Pour le dernier volet de notre série sur les commotions cérébrales au hockey, notre journaliste a visité un centre de recherche américain à l'origine de découvertes capitales sur les conséquences à long terme des traumatismes crâniens répétés.

C'est à une vingtaine de kilomètres du centre-ville de Boston, au Veteran Affairs Medical Center de Bedford, que la Dre Ann McKee poursuit ses recherches en neuropathologie. L'hôpital militaire qui abrite le Center for the Study of Chronic Traumatic Encephalopathy (CSCTE) est situé dans un cadre idyllique, en pleine nature.

On s'étonne un peu de devoir franchir une porte blindée pour accéder au bâtiment où travaille la Dre McKee. Mais le plus surprenant est à venir. La morgue de l'hôpital, juste à côté, dans un autre bâtiment de brique rouge, renferme de grands réfrigérateurs en inox qui contiennent des cerveaux d'anciens joueurs de la NFL, de la LNH et d'autres ligues sportives. Des centaines de cerveaux!

C'est ici que la Dre McKee, avec une petite équipe de chercheurs aussi passionnés qu'elle, a fait des découvertes fondamentales sur l'encéphalopathie traumatique chronique (ETC).

«J'ai grandi au Wisconsin - j'étais la voisine de Rocky Bleier, ancien joueur des Steelers de Pittsburgh de la grande époque - et nous étions des partisans des Packers de Green Bay», a expliqué Mme McKee, le mois dernier, en entrevue exclusive. Pendant plus d'une heure, en nous enseignant les rudiments de la manipulation et de l'étude des cerveaux, elle est revenue sur l'histoire récente du Centre.

Dans les médias

«Tout récemment, nous avons étudié avec beaucoup d'émotion le cerveau de Wally Hilgenberg, autre grand joueur des années 70, qui a combattu ce qu'on croyait être la maladie de Lou Gehrig dans les dernières années de sa vie.

«Nos études ont permis de montrer qu'il souffrait en fait d'ETC et qu'il y avait sans doute un lien entre cette maladie et tous les coups qu'il a encaissés pendant sa carrière.»

Plusieurs équipes de recherche travaillent sur l'ETC depuis quelques années, mais aucune n'a connu les mêmes succès que celle del la Dre McKee. Codirectrice du CSCTE, avec les docteurs Robert Cantu et Robert Stern, deux spécialistes des commotions et des maladies du cerveau, et Chris Nowinski, ancien joueur étoile universitaire lui-même victime de syndrome post-commotions, la Dre McKee a fait la manchette des médias à plusieurs reprises depuis trois ans.

Les amateurs de hockey l'ont découverte en février 2010, quand elle a annoncé avoir découvert les signes de la maladie dans le cerveau de Reggie Fleming, ancien joueur des Bruins de Boston. Et le cerveau de Bob Probert est préservé dans les réfrigérateurs du centre.

De plus en plus jeune

C'est toutefois l'analyse du cerveau de jeunes athlètes, habituellement morts dans des circonstances tragiques, qui a mené aux découvertes les plus significatives récemment. «Nous avons découvert les traces de la maladie chez plusieurs athlètes morts dans la trentaine, la vingtaine ou même plus tôt, a expliqué la Dre McKee.

«Ce fut notamment le cas d'Owen Thomas, secondeur étoile de Penn State, qui s'est enlevé la vie à 21 ans après avoir souffert de symptômes graves de dépression. Quand elle nous a confié son cerveau, sa mère nous a raconté qu'Owen avait toujours aimé le jeu rude et qu'il prenait un plaisir à cogner ses adversaires avec son casque...

«Nous voyons souvent des cerveaux d'athlètes morts avant 50 ans qui présentent les mêmes caractéristiques que ceux de vieillards de 85 ans victimes de la maladie d'Alzheimer.

«De toute évidence, les coups à la tête et les commotions à répétition hypothèquent toute l'existence des athlètes, et pas seulement à la fin de leur vie. Les symptômes émotionnels, les changements de personnalité, les dépressions en amènent plusieurs à devenir agressifs, violents et même à avoir des idées suicidaires.»

Des retombées positives?

Pour l'instant, l'équipe de la Dre McKee n'a encore pu que découvrir la maladie. «Nous n'avons encore aucun traitement, aucune thérapie pour soigner ou guérir l'ETC, avertit la neuropathologiste. Mais les recherches progressent à un rythme accéléré et nous espérons pouvoir bientôt mettre au point des médicaments qui aideront à améliorer la vie des malades.»

D'autre part, les découvertes du CSCTE et d'autres équipes de chercheurs ont permis de faire de grands pas dans la détection des blessures au cerveau. Si une commotion n'est encore diagnostiquée que par ses symptômes, elle pourrait bientôt être détectée par un examen d'imagerie médicale ou même par un simple test sanguin.

«Nous savons qu'une protéine est produite lorsque le cerveau subit un traumatisme et les outils pour mesurer le taux de cette protéine sont déjà testés en laboratoire, a expliqué la Dre McKee.

«Pour les chercheurs comme moi, c'est une époque extraordinaire parce que nous travaillons dans un domaine tout neuf où tant de choses sont encore à découvrir. Je ne peux même pas imaginer où nous en serons dans cinq ou 10 ans.

«Je suis toutefois certaine que les champions de l'avenir seront mieux protégés que ceux d'hier.»