Bruny Surin lance aujourd'hui sa biographie, Bruny Surin, le lion tranquille. L'ancien sprinter revient sur ses exploits sportifs, mais évoque aussi son désir de faire un jour le saut en politique. Retour sur une glorieuse carrière.

Bruny Surin n'a jamais eu peur d'émettre ses opinions, souvent tranchées, sur le système sportif, le sport à l'école, le dopage, la société. Parfois au risque de se mettre son propre milieu à dos. Homme d'action, il est prêt à joindre le geste à la parole. L'ancien sprinter songe en effet à investir l'arène politique. Pas tout de suite, mais d'ici quelques années.

«Un enfant de Saint-Michel, ministre des Sports? Qui sait, un jour peut-être...» Surin glisse cette phrase vers la fin de sa biographie, Bruny Surin, le lion tranquille (Libre Expression), en librairie aujourd'hui.

À quel échelon? «Le plus gros possible!» a répondu Surin avec un grand sourire, hier, lors d'une entrevue pour le lancement de son livre, écrit par le journaliste Saïd Khalil.

Mais avant de plonger, Surin veut atteindre certains objectifs dans le monde des affaires. Il vient de lancer une collection de vêtements et commercialise sa propre marque de suppléments alimentaires.

La lourdeur de l'action politique l'effraie aussi un peu. «Des fois, en politique, c'est long, souligne-t-il. Moi, je ne suis pas un gars de bureau, de papier. Je suis un gars d'exécution.»

Dans le même souffle, Surin admet avoir été confondu par Yolande James, ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles. Lors d'une rencontre impromptue, elle lui avait parlé de sa volonté de rejoindre les jeunes des écoles secondaires de milieux défavorisés. Il l'avait regardée droit dans les yeux pour lui dire: ça n'arrivera pas. Trois mois plus tard, le programme Valorisation Jeunesse-Place à la relève, qui offre de l'encadrement et des emplois d'été à quelque 600 jeunes Montréalais, était né.

«C'est un record mondial, s'exclame Surin. Si la politique était toujours comme ça, j'embarquerais tout de suite.» Des partis se manifesteront-ils?

Un rêve

Devant un bol de café bien sucré, rare vice alimentaire duquel même sa femme Bianelle, son indéfectible complice, n'a pas réussi à le détourner, Surin semble lui-même s'étonner du chemin parcouru. À 42 ans, après une longue carrière sportive de 17 ans, le voilà en train de causer politique. Le «ti-cul d'Haïti», tranquille et réservé, paraît bien loin.

«Si, enfant, on m'avait dit que je serais champion olympique, champion mondial, conférencier dans les écoles, que j'inspirerais les gens, je leur aurais dit: «en voyons donc!»» rappelle-t-il.

Mais il avait un rêve, a surmonté ses peurs et refusé de s'imposer des limites. Il souhaite que les gens l'imitent, peu importe leur sphère d'activités. D'où l'idée d'une biographie, où il relate les grands pans de sa carrière dans la discipline reine de l'athlétisme.

Surin revient sur ses débuts, presque par accident, en saut en longueur, alors que Daniel St-Hilaire, l'entraîneur «intense» et «flyé», a semé le germe du rêve. Sa conversion au 100m a aussi été un accident. Il s'y entraînait à la suite d'une blessure en saut.

Les débuts internationaux de Surin ont coïncidé avec le scandale Ben Johnson aux Jeux olympiques de Séoul, en 1988. Le sprinter québécois en a senti les contrecoups durant toute sa carrière, et encore plus. Quand il est devenu champion du monde en salle, à Toronto, en 1993, Big Ben venait tout juste de subir un deuxième contrôle positif...

Dans la même veine, l'ambiance délétère autour de la commission Dubin a nui à la recherche de commanditaires, se désole Surin, surprenant quatrième aux Jeux de Barcelone, en 1992. Heureusement, il y avait Claude Chagnon, de Vidéotron, qui allait devenir un conseiller, un allié, un ami pour la vie. «Le parrain du sport au Québec», est-il écrit à son sujet.

Puis est arrivé Donovan Bailey, le compatriote, le coéquipier, mais aussi le rival, parfois l'ennemi. Les deux sprinters en sont même presque venus aux coups lors d'un camp d'entraînement en 1998, raconte Surin dans la biographie. Objet du litige: les éternelles chicanes du relais, bien sûr. «Donovan avait ses périodes intenses», résume Surin. Aujourd'hui, leur relation est au beau fixe et les deux hommes prévoient même s'associer pour un «projet d'affaires dans le domaine sportif».

Surin a connu la gloire aux Jeux d'Atlanta, en 1996, gagnant l'or au relais devant les Américains. Mais de cette deuxième expérience olympique, il retiendra surtout sa sortie hâtive en demi-finale du 100 m, avec le résultat qu'«Atlanta ne restera définitivement pas un très bon souvenir».

Grâce à son association avec l'entraîneur américain Dan Pfaff, le «magicien», Surin a atteint son apogée aux Mondiaux de Séville, en 1999, où il a signé un prodigieux chrono de 9,84, qui lui vaut toujours le cinquième rang de tous les temps. Il réalisait ainsi l'inimaginable: battre Carl Lewis, l'idole de jeunesse. L'explosif Américain Maurice Greene allait toutefois le priver d'un titre mondial extérieur.

«Mais je pense que j'étais plus heureux que Maurice, souligne Surin 10 ans plus tard. La victoire, ce n'est pas toujours une question de médaille d'or.»

Surin n'a jamais été en mesure de poursuivre sur sa foulée. Les blessures l'ont privé d'adieux à la hauteur de ses attentes aux Jeux de Sydney, en 2000, et aux Mondiaux d'Edmonton, en 2001. Il a gardé sa contenance devant les journalistes, mais a pleuré toutes les larmes de son coeur en privé, apprend-on.

Inévitables suspicions

Fier de ce qu'il a accompli, Surin sait que le doute accompagnera toujours ses exploits. Passage presque obligé, il consacre d'ailleurs un chapitre au dopage, inéluctable générateur de manchettes tapageuses. Oui, ça court dans le milieu, pas seulement en athlétisme, et non, il ne s'est jamais dopé, ne peut-il que répéter, résigné. Les suspicions lui ont longtemps fait mal, mais aujourd'hui, il ne s'en fait «plus du tout», affirme-t-il.

Après quelques années où le 100 m l'a laissé indifférent, Surin a retrouvé la flamme grâce à Usain Bolt. Maintenant, il rêve d'un «Usain Bolt canadien», persuadé qu'une meilleure structure de détection de talent permettrait d'en découvrir. L'impact, croit-il, «serait fou». Il est prêt à y travailler. Qui sait, peut-être à titre de ministre?