Michael Barry ne gagnera pas les Grands Prix Cyclistes de Québec et de Montréal. Il serait même étonnant de voir le cycliste canadien finir parmi les 10 premiers des épreuves du circuit WorldTour, qui en seront à leur deuxième présentation vendredi, sur la Grande Allée, et dimanche sur le mont Royal.

Barry aura un autre rôle pour ces deux courses réunissant une bonne partie des meilleurs cyclistes de la planète. Pas le plus visible, mais tout aussi déterminant. À titre de membre de l'équipe britannique Team Sky, il jouera les domestiques pour ses leaders.

Couper le vent à un coéquipier, remonter des bidons de la caravane, chasser pour rejoindre une échappée... À sa 10e saison dans le peloton européen, Barry ne rechigne pas à abattre cette besogne parfois ingrate, loin des projecteurs. Même qu'il y prend le plus grand plaisir.

Parce que c'est son métier, comme il le décrit si bien dans son livre Le Métier, publié l'an dernier aux éditions Rouleur Limited. L'Ontarien de 35 ans y rappelle qu'il n'y a aucun sport comme le cyclisme où un athlète ressent la défaite si souvent. «On a chacun nos propres buts, nos propres lignes d'arrivée, écrit-il. Il y a de la joie dans les difficultés, et ces difficultés deviennent une dépendance enracinée dans l'exaltation.»

Quand même. Barry ne cache pas qu'il aimerait bien performer pour sa première course d'importance en sol canadien depuis les Championnats du monde d'Hamilton, en 2003, où il s'était fait connaître de son public en prenant le septième rang. L'an dernier, deux mois après sa première et seule participation au Tour de France, il avait dû déclarer forfait pour les courses québécoises en raison d'une fracture à une côte et d'une infection subséquente à un poumon.

«Pour être honnête, j'adorerais réaliser une bonne performance sur ces circuits devant une foule canadienne», a confié Barry lors d'une entrevue téléphonique réalisée la semaine dernière. «On a une très bonne équipe. En Edvald (Boasson Hagen, ndlr: deuxième à Québec en 2010) et Simon Gerrans, je crois qu'on a deux des favoris pour les courses. Notre équipe devra donc prendre beaucoup de responsabilités. On devra essayer de mettre la table pour ces gars-là. J'aimerais aller aussi loin que possible et être là dans le final pour l'équipe. Ce serait assez.»

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Au moment de l'entrevue, Barry revenait d'une sortie d'entraînement de 220 kilomètres sur les routes voisinant son chalet, au nord de Toronto. Après deux mois de courses particulièrement fructueux en Europe - entre autres 13e au général du Tour de la Région Wallonne, où il grimpait avec les meilleurs - il se sentait très bien.

Le mois dernier, aux tours d'Eneco, aux Pays-Bas, en Belgique, et dans la région Poitou-Charentes, en France, Sky a mené de bout en bout. Barry calcule avoir roulé bien plus de 1000 km en tête. Une excellente préparation pour ces seules compétitions WorldTour présentées en Amérique: «J'espère que ma forme se maintiendra pour ces deux courses canadiennes.»

Fils d'un immigrant britannique propriétaire d'une boutique de vélo, Barry a toujours baigné dans ce milieu. Pendant que ses amis rêvaient de devenir hockeyeurs, il roulait dans les rues enneigées du centre-ville de Toronto. Le soir, il s'entraînait dans le garage et s'extasiait devant les photos de coureurs des revues de son père.

À 20 ans, il a été le coéquipier de Steve Bauer aux Jeux d'Atlanta en 1996. Avant l'émergence de Ryder Hesjedal, il fut d'ailleurs le meilleur cycliste canadien de sa génération.

Passé pro chez Saturn en 1998, il a porté les couleurs de la US Postal et de la Discovery de Lance Armstrong de 2002 à 2006. Il n'a jamais été invité au Tour de France durant cette période, mais il a disputé cinq fois la Vuelta, une fois le Giro et il a été un acteur-clé de la campagne des classiques printanières.

En 2009, chez Columbia-HTC, Barry a eu le bonheur de mettre la table pour des victoires du sprinter Mark Cavendish au Tour de Californie, à Milan-San Remo et au Giro, ce qui fait partie de ses plus beaux souvenirs. «Si tu le demandais à n'importe qui dans cette équipe, il te dirait que ce furent de grands moments. La même ambiance est en train de se développer chez Sky. On a beaucoup de plaisir ensemble et les résultats sont là.»

Bien qu'il en avait depuis longtemps les capacités, Barry a dû attendre à l'an dernier avant de prendre part à son premier Tour de France, qu'il a complété au 99e rang. Il n'a pas reçu d'invitation cette année après sa participation à un Giro particulièrement éprouvant, où il a terminé 54e.

«Ce fut probablement le Grand Tour le plus dur des 10 dernières années», a-t-il dit, s'appuyant sur les données de son capteur de puissance. «Somme toute, ce fut une bonne saison. Oui, j'aurais adoré être au Tour, mais ce n'est pas la fin du monde non plus.»

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La conversation s'étire. La voix de ses deux garçons de 4 et 6 ans qui s'égosillent en jouant dans l'eau résonne en arrière-plan. On glisse une question sur Floyd Landis, qui a accusé Barry de s'être dopé, dans la foulée de son attaque tous azimuts contre Lance Armstrong. Barry prend une pause pour calmer ses enfants, reprend l'appareil et répète ce qu'il a dit l'an dernier: «Je me suis défendu à ce moment-là et je vais toujours me défendre.»

À l'époque, Barry a répondu à quelques questions de l'Association cycliste canadienne, qui avait donné le mandat d'enquêter au Centre canadien pour l'éthique dans le sport. Le cycliste n'en a plus entendu parler depuis. «Toute cette histoire est simplement triste.»

Il ne peut qu'espérer qu'elle ne lui collerait pas à la peau. Il bénéficiait d'une réputation impeccable avant cette sortie de Landis. Il a entre autres signé des chroniques dans le New York Times, le Times de Londres et le Toronto Star.

Résidant à Gérone, en Espagne, depuis de nombreuses années, Barry disputera «au moins» une autre saison. «J'adore toujours la course, mais ça devient plus compliqué. Mes enfants, ma famille, ma femme (l'ancienne coureuse Dede Demet) me manquent vraiment. C'est très difficile», a-t-il conclu.

Son contrat avec Sky est déjà renouvelé, a-t-il révélé. Si la rumeur se confirme, il y côtoiera Cavendish. De quoi encore s'amuser à jouer les domestiques. De luxe.