Près de trois mois après sa victoire aux dépens de Chad Dawson, Jean Pascal se prépare ces jours-ci en Floride en vue de son combat de championnat des mi-lourds du WBC contre le légendaire Bernard Hopkins, le 18 décembre, à Québec. Un entraînement dur, exigeant, à la mesure d'un homme qui se donne les moyens de réaliser ses rêves.

C'est au Tropical Park, au sud de l'aéroport de Miami. Il pleut des clous. Une pluie chaude qui trempe, mais ne fait pas grelotter. À l'autre bout de la piste de 400 mètres, trois hommes courent d'une bonne foulée. Près du stationnement, les deux pieds dans la flotte, Marc Ramsay met deux doigts dans la bouche et laisse partir un vibrant sifflet.

Les trois hommes s'arrêtent et se mettent à faire du shadow boxing. Jabs, crochets, parades, directs, toute la panoplie du boxeur servie avec une belle vigueur pendant une trentaine de secondes. Puis, autre sifflet et nouveau départ au pas de course.

En passant devant nous, Jean Pascal lâche en souriant: «Ne va pas dévoiler tous nos secrets.» Et il repart pour un autre 400 mètres alors que le solide poids lourd Odlanier Solis, deuxième aspirant au monde, commence à pomper l'huile derrière.

Il pleut et Jean Pascal va continuer à accumuler les 400 mètres agrémentés de séances de shadow boxing.

Heureusement, j'ai un parapluie. Mais Marc Ramsay, le capitaine de l'escadron qui entoure Jean Pascal, reste dégoulinant sous la pluie. Même chose pour Pedro Luis Diaz, le docteur en éducation physique qui est le préparateur de Pascal et des autres boxeurs de GYM. C'est lui qui a formé Teofilo Stevenson, le grand poids lourd jamais vaincu aux Jeux olympiques et le reste de l'extraordinaire équipe de boxe cubaine. Il remplit le même rôle qu'André Kulesza, lui aussi un docteur en éducation physique, exerce avec Lucian Bute et Adrian Diaconu. Les deux viennent d'un régime communiste qui valorisait le sport.

Diaz s'escrime sur la piste et lance des ordres dans un curieux mélange d'espagnol, de français et d'anglais. Pascal lui répond dans une salade semblable. Tout le monde se comprend: «Dans le fond, on parle le langage de la boxe, c'est universel», dira plus tard Jean Pascal.

Pour l'instant, Pascal n'a pas le temps de discuter ou de répondre à une question. Il fait un exercice que je n'ai jamais vu dans toute ma carrière.

Les bras tendus, il fait la toupie. Trente secondes d'un côté, puis il entre dans un cercle formé par des cônes et il entreprend une séance de shadow boxing. Vous seriez en train de vomir vos tripes. Puis, il recommence en tournoyant dans l'autre sens pour habituer les deux hémisphères du cerveau à s'adapter. À la fin du camp d'entraînement, Jean Pascal fera la toupie pendant une minute... pour enchaîner avec du sparring avec un partenaire: «Il sera capable de réagir après une seconde. Son cerveau aura appris à contrôler le brouillard causé par les rotations», explique Ramsay.

Je me rappelle qu'à Hollywood, au Hard Rock Casino, Jean Pascal s'était fait pincer d'aplomb au quatrième round par Omar Pittman. Il avait passé une vingtaine de secondes dans la brume, une éternité dans la boxe. À son combat suivant, la même situation s'était reproduite. Il fallait corriger cette lacune. Pedro Luiz Diaz s'en est chargé. «Les premières fois, on fait la toupie et on a le goût de vomir tellement on est étourdi, m'a expliqué plus tard Jean Pascal. Quelques semaines plus tard, je tournoie une minute et une ou deux secondes plus tard, je suis capable de réagir dans le ring, de me protéger et de prendre des décisions.»

Lors du neuvième ou dixième round de leur récent affrontement, Chad Dawson l'a atteint d'un vicieux uppercut qui l'a sonné. Il a hésité pendant une seconde, il s'est mis en défensive, il s'est reculé un peu, mais en quelques secondes, il était prêt à reprendre les engagements violents d'un combat de boxe. Ramsay en est persuadé, c'était le fruit de cet entraînement pointu.

