Clara Hughes avait 23 ans lorsqu'elle s'est retrouvée en échappée avec Jeannie Longo aux Jeux olympiques d'Atlanta, en 1996. Chaque coup de pédale de la cycliste française, alors âgée de 37 ans, était la manifestation d'une rare volonté. Hughes se souvient clairement du moment où, cette journée-là, elle s'est dit: «Ça y est, je suis témoin de ce que ça prend pour gagner les Jeux olympiques.»

Presque 15 ans plus tard, Hughes et Longo se retrouveront demain dans le cadre du Chrono Gatineau, une épreuve contre-la-montre sanctionnée par l'Union cycliste internationale.

À 52 ans, Longo poursuit tranquillement la route qui pourrait la mener à ses huitièmes JO, à Londres, l'été prochain. À 38 ans, Hughes revient au cyclisme après une «pause» de huit ans au cours de laquelle elle a décroché un titre et une médaille de bronze olympiques en patinage de vitesse.

«Ah oui, Jeannie sera là? C'est fantastique! Tant qu'elle continuera à courir, j'aurai l'air assez jeune...»

Clara Hughes était de belle humeur quand elle a reçu La Presse, hier midi, dans un petit gymnase de Saint-Henri. Elle venait de terminer une série de tests sous la supervision de son entraîneur Chris Rozdilsky, avec qui elle collabore étroitement depuis son retour sur deux roues, l'automne dernier.

Elle est aussi en grande forme. Ce qui frappe d'abord, c'est sa silhouette. La patineuse a manifestement laissé place à la cycliste. Les données recueillies par Rozdilsky sur un capteur de puissance vont dans le même sens: Hughes a fait des pas de géant depuis neuf mois.

Ses adversaires peuvent en témoigner. Au début du mois, Hughes a gagné sa toute première course sur route en huit ans, le Tour du Gila, au Nouveau-Mexique. Elle a remis ça la semaine suivante en remportant le contre-la-montre et la course sur route des Championnats panaméricains de Medellín, en Colombie.

Au chrono, elle a entre autres devancé l'Américaine Amber Neben, ancienne championne du monde de la spécialité.

Surprise de ces résultats hâtifs? «Non», répond Hughes de façon catégorique. «Parce que c'est mon sport et que j'ai déjà été au plus haut niveau. Je n'y suis pas encore, mais j'y arrive. Je sais comment courir et j'étais bien préparée pour ces courses. Mon objectif était de gagner le contre-la-montre pour obtenir ma place aux Mondiaux. Maintenant, mon prochain objectif est de me préparer pour les Mondiaux.»

Sans compromis

Hughes mijote son retour au vélo depuis longtemps.

La mèche a été allumée lorsqu'elle se préparait pour son rôle d'analyste de cyclisme pour CBC en vue des Jeux de Pékin. À l'automne 2007, elle a consulté les résultats du contre-la-montre des Mondiaux de Stuttgart, remporté par l'Allemande Hanka Kupfernagel, suivie par l'Américaine Kristin Armstrong.

Hughes connaissait bien ces anciennes rivales. Elle s'est tournée vers son mari Peter: «J'aurais pu gagner cette course.» Celui-ci lui a répondu: «Pourquoi tu n'essaies pas?»

Elle a même pensé revenir pour Pékin... jusqu'à ce qu'une semaine d'entraînement particulièrement difficile sur la glace refroidisse ses ardeurs.

Le projet est resté et quand Hughes a gagné le bronze au 3000 mètres à l'anneau olympique de Richmond, elle savait très bien qu'elle retournerait sur un vélo. À ses conditions. Pas question de s'engager avec une équipe. Elle a d'ailleurs refusé quelques offres intéressantes après ses récentes victoires.

«Pour parler franchement, je ne veux pas faire de compromis, explique-t-elle. J'ai été dans le sport pendant 21 ans, et ça peut être un environnement très toxique, en particulier dans le cyclisme. C'est un sport très bizarre et plus je m'y replonge, plus je retrouve des gens bizarres, des névrosés de type A, que je ne choisirais pas de côtoyer.»

Comme André Aubut, l'ex-entraîneur de Geneviève Jeanson? «Oh oui, il est au sommet de la liste. Le nombre de jeunes personnes que cet homme a détruites. C'est atroce.»

Hughes travaillera essentiellement avec l'équipe canadienne et pourrait même participer à des projets de l'équipe du Québec. De cette façon, elle espère servir de modèle à de jeunes cyclistes.

Hughes croit pouvoir démontrer qu'en faisant les choses à sa manière, elle parviendra à de meilleurs résultats. Elle compte appliquer la même recette qui lui a permis de connaître du succès pendant une décennie en patinage de vitesse.

Red Hot

Après un flirt initial, Hughes a définitivement fait une croix sur la piste. Sa participation à la poursuite par équipes aux Mondiaux, en mars, l'en a convaincue. Elle y a côtoyé des athlètes consacrés à 100% à la piste, ce qu'elle ne pouvait se permettre. L'horaire serré des Jeux de Londres l'a aussi dissuadée. «Le contre-la-montre signifie plus pour moi», explique Hughes.

Son expérience sur la piste lui a cependant permis de rencontrer Rozdilsky, un gars aussi exigeant et méticuleux qu'elle et en qui elle croit avoir trouvé le complément parfait. Elle a été impressionnée par son approche. «Il m'a dit: «Je veux que tu m'embauches et je vais tenter de te convaincre que je suis la meilleure personne pour le job. Je vais donc t'écrire une proposition.»

L'offre a pris la forme d'un plan d'une dizaine de pages, dans lequel Rozdilsky détaillait chaque étape jusqu'au 1er août 2012, date du contre-la-montre des Jeux de Londres. Aux yeux de l'entraîneur, Hughes se démarque par sa faculté à se concentrer sur la tâche à accomplir. «Quand on a commencé à travailler ensemble, elle était à 40% du niveau des meilleures au monde. En ce moment, elle est peut-être à 15%», calcule Rozdilsky.

La dernière marge d'amélioration sera bien sûr la plus difficile à atteindre. Il faut cependant compter sur la détermination de Hughes. Dimanche, la pluie et le froid presque hivernal n'ont pas empêché sa sortie quotidienne dans ses terres autour de Glen Sutton. «Je suis revenue à la maison comme un popsicle», dit-elle simplement.

En course, on ne lui marche pas sur les pieds. Une cycliste européenne l'a appris à ses dépens pendant le Tour de Gila. Elle jouait les gros bras dans le peloton jusqu'à ce qu'elle se frotte à Hughes, qui lui a jeté un regard de feu. Ce geste lui a valu un surnom qu'elle revendique fièrement: «Red Hot».

«Je suis à coup sûr un chien alpha! Je ne laisse personne me bousculer», dit Hughes.

La conversation revient sur Longo. Hughes se fait demander si elle s'imagine encore en course à 50 ans. La grande rousse éclate de rire: «Gosh! À 19 ans, je me souviens d'avoir dit précisément qu'il était impossible que je sois encore là à 30 ans. C'était une notion ridicule. Me voici, à 38 ans, faisant un retour. Même pas un retour, la poursuite de cet étrange cheminement athlétique qui m'est propre. Et j'ai l'impression d'avoir 16 ans...»