Steve Bauer n'a jamais eu froid aux yeux. Au début des années 80, il avait dit à son entraîneur Pierre Hutsebault: «J'ai deux jambes comme Bernard Hinault, je peux aussi bien faire que lui.»

Depuis deux ans, Hutsebault travaille avec un jeune cycliste bâti dans le même moule: Guillaume Boivin, 21 ans. «Guillaume se voit comme un champion, dit le vétéran entraîneur. J'appellerais ça de la confiance tranquille. Ce n'est pas de la fanfaronnade. Il est juste confiant.»

Boivin s'est donc présenté aux Championnats du monde de Geelong, en Australie, avec un but: gagner. Il est passé bien près. Le cycliste de Longueuil a causé la surprise en remportant hier la médaille de bronze de la course sur route des moins de 23 ans.

«C'est sûr que je suis quand même fier de ce que j'ai accompli, mais mon objectif en venant ici, c'était le maillot arc-en-ciel de champion du monde», a commenté Boivin hier soir (samedi matin heure de l'Australie). «Je n'ai pas réussi à atteindre ça. Quand même, une troisième place, c'est bien. Je vais bâtir là-dessus pour l'an prochain.»

Épaulé par son coéquipier David Boily (16e), Boivin était bien positionné pour le sprint final à 50 coureurs, disputé sur un faux-plat montant. Mais il s'est fait emboîter avec moins de 100 mètres à faire. «Soudainement, je n'avais plus trop de place pour sprinter. À la dernière minute, j'ai vu un trou et j'ai foncé. C'était trop peu trop tard.» Grâce à un ultime coup de rein, il a néanmoins réussi à rejoindre l'Américain Taylor Phinney, dans un sprint qu'il a qualifié de «chaotique». La photo-finish, précise presque au millième de seconde, n'a pu les départager. Après discussions entre chronométreurs et commissaires, la troisième place a été attribuée aux deux coureurs, une première dans l'histoire des championnats du monde, toutes catégories confondues. «Ça a peut-être pris cinq minutes, mais quand tu viens de faire quatre heures intenses sur le vélo, l'attente paraît longue.»

Ironiquement, Boivin a partagé le bronze avec Phinney, grand espoir du cyclisme américain à qui il s'était déjà frotté au Tour de l'Abitibi, en 2007. Les deux sont amis depuis. Le Québécois a conservé la seule médaille disponible. Phinney est déjà champion mondial du contre-la-montre et à la poursuite sur piste. «Comme il en avait déjà quelques-unes, je lui ai dit qu'il pouvait bien me la laisser...»

Bâti comme un hockeyeur

À 1m78, près de 80 kg et des cuisses impressionnantes, Boivin a la morphologie d'un hockeyeur. Il jouait d'ailleurs dans le midget AAA avant de se consacrer au vélo à temps plein. «Il était parmi les meilleurs. Le style d'attaquant qui allait pas mal dans les coins de patinoire», décrit son père, Marc Boivin.

Guillaume a eu la piqûre du vélo en voyant un cousin courir aux Mardis de Lachine. Sollicité par des clubs de la LHJMQ, il a finalement opté pour le cyclisme, comme son jeune frère Pierre-Étienne. Après une douzaine d'années à bourlinguer dans les arénas humides, le papa n'était pas mécontent: «Il avait le choix de se promener à travers la province en autobus pendant deux, trois ans ou de faire le tour du monde en vélo.»

Déterminé, Boivin a pris les grands moyens pour progresser. De 17 à 19 ans, il a passé l'hiver en Belgique pour rouler avec l'équipe junior de Predictor Lotto. Le froid, la pluie, le vent, il connaît. «La Belgique, c'est un pays rude pour le cyclisme, rappelle Hutsebault. Il n'y a pas de cadeau. Ça a forgé son caractère.»

Il a signé son premier grand succès sur la scène nationale en remportant la course des championnats canadiens de Saint-Georges-de-Beauce, à l'été 2009. Cette victoire-surprise lui a valu une invitation comme stagiaire avec l'équipe professionnelle Planet Energy, dirigée par... Steve Bauer.

Sous les mêmes couleurs, Boivin a confirmé son grand potentiel cette saison. En août, il a entre autres fini deuxième du Sparkassen Giro, en Allemagne, devançant l'Allemand Andre Greipel, coureur le plus titré en 2010. Boivin a aussi gagné deux étapes de la Mi-août bretonne, en France. Pour un coureur de sa corpulence, il s'est aussi bien tiré d'affaire lors des deux courses ProTour de Québec et Montréal, le mois dernier.

En Australie, Boivin est devenu le premier Canadien depuis Bauer, médaillé de bronze chez les pros en 1984, à gagner une médaille à une course sur route des Mondiaux.

Bauer, qui a passé la nuit debout pour suivre la course sur son ordinateur, n'a pas été surpris par le résultat de son poulain. «On peut même se demander s'il n'aurait pas pu mieux faire n'eût été d'un malaise à un tendon du genou qui a altéré sa préparation finale pour les courses ProTour», a-t-il souligné.

Comme Bauer

L'ancien maillot jaune au Tour de France n'est pas surpris des comparaisons avec Boivin, un coureur «musculaire» comme lui.

«Côté style, Guillaume a des qualités similaires aux miennes: endurance, punch, attaque, juge Bauer. Il a le moteur tout-terrain. D'une certaine façon, il a peut-être un meilleur sprint final que j'avais.» Ce que confirment les tests menés par Hutsebault: «En situation de course, ce n'est pas tout à fait pareil, mais en laboratoire, il a le niveau des meilleurs sprinters du monde.»

La haute montagne sera sans doute son talon d'Achille. «En situation de montée pure, il a moins de potentiel que moi, dit Bauer. C'est la faiblesse sur laquelle il devra travailler. Mais dans une course d'un jour comme les Mondiaux, les classiques, les pavés, le vent, vous verrez dans l'avenir, il est complet pour n'importe quel style de course.»

S'il fallait le comparer à un coureur, tant Bauer que Hutsebault pensent au Norvégien Thor Hushovd, qui représente d'ailleurs un modèle pour le Québécois.

Avant même sa médaille aux Mondiaux, Boivin avait été remarqué par des équipes du ProTour. Pas d'offres formelles, mais des discussions, dit Hutsebault. Il s'est cependant déjà entendu avec SpiderTech pour les deux prochaines années. À moins d'une surprise, la formation canadienne sera admise à l'échelon Continental Pro, l'antichambre du ProTour.

S'il prône la patience, Bauer voit grand pour Boivin: «Si j'étais lui, je viserais de devenir champion du monde. Comme moi quand j'étais enfant.»