Plus on passe du temps avec le clan Pascal et plus on réalise que GYM entoure son joyau autant qu'InterBox le fait avec Lucian Bute: «La boxe a beaucoup évolué. Un seul homme ne pourrait plus suffire à la tâche. Je suis plus un chef d'équipe qu'un entraîneur», explique Marc Ramsay. «Pedro Luis Diaz a formé on ne sait plus combien de champions du monde en boxe amateur. Et il forme maintenant des champions en boxe professionnelle. Je vais chercher notre nutritionniste à l'aéroport tout à l'heure, Rob Schinke, notre psychologue est déjà avec nous, et nous allons tout faire pour que Jean soit à son meilleur, tant physiquement que psychologiquement.»

On sent qu'il y a une compétition non avouée entre les équipes de Lucian Bute et de Jean Pascal. En arrivant à la maison louée pour le camp d'entraînement, à Coconut Grove, au sud de Miami, je fais remarquer que c'est le même environnement en Floride que Bute: «On est venus s'entraîner en Floride bien avant Lucian Bute», rétorque vivement Ramsay.

Plus tard, Jean Pascal va poser de nombreuses questions sur les projets de Lucian Bute qui s'apprête à signer un lucratif contrat avec Showtime: «Bienvenue dans la Ligue américaine!» blaguera Pascal en faisant allusion à une déclaration du clan Bute qui disait préférer HBO à Showtime. Que c'était comme la Ligue nationale et la Ligue américaine.

Tôt ou tard, Lucian Bute et Jean Pascal vont se retrouver dans un même ring: «Moi, je pense que ça va être difficile avant 2012. C'est toujours ce que j'ai pensé», dit-il.

Après deux heures d'entraînement, Pascal se douche avant d'aller prendre le petit déjeuner. Il a trois heures de répit puisque la deuxième séance d'entraînement en gym est prévue pour 13h. Elle sera suivie par le repas principal de la journée avant de reprendre le chemin du gym pour la troisième fois à 19h. Un régime pour assommer un homme. Mais Jean Pascal aime l'entraînement. Et il faut dire qu'avec sa puissante musculation et son très faible taux de gras, il est une force de la nature. Il mange plus que Lucian Bute mais n'a pas de problème à rester à environ 185 livres entre deux combats. Faire le poids à 174,9 livres n'est pas une préoccupation.

Pendant la douche, le psychologue parle de Pascal avec chaleur: «C'est un homme qui a des objectifs qui changent. C'est facile de travailler avec lui. Quand il est devenu champion du monde, son objectif a changé. Il voulait être le meilleur de toute la catégorie. C'est fait avec la ceinture de Ring Magazine méritée contre Chad Dawson. Maintenant, il veut être le meilleur boxeur toutes catégories confondues. Après, ce sera autre chose. Je dois simplement m'assurer que sa confiance est à la hauteur de ses objectifs. Il a une personnalité très forte, mais il sait écouter», explique Schinke.

On va parler d'argent. À bâtons rompus. Il a déjà touché 1,4 million$ contre Dawson et normalement contre une légende comme Bernard Hopkins, sa bourse garantie de 1,5 million devrait atteindre facilement 2,6 millions et peut-être 3 millions avec un peu de chance. Il ne porte plus de zircons aux oreilles: «Les diamants, quand ils sont de grande qualité, sont autant un investissement qu'un apparat», dit-il en souriant. Il réfléchit tout le temps sur la société québécoise, sur la place des Noirs en Amérique, sur la place de la planète dans l'immensité de l'univers. À la fois terre-à-terre et très songé. Dans la même phrase, il me lance qu'avec ses millions, il compte investir dans des terrains, dans des terres. En recevant des conseils, mais en prenant les décisions. C'est son argent, il est fier de l'avoir gagné et il est cruellement conscient qu'il a bûché 15 ans pour que cet heureux mélange de muscles, de courage et de réflexes qu'il est devienne le meilleur de sa profession.

Mais quand il parle de la boxe, sa réflexion va plus loin: «La boxe, c'est comme un pays du tiers-monde. Il y a de très, très riches au sommet qui sont peu nombreux et il y a de très nombreux pauvres avec très peu de gens au milieu. Et en boxe, il n'y a pas de garantie. Je discutais avec mon ami Russell Martin des Dodgers de Los Angeles. Lui, qu'il gagne ou qu'il perde, il est assuré d'avoir son 5 millions$ par année. Moi, si je perds, les millions disparaissent. Mais je me prépare et je donne tout ce que je peux donner. C'est ce que je contrôle», dit-il.

