Avec sa chevelure multicolore et son sourire engageant, Anouk Leblanc-Boucher a charmé le Québec en gagnant deux médailles en patinage de vitesse courte piste lors des Jeux olympiques de Turin, en 2006. On l'imaginait déjà briller lors des Jeux de Vancouver en 2010. Mais la vie en a voulu autrement: la patineuse est devenue maman et s'est exilée au fin fond du Nouveau-Brunswick, où elle rêve d'élever... des bisons.

«Il faut monter sur un chemin de terre pendant les deux derniers kilomètres. Quand tu verras l'autobus scolaire à droite, c'est que tu es arrivé. Mais ne descends pas avec ton auto dans le driveway, parce que c'est tout en bouette!»

Les indications que m'avaient données Anouk Leblanc-Boucher au téléphone étaient fidèles à la réalité. Des rigoles de boue courent dans l'herbe, en contrebas de la route. Et l'autobus est bien là, des bûches empilées sous sa carrosserie, la cheminée d'un poêle à bois émergeant d'une fenêtre, dans la grisaille humide de cette journée de novembre.

Plus tôt cette année, la double médaillée olympique en patinage de vitesse courte piste a habité dans cet autobus. Dans une tente, aussi. Mais plus maintenant. Avec son mari et son fils de 18 mois, elle vit aujourd'hui juste en face, dans une modeste cabane de 16 pieds par 14 que le couple a construite de ses mains. L'unique pièce, aux murs de bois aggloméré, est à la fois salon, cuisine, chambre conjugale et chambre de bébé. La toilette? Une bécosse dans la cour.

Triste histoire de déchéance sportive? Deuxième carrière mal préparée? Pas du tout. Anouk Leblanc-Boucher, la pétillante patineuse aux cheveux rouges, blonds et bruns qui avait séduit le Québec en gagnant le bronze au 500 m et l'argent dans le relais, lors des Jeux olympiques de Turin, nous attend avec un grand sourire. Ce n'est pas parce qu'on vit à trois - plus un chat et un magnifique labrador brun - dans moins de 20 mètres carrés qu'on ne peut pas être heureux.

Nous sommes à Upperton, un village perdu quelque part entre Saint-Jean et Moncton, dans le sud-est du Nouveau-Brunswick. Le mari d'Anouk, Thomas English, est originaire de la région. «Upperton, c'est ce qui est écrit sur notre permis de conduire, dit-elle en riant. Ce n'est même pas un village, c'est le genre de place dont tu ressors dès que tu as passé le panneau qui te souhaite la bienvenue!»

C'est ici qu'Anouk Leblanc-Boucher - ou Anouk English, comme elle a pris l'habitude de se faire appeler depuis son mariage avec son copain de longue date - vit depuis qu'une énième blessure à une cheville l'a poussée à la retraite, le printemps dernier. Et c'est ici, sur la terre de 200 acres qu'ils ont achetée en 2007, à l'époque où ils habitaient encore dans Hochelaga-Maisonneuve, qu'elle entend élever sa famille. Laquelle n'a pas fini de s'agrandir : comme le ventre légèrement rebondi de l'ex-patineuse le laisse deviner, le couple attend un deuxième enfant (un autre garçon) cet hiver.

Pour cette fille qui a grandi en pleine nature à Prévost, dans les Laurentides, l'adaptation à sa nouvelle vie n'a pas été trop difficile. Elle ne s'ennuie pas de la grande ville et apprécie de vivre dans un coin de pays où il n'est pas rare d'apercevoir des orignaux, des chevreuils et des coyotes. «Pour moi, ce n'était pas nécessaire d'être sur une terre agricole, mais il fallait assurément que je sois dans le bois. On était entourés de bois quand j'étais petite et on aimait s'y perdre.»

«C'est bien le fun même s'il n'y a pas d'électricité ni d'eau courante, reprend-elle. C'est le retour aux bases. On a une génératrice et un petit panneau solaire pour le courant et on va chercher notre eau avec des bouteilles dans une source, à quelques kilomètres d'ici.»

À flanc de coteau, leur terre traverse une vallée au coeur de laquelle se trouve une ancienne mine de potasse, aujourd'hui fermée. Juste à côté de leur maison, une épaisse végétation camoufle les fondations de pierre d'un vieux bâtiment de ferme depuis longtemps disparu.

