L'histoire n'a pas fait grand bruit au Québec, mais Charles et François Hamelin ont réussi un exploit familial peu commun il y a trois semaines à Vancouver. Sur la future patinoire olympique, les deux frères sont montés sur le même podium lors d'une épreuve de Coupe du monde de patinage de vitesse sur courte piste. Leur père, Yves, directeur du programme national, était dans les gradins du Pacific Coliseum pour les applaudir. Portrait de famille sur deux lames.

Charles Hamelin, 24 ans, était déjà surexcité par sa victoire à ce 1000 mètres de haute volée. Il avait devancé un Coréen et l'Américain Apolo Anton Ohno à l'issue d'une course fertile en rebondissements. Il détachait ses patins quand son frère François est venu lui annoncer une autre bonne nouvelle: il se hissait jusqu'à la troisième place à la suite de la disqualification d'Ohno, double champion olympique.

 

L'étreinte fraternelle a été émotive. «J'ai eu toute de suite les larmes aux yeux. Dans ce genre de situation, ça ne me prend pas grand-chose», se justifie Charles, presque gêné de ce trop-plein d'émotions, sous l'oeil moqueur de son frère cadet.

Dans les gradins, «papa était pas mal fier de ses gars», concède Yves Hamelin, peu porté sur les hyperboles.

Avant la cérémonie des médailles, François, 21 ans, devait presque se pincer. «C'était juste malade, raconte-t-il. Il y avait le fait de monter sur le podium avec Charles... Mais là, c'était à Vancouver, à la première épreuve-test avant les Jeux olympiques. Je me disais: ça ne se peut pas que ça arrive là.»

Le lendemain de cette course, les Hamelin ont uni leurs efforts à ceux de François-Louis Tremblay et Rémi Beaulieu pour gagner l'argent au relais. Quelques minutes plus tôt, la recrue Marianne St-Gelais, la copine de Charles, a gagné sa toute première médaille sur le circuit de la Coupe du monde en finissant deuxième sur 500 m. Au total, le Canada a remporté huit médailles au cours de ce week-end faste.

François le précurseur

Si les Hamelin ont vécu des moments si intenses à Vancouver, ils le doivent en partie à François, qui a entraîné la famille à sa suite, et en partie au hasard.

François et Charles avaient respectivement 5 et 7 ans quand leurs parents leur ont enjoint de s'inscrire à une activité sportive ou récréative. La maman a sorti le bottin des sports de la ville de Sainte-Julie. François a choisi le courte piste, presque au hasard. Il avait déjà patiné et ça lui avait plu. «Mais ça aurait pu être n'importe quoi d'autres», s'amuse-t-il aujourd'hui.

Charles, lui, a opté pour les scouts... ce qui lui vaut aujourd'hui les taquineries de son jeune frère. Mais l'aîné a eu tôt fait de troquer le foulard et la corde à noeuds pour les lames. Mathieu, le cadet de la famille, a lui aussi touché au patinage courte piste avant de se tourner vers le ski et la planche à neige.

Déjà engagé dans le baseball et lui-même grand sportif - ski de fond, course à pied, duathlon - Yves Hamelin a rapidement été invité à se joindre à l'équipe d'entraîneurs du club de Sainte-Julie. Néophyte en patinage de vitesse, ses connaissances des principes de l'entraînement ont cependant beaucoup servi. «J'ai toujours connu mon père qui se faisait des plans d'entraînement», se souvient Charles.

D'abord responsable des tout-petits, Yves Hamelin a gravi les échelons et a gagné ses galons au même rythme que ses fils. En 2000, quand Charles et François ont joint les rangs du club Montréal-International, l'antichambre de l'équipe nationale, le paternel a pris la même route. Il partageait son temps entre l'aréna et un emploi de direction en santé et sécurité du travail chez Bombardier.

Yves Hamelin a pu prendre la véritable mesure du talent de ses fils en les accompagnant lors de championnats du monde juniors. «C'est là que tu commences à sentir, à palper le potentiel», dit-il.

Fait exceptionnel, Charles n'a passé qu'un an à Montréal-International avant d'intégrer le centre national. Il a rapidement fait flèche de tout bois, gagnant entre autres une médaille d'argent aux Jeux de Turin. François et Yves ont suivi en 2006. L'emploi de ce dernier venait tout juste d'être supprimé chez Bombardier quand le poste de directeur de programme s'est libéré après le départ subit de l'entraîneur national Guy Thibault.

Depuis, l'aréna Maurice-Richard est devenu la deuxième maison des Hamelin. Fatigués des longues heures de déplacement, ils se sont d'ailleurs établis à proximité. Yves et François vivent à deux minutes de l'aréna; Charles et sa copine Marianne, à quatre. Les patineurs chérissent les demi-heures de sommeil ainsi gagnées. «On fait tout pour avoir les meilleurs résultats», résume Charles. À l'approche des Jeux de Vancouver, où les frères Hamelin rêvent de répéter leurs exploits, chaque détail compte.

 

Appelez-le Yves

Pour éviter les qu'en-dira-ton, Charles et François Hamelin ont toujours pris soin d'interpeller leur entraîneur de père par son prénom. C'est Yves, sur le terrain de sport comme à la maison.

«C'est devenu une habitude», explique Charles, qui a aussi été dirigé par son père dans le baseball mineur. «Je ne voulais pas que les autres joueurs pensent que j'avais un traitement de faveur parce que mon père était le coach.»

Il y a déjà eu du «chialage» occasionnel de la part de parents jaloux, mais rien de plus, soutient François, qui a été dirigé par son père plus longtemps que Charles. «Je ne m'en rendais pas vraiment compte, explique l'athlète de 21 ans. Pour moi, c'est devenu une habitude. À l'aréna, je le vois comme le directeur, et à la maison, comme mon père.»

Va pour le sport mineur, où les parents-entraîneurs sont légion, mais ça devient plus délicat dans le sport de haut niveau. L'été dernier, Ken Read a même dû démissionner de son poste de président d'Alpin Canada parce que son fils s'apprêtait à intégrer l'équipe nationale. L'influent président se pliait ainsi à un règlement qu'il avait lui-même contribué à mettre en place.

Yves Hamelin n'a jamais eu à vivre cette situation déchirante. Les règlements de Patinage de vitesse Canada prévoient simplement qu'il se retire du comité haute performance avant toute discussion portant sur ses fils Charles et François. Idem pour tout ce qui concerne Marianne St-Gelais, la copine de Charles.