Qui est Jean Pascal? «C'est simple. Je suis un homme de 28 ans. C'était mon anniversaire le 28 octobre. J'ai commencé à fonder ma famille avec Angel, ma petite fille de 7 ans. Mais ça ne change pas ma philosophie. J'aime et j'adore Angel et je suis un père responsable, mais depuis 15 ans, j'ai toujours mis la boxe au-dessus de tout dans ma vie. Avant la famille, avant les amis, avant les amours. C'est un choix de vie que j'ai fait et ce n'est pas difficile. Les gens se trompent quand ils disent que je fais des sacrifices pour ma carrière. Je ne fais pas de sacrifice. Un sacrifice, c'est quand on tue un boeuf ou un cochon pour obtenir quelque chose. Si la pluie ne tombe pas, on sacrifie un deuxième cochon en espérant. Un choix de vie, c'est conscient. Je sais que si je dors bien, si je mange bien, si je mène une vie rangée et que je m'entraîne du mieux que je le peux, j'aurai plus de chance de gagner et d'atteindre mes objectifs», m'explique-t-il en dévorant son déjeuner.

Il conclut cette réflexion en ajoutant: «Mon prof en opérations policières au collège Ahuntsic, Robert Poëti, m'avait dit que la chance, c'était le talent des autres. Autrement dit, au lieu de reconnaître le talent et le travail, les autres préfèrent parler de chance...»

Cet homme est bien dans sa peau. Et il a appris à apprécier ce qu'il accomplit: «Après ma victoire contre Chad Dawson, j'étais content, j'étais fier. J'avais prouvé que j'avais raison. Et j'adore avoir raison», dit-il en souriant.

Justement, il y en a qui trouvent qu'il a une grande gueule...

«J'adore ceux qui parlent en mal de moi, ceux qui doutent, ça me motive encore plus de leur prouver que c'est moi qui ai raison», dit-il.

Évidemment, c'est plus délicat de clamer sa valeur quand on est un Noir dans une société blanche. Jean Pascal a passé par-dessus les relents de racisme depuis belle lurette. Mais il réfléchit. Il réfléchit tout le temps ce garçon: «Le racisme, c'est de l'ignorance. Dans n'importe quelle nation ou n'importe quelle race, il y a de bonnes personnes et de mauvaises personnes. Et s'il y a des Martiens, il y a de bons Martiens et de mauvais Martiens. Sauf que l'ignorance permet d'avoir des réflexes fondés sur la différence. C'est pour ça que c'est important pour moi d'être un exemple ou un modèle dans la société. Si je volais une banque, la première chose que trop de gens penseraient, c'est: «Je le savais, c'est un Noir.» Vous savez, il y a eu l'horrible esclavage, mais je devrais vous remercier, vous les Blancs, c'est parce que vous nous avez forcés à travailler dur et que vous avez choisi les plus forts et les plus grands que j'ai cette hérédité», lance-t-il en riant. Même en écrivant, je ne suis pas certain s'il parlait avec humour ou avec conviction.

Quand il se met à parler de Big Brother, il est fascinant. Les GPS, les portables, les ordinateurs sont pour lui autant d'instruments pour permettre aux gouvernements du monde d'espionner et de contrôler leurs citoyens.

Mais ça ne l'empêchera certainement pas de savourer la vie et de rêver: «J'aime rêver. Je suis un homme de rêves. Il faut rêver. Un rêve, personne ne peut te l'enlever. Une fois que tu as le rêve, il faut faire le plan pour le réaliser. Et après, tu fais les choix qui permettent de le réaliser. Mais s'il n'y a pas de rêve à l'origine, il n'y a pas de plan et il n'y a pas de choix. D'ailleurs, les gens disent que sky is the limit. Même ça, c'est pas vrai. Guy Laliberté l'a prouvé. Le ciel n'était pas sa limite, il est allé dans l'espace», dit-il.

Et dans 10 ans, c'est quoi le rêve?

«Dans 10 ans, j'aurai 38 ans. J'espère que j'aurai deux ou trois enfants de plus avec une femme qui m'aimera pour les bonnes raisons. À 38 ans, ce sera le plus important», dit-il après réflexion.

Et pour le connaître, Jean Pascal sera un esprit libre. Ça aussi, c'est important.