Pas toujours facile de conjuguer sport, voyages et études universitaires. Surtout quand on pousse continuellement la machine pour s'améliorer. Mais la sprinteuse Joëlle Numainville a son «système». Elle en a discuté avec notre journaliste le long du canal de Lachine.

Joëlle Numainville a été la première cycliste à accepter l'invitation de La Presse pour la série «En cavale avec...». À la condition qu'on évite Laval, sa ville natale. «Je suis écoeurée de rouler à Laval!» a-t-elle lancé au téléphone.

Rendez-vous fut donc pris au marché Atwater, en bordure du canal de Lachine, par une rare matinée chaude du mois de mai. Numainville arrive avec quelques minutes de retard. La tignasse brune au vent, elle a fière allure dans son tout nouveau maillot blanc et rouge de championne canadienne sur route, que son équipe a tardé à lui faire concevoir. Après tout, sa victoire, remportée à Calgary, remonte à presque un an. Fière de ce titre? La jeune femme de 23 ans hausse les épaules. «Ce n'est pas la fin du monde. Ce n'est pas un maillot de championne du monde», lâche-t-elle.

Le point de départ de la randonnée ne relève pas du hasard. Le studio où elle s'entraîne est situé à quelques centaines de mètres de là. Elle y passe une bonne partie de l'hiver à pédaler sur un rouleau. Les camps au soleil, pas tellement pour elle. Numainville préfère l'environnement et les paramètres contrôlés d'un studio. «Ce n'est pas tout le monde qui adopte cette façon de faire, mais ça fonctionne pour moi», dit-elle.

Même par temps clément, elle ne déteste pas une séance sur rouleau. Ça lui permet de se concentrer sur la tâche à accomplir, sans se soucier des panneaux d'arrêt ou des automobilistes distraits. Quelques jours avant notre rencontre, elle avoue même avoir fait ses intervalles sur le balcon de son chum, rue Saint-Denis, avant d'effectuer le reste de l'entraînement sur la route...

Pour les besoins de la cause, Numainville a choisi un itinéraire bien connu de tous les cyclistes de la métropole: le canal de Lachine et le boulevard du Lakeshore, aller-retour.

La première partie, jusqu'au parc René-Lévesque de Lachine, lui sert généralement d'échauffement. Elle garde constamment un oeil sur son capteur de puissance, outil incontournable de ses entraînements avec la fréquence de pédalage. Jusqu'à tout récemment, son vélo était dépourvu d'odomètre et d'indicateur de vitesse.

Née à Laval d'une mère fonctionnaire et d'un père plombier-entrepreneur, Joëlle Numainville a commencé à faire du vélo de montagne au chalet familial de Val-David. Elle a participé trois fois aux Jeux du Québec, dont une fois en ski de fond. Elle s'est convertie à la route au milieu de l'adolescence, sous les couleurs des Espoirs Laval, club bien connu dans le milieu. «Les montagnes sont rares à Laval», explique-t-elle, sourire en coin.

Douée au sprint, elle a remporté le titre national junior sur route en 2004 avant de doubler route et contre-la-montre en 2005. «J'ai toujours eu de bons finishs, note-t-elle. Là, il faut que ça s'améliore encore plus.»

Numainville s'y est employée l'hiver dernier lors d'un camp avec l'équipe canadienne à Los Angeles. Elle y a reçu les conseils de Gordon Fraser, le meilleur sprinter canadien de l'histoire. Il lui a surtout parlé de synchronisme.

«Des fois, je me fais surprendre, dit-elle. Il faut tout mettre en place. C'est compliqué et stressant: quand partir, le vent, ne pas mettre trop de braquet, bien sentir la vibe du peloton, les forces de ses adversaires, etc. Des sprints, plus tu en fais, meilleure tu es.»

Passé le Vieux-Lachine, Numainville pointe le Dairy Queen. «À partir de là, il y a moins de stops et de voitures. Je peux commencer mes exercices plus spécifiques», explique-t-elle.

Membre de l'équipe américaine Tibco, Numainville parle des difficultés de conjuguer le sport, les voyages et ses études en administration à l'Université du Québec à Montréal.

Elle a son «système». Quand elle part trois semaines en Europe, tout le monde est mis à contribution. Elle laisse des enregistreurs à des collègues étudiants et envoie sa mère ou son frère cadet prendre les notes de cours...

«Mes amis n'en croient par leurs oreilles, mais on s'entraide beaucoup par chez nous, s'amuse Numainville. Mon frère a 17 ans et il va au cégep. Il n'a pas l'air tellement crédible... C'est un peu twisté, mais c'est faisable. C'est mon système et les résultats sont là. J'ai eu un A dans mon cours de finances.»

Depuis cette année, Numainville bénéficie des conseils d'un psychologue sportif. Il l'aide surtout à organiser son horaire. Un échafaudage parfois fragile. «Il y a des moments où tu penses que ça va tout planter et tu veux arrêter ça là, admet-elle. Tu ne te sens pas bien pendant un mois, et puis, d'une manière ou d'une autre, ça arrive.»

Comme au Tour des Flandres féminin, début avril, où Numainville a pris le sixième rang à l'issue d'une course éreintante et nerveuse. En raison de la qualité du peloton, ce résultat figure tout en haut de son palmarès. Elle aimerait l'étayer aux prochains Mondiaux de Copenhague, en septembre, et surtout aux Jeux olympiques de Londres, son objectif ultime, à l'été 2012. Le parcours plat de ces deux épreuves devrait favoriser les sprinteuses comme elle.

La suite de la sortie est plus jolie. Dorval, Pointe-Claire, Beaconsfield et Baie-d'Urfé, avec vue sur les marinas et le lac Saint-Louis. On suit toujours la même route, qui change de nom: chemin Bord-du-Lac, boulevard Beaconsfield, chemin Lakeshore.

Numainville focalise plus sur le temps en selle que sur le kilométrage. Quand elle a atteint la moitié du temps prévu, elle fait demi-tour, souvent à la hauteur de l'Arboretum Morgan, à Senneville. Au retour, elle privilégie la rue Saint-Patrick et son secteur industriel à la piste cyclable du canal de Lachine. Certains conducteurs expriment leur mécontentement en klaxonnant.

Retour à la case départ au marché Atwater. Avant de prendre congé, Numainville indique qu'elle termine normalement ses entraînements par une tournée sur le mont Royal, du côté de Westmount. Ses trois montées de choix: Mount Pleasant, Clarke et Roslyn. Noté dans le calepin, ce sera pour la prochaine fois.