Ryder Hesjedal ne garde pas un très bon souvenir de son dernier passage à Québec. Aux Championnats nationaux de 2006, il avait passé la journée à essayer de déjouer le marquage serré de ses rivaux. Résigné et un peu fâché, l'unique représentant de la défunte équipe Phonak avait abdiqué avec 50 kilomètres à faire.

Le revoilà quatre ans plus tard, cette fois fraîchement auréolé de ses succès au dernier Tour de France. Hesjedal est un nom plus familier pour le grand public depuis cette surprenante septième place à la Grande Boucle. Vendredi prochain, sur la Grande-Allée, il sera sur la ligne de départ du Grand Prix cycliste ProTour de Québec.

Hesjedal sait qu'il sera surveillé de près, mais il ne sera pas seul. Ses adversaires seront Sanchez, Basso, Voeckler, Cunego et autres vedettes du Tour de France. Deux jours plus tard, ils se retrouveront sur le mont Royal pour le Grand Prix de Montréal. «Les jambes vont bien et je prévois être bon à Québec et encore meilleur à Montréal», espérait Hesjedal lors d'une entrevue téléphonique depuis Victoria.

C'était dimanche dernier, tôt le matin, et Hesjedal respirait la confiance à l'aube de ces deux premières épreuves ProTour courues en Amérique. La veille, il avait été fêté par quelque 500 personnes dans sa ville natale. Sur la route, les gens le reconnaissent et le saluent.

De retour en Colombie-Britannique depuis deux semaines, l'athlète de 29 ans survole des parcours d'entraînement qu'il connaît par coeur. «Je n'ai jamais été ici dans ce genre de condition physique. Je n'ai jamais monté les côtes ou roulé sur ces routes aussi vite», note-t-il de sa voix grave et traînante.

À pareille date l'an dernier, Hesjedal disputait le Tour d'Espagne, où il avait gagné la 12e étape. Peu après la publication du calendrier international 2010, il a choisi de se limiter à un Grand Tour et de miser sur les courses québécoises pour conclure l'année en beauté. En espérant de bonnes classiques printanières et un solide Tour de France. Jusqu'ici, le plan fonctionne à merveille.

«À ce temps-ci l'an dernier, avec un calendrier similaire, j'avançais bien à la Vuelta, rappelle-t-il. Je suis donc confiant d'avoir pu recréer le même genre de chronologie et de conditions. Oui, j'espère connaître de bonnes courses au Québec. Mais peu importe ce qui arrivera, ce sera une expérience fantastique pour moi de revenir au Canada.»

Gourmand mais pas fou

Pas de danger de s'ennuyer avec Ryder Hesjedal. On l'a vu au dernier Tour. Lors de l'étape finissant à l'aérodrome de Mende, il n'a pas hésité à se porter à l'attaque, risquant du coup sa position favorable au classement général: «Même Lance Armstrong est venu me voir le lendemain et m'a dit: Es-tu fou?»

«Presque trop gourmand», admet Hesjedal amusé, mais pas fou. Avant d'attaquer les Pyrénées, il y avait là une occasion à prendre, pensait-il. Les principaux prétendants le laisseraient peut-être aller, ne sachant trop ce qu'il vaudrait dans les dernières étapes de haute montagne. «Je voulais simplement faire une course excitante et tout laisser sur la route.»

Le Tour de Ryder Hesjedal a basculé dès la deuxième étape quand Christian Vande Velde et Tyler Farrar, les deux têtes d'affiche de son équipe Garmin-Transitions, se sont blessés dans une chute collective.

Le lendemain, sur la rocambolesque étape des pavés, Hesjedal a bien failli décrocher la victoire, n'étant repris que dans les derniers kilomètres. Du coup, le Canadien s'est installé au quatrième rang du classement général et est devenu le coureur protégé de Garmin.

Allait-il tenir le coup? Hesjedal s'en est lui-même convaincu cinq jours plus tard lors de la première arrivée au sommet à Morzine. Il a alors grimpé avec les meilleurs pour s'accrocher à la sixième place au général: «Le plus dur était fait et c'est là que je me suis dit: voyons voir si je peux mener ça jusqu'à Paris.»

Ce fut mieux qu'il espérait. Hesjedal a conclu en apothéose en décrochant la quatrième place dans la brume au sommet du Tourmalet. Derrière Andy Schleck, Alberto Contador et Joaquin Rodriguez. «C'était vraiment un rêve devenu réalité. L'histoire, l'importance de ce col, ce que ça voulait dire pour la course... Être en mesure de finir derrière ceux qu'on peut considérer comme les trois meilleurs grimpeurs au monde fut vraiment spécial.»

Échangerait-il sa septième place au général, le meilleur résultat canadien de l'histoire depuis le quatrième rang de Steve Bauer en 1988, contre une victoire d'étape? Pour une rare fois, Hesjedal est embêté. «Ça dépendrait du type de victoire, répond-il après quelques secondes de réflexion. Une victoire sur le Tourmalet? Peut-être. Si j'avais gagné (sur les pavés) à Arenberg, peut-être que j'aurais été tellement contenté et relax que je n'aurais pas trouvé la motivation pour me pousser au classement général. Il faudrait vraiment que j'aie tous les éléments sur la table pour décider.»

Au-delà des chiffres, l'ancien vice-champion mondial de vélo de montagne se félicite surtout de la façon dont il a roulé. Agressif plus que stratégique, généreux plus qu'économe, actif plus qu'attentif. «Je suis fier d'avoir pu faire cela et de quand même obtenir un bon résultat, dit Hesjedal. Plusieurs de mes compétiteurs et de mes pairs respectent encore plus la façon dont je cours. C'est aussi important pour moi. Dans le cyclisme professionnel, il y a beaucoup plus que le classement final sur une feuille de papier.»

Les fans de vélo québécois seront heureux de le voir mettre cette philosophie à l'épreuve dans le Vieux-Québec et sur le mont Royal.