La terre est densément boisée. Leur objectif est d'en défricher quatre ou cinq acres d'ici deux ans, pour dégager un petit pâturage. Boucher de profession, Thomas espère se lancer dans l'élevage de bisons, comme un des oncles d'Anouk le fait depuis une quinzaine d'années non loin de Québec. «Ce sont des bêtes robustes, qui peuvent manger de tout et rester dehors presque toute l'année. Tout ce qu'il leur faut, c'est un petit abri en cas de tempête de verglas», explique-t-il.

Mère et athlète

En cette journée d'automne, il n'y a pas de verglas, seulement une pluie fine, mais persistante. Dans la petite maison des English, un poêle diffuse toutefois une chaleur agréable. Un chef-d'oeuvre de recyclage, cette maison : les portes et fenêtres viennent de la résidence d'une tante de Thomas, le plancher et les armoires de bois de chez sa mère et le dessus de comptoir de chez son père. Rien ne se perd, rien ne se crée.

Le long du mur, une télé noir et blanc trône sur une petite table, à côté du lit de bébé où, à notre arrivée, le petit William est endormi.

La grossesse inattendue qui a mené à l'arrivée de son premier-né n'a rien à voir avec sa retraite sportive, assure l'ex-patineuse. Elle a repris l'entraînement avec l'équipe nationale, à l'aréna Maurice-Richard, en septembre 2007, trois mois après la naissance de William. «Je m'enlignais pour les Jeux de 2010. J'étais sûre que j'allais revenir sur le circuit de la Coupe du monde après ma grossesse», dit-elle, assurant que la vie de mère n'est en rien incompatible avec celle d'athlète de haut niveau. «C'est totalement faisable de conjuguer les deux. L'entraînement, c'est moins d'heures que de devoir travailler tous les jours de huit à cinq.»

Il y a quand même des inconvénients, reconnaît la nouvelle retraitée. Elle n'a pas pu allaiter aussi longtemps qu'elle l'aurait souhaité, par exemple. Les courtes nuits ne faisaient rien pour alléger la fatigue causée par un programme d'entraînement rigoureux. Sans compter le défi de reprendre son poids normal après sa grossesse.

Au bout du compte, c'est l'usure de son corps, et non les défis de la maternité, qui l'a incitée à tirer un trait sur sa carrière. En février, alors qu'elle se préparait en vue des sélections nationales, elle s'est foulé la cheville droite. Déjà victime de plusieurs blessures aux deux chevilles au fil des années, Leblanc-Boucher a fini par s'avouer qu'elle n'avait plus envie de passer à travers le douloureux processus de réhabilitation.

«Ça m'a pris un bon mois et demi pour décider ce que j'allais faire. J'ai souvent fait de la physiothérapie et je savais que j'en avais pour un bout. Je connaissais les étapes et c'est ça le plus décourageant.»

Elle ne cache pas qu'elle a trouvé «assez difficile» de regarder les Jeux olympiques de Pékin à la télé. «Ça faisait drôle, bizarre. Je savais ce que ressentaient les athlètes. Ça m'a fait un petit quelque chose.» Elle s'est d'ailleurs prise à regretter que le programme de bonis aux médaillés créé il y a un an par la Comité olympique canadien n'ait pas existé à l'époque des Jeux de Turin. «Ça m'aurait rapporté 25 000 $. De quoi verser une mise de fonds intéressante pour notre terre!»

Elle dit ne pas remettre en question sa décision de quitter le sport. Mais on sent qu'un sentiment d'inachèvement l'habite. «Le stress des compétitions ne me manque pas, mais j'aimais sentir l'adrénaline monter en moi», dit-elle. Les Jeux de Vancouver, dans à peine plus d'un an, semblent franchement inaccessibles. Les délais sont tout simplement trop courts. Mais pourquoi pas les Jeux de Sochi, en 2014? Elle n'aurait pas encore 30 ans. Son ancienne coéquipière Marie-Ève Drolet, qui avait pris sa retraite après les Jeux de Salt Lake City, en 2002, ne vient-elle pas de renouer avec la compétition après six ans d'absence des patinoires?

Elle répond prudemment. «Je ne ferme pas la porte, mais de là à le faire, avec deux jeunes enfants...» Le sourire dans sa voix montre toutefois que le désir est encore là. Rien de surprenant. Les défis ne lui ont jamais fait peur, comme en témoigne l'aventure agricole dans laquelle Thomas et elle se sont lancés.

Une chose est certaine : sa nouvelle vie la force à garder la forme. «Chaque jour, je transporte de grosses affaires, je ramasse des grosses bûches. Non, ça se ferait. Je sais ce qu'est un programme d'entraînement. Ce serait comme dans Rocky