émotions et les sentiments qu’elle devait ressentir. Mais elle n’a rien à rattraper, elle travaille tellement fort de son côté. J’ai un peu senti qu’elle avait des papillons dans le ventre aujourd’hui, mais elle gère bien ça en compétition, où elle est toujours meilleure qu’à l’entraînement. Je savais qu’elle sortirait quelque chose de super. »

Reconnaissante de la confiance témoignée par sa complice, Audrey Lamothe assure ne pas avoir vécu un stress supplémentaire pour se montrer à la hauteur. « J’ai plus vu ça comme un honneur que de la pression de nager avec la championne du monde », a noté la quatrième du solo libre aux Mondiaux de l’an dernier.

Le titre de championne mondiale : un « bonus »

Double médaillée à Doha, Simoneau croise maintenant les doigts pour ses compatriotes : « On veut tellement que l’équipe se qualifie aussi. On met toute notre attention là-dessus. […] Les chances sont tout à fait là. Il faut juste qu’elles nagent un programme sans faute demain, c’est tout ce qu’elles peuvent donner. Le reste est entre les mains des juges. »

Simoneau découvre d’ailleurs le nouveau système de notation instauré l’an dernier par World Aquatics. Récompensant la difficulté des figures et dépoussiérant des classements apparemment prédéterminés par des jeux de coulisse politiques, cette échelle remodelée semblait conçue sur mesure pour la Montréalaise.

Sans être l’unique facteur expliquant son retour, elle admet que ce changement de paradigme a pesé dans la balance. La double nageuse olympique souhaitait également renouer avec des collègues et amies qui lui manquaient sur la scène internationale.

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Jacqueline Simoneau avec sa médaille de championne mondiale de l’épreuve individuelle

Les encouragements de ses camarades au doctorat de premier cycle en médecine podiatrique, à l’Université du Québec à Trois-Rivières, ont touché la cible.

« Mon directeur de programme, Olivier Hue, est un ancien athlète de haut niveau en France, a-t-elle ajouté. C’est lui qui m’a dit : “C’est votre chance, tout est possible.” Il m’a donné le feu vert. C’est grâce à lui que je suis ici. »

Après sa participation à 10 épreuves au Qatar, Simoneau peut maintenant reprendre son souffle et savourer son nouveau statut de monarque mondiale, une première au pays depuis l’or de Fréchette en 1991, dans une discipline qui s’appelait alors la nage synchronisée.

« Honnêtement, ça ne m’a jamais frappée ! L’objectif de mon retour était vraiment de qualifier le Canada aux Olympiques. Le titre de championne du monde, je vais le prendre comme bonus, c’est certain. Avec mes compétitions en duo, je ne voulais pas trop me laisser vivre le moment. Je pense que je vais vraiment pouvoir l’apprécier demain après la finale par équipes. »

À deux, c’est bien, mais à huit, ce serait encore mieux.

Un baume après « une année très difficile »

À six mois des JO de Paris, ces bonnes nouvelles tombent à point pour Natation artistique Canada, secouée par une enquête disciplinaire au sujet d’allégations d’abus et de harcèlement de l’entraîneur-chef de l’équipe nationale senior Gabor Szauder en 2021. Blanchi, l’entraîneur originaire de Hongrie a été démis de ses fonctions à l’été 2023 pour des raisons qui n’ont pas été dévoilées.

« Ça a été une année très difficile pour la natation artistique au Canada en général », a convenu Kasia Kulesza, entraîneuse-chef du groupe Next Gen qui a pris le relais de Szauder de façon intérimaire avec la directrice du sport Kerri Morgan, qui l’accompagne à Doha.

« On a eu beaucoup de péripéties et les championnats du monde [de 2023] ont moins bien été dans certaines épreuves. Pour nous, cette remontée en quelques mois est vraiment historique. Après les Jeux panaméricains, où on a fait de belles performances sans tout à fait se qualifier, arriver ici et être à la porte d’une place olympique, c’est très excitant. C’est incroyable le travail d’équipe qu’on a fait. »

Le 15 janvier, Anna Voloshyna, une Ukrainienne qui était adjointe aux États-Unis, a été nommée nouvelle entraîneuse-chef de l’équipe senior. Son rôle par rapport aux JO de Paris n’a pas été précisé jusqu’ici.