En France, le patinage de vitesse ne retient l'attention qu'aux quatre ans, pendant les Jeux olympiques. Et encore, ça reste un sport mineur. Cela n'a pas empêché Sébastien Cros de se développer comme patineur, puis comme entraîneur. Il est aujourd'hui à la tête de l'équipe féminine canadienne de courte piste, qui amorce sa saison de Coupe du monde, aujourd'hui, à Pékin. Les attentes sont énormes, mais Cros les anticipe avec sérénité. Petite histoire d'un itinéraire atypique.

Kalyna Roberge vante son charisme. Tania Vicent lui témoigne une confiance absolue. Valérie Maltais et Marianne St-Gelais ont multiplié les succès avec lui sur la scène mondiale junior. L'entraîneur Sébastien Cros fait l'unanimité au sein de l'équipe canadienne de patinage de vitesse courte piste.

Originaire de Grenoble, Cros a abouti par hasard dans ce sport méconnu. Il avait 7 ans quand il s'est présenté à la journée d'inscription pour les activités sportives de sa ville. Une table était déserte, celle du patinage de vitesse. Il aimait la vitesse et il patinait déjà. Il avait trouvé sa voie.

Dans des infrastructures modestes, il a gravi les échelons jusqu'à l'équipe de France, en 1992. Cette année-là, le patinage de vitesse courte piste faisait son entrée officielle aux Jeux olympiques d'Albertville. Classé sixième Français, Cros a raté sa sélection par une place. «Du coup, je me suis retrouvé ramasseur de blocs», sourit-il en entrevue.

Aux Jeux de Lillehammer, en 1994, les Français n'avaient droit qu'à un seul représentant. Cros était vice-champion national. Et rebelote. Pour les Jeux de Nagano, en 1998, il a simplement manqué son coup.

Sentant qu'il plafonnait, Cros a songé à partir s'entraîner à Calgary, mais faute de moyens, il a laissé tomber.

Or l'idée de devenir entraîneur avait déjà commencé à germer. Son contact avec plusieurs entraîneurs inspirants, dont le Québécois Yves Nadeau, ont alimenté ce désir. Entraîneur-chef canadien à la glorieuse époque des Sylvie Daigle, Nathalie Lambert et des frères Daignault, Nadeau a ensuite dirigé l'équipe de France, de 1995 à 1998. «Tu es Français et, d'un coup, un entraîneur canadien arrive. C'est assez magique comme truc», se souvient Cros.

Rapidement, il est devenu entraîneur junior national. Il donnait aussi un coup de main à Yves Nadeau lors de camps de la fédération internationale destinés aux pays en émergence.

Avec des entraîneurs de tous les horizons

Parallèlement, il a décroché un brevet d'éducateur sportif à l'Institut national du sport et de l'éducation physique de Paris. Pendant six ans, il y a côtoyé des entraîneurs de tous les horizons. «Ça donne une vision plus globale et ça permet de ne pas être bloqué à la culture de ta discipline», souligne-t-il.

En 2002, Cros a été promu entraîneur-chef de l'équipe de France. Il a connu un succès inégalé, qui a culminé avec une cinquième place du relais féminin aux derniers Jeux de Turin, en 2006.

Un an plus tard, il a senti avoir fait le tour du jardin. Des désaccords avec les décideurs de l'omnipotente Fédération française des sports de glace l'ont aussi refroidi.

Cros songeait même à se recycler quand il a entendu que le Canada se cherchait un entraîneur pour l'équipe féminine de développement. Au même moment, Guy Thibault, directeur haute performance de la fédération américaine, a voulu l'embaucher pour diriger son centre de développement au Michigan.

Finalement, le Canada a prévalu. À l'été 2007, il s'est donc installé dans les pyramides de l'ancien village olympique avec sa femme et leur petite fille, qui a aujourd'hui 2 ans et demi.

«Recommencer avec des juniors m'intéressait, indique l'entraîneur de 33 ans. Le côté éducateur sportif, c'est ce qui m'intéressait dès le départ. Bien sûr, dans le sport de haut niveau, il y a la petite étincelle, mais ce qui est intéressant, c'est toute la relation derrière ça. Tu partages quelque chose, une aventure. Ça dure un certain temps, mais tu vis dans le sport de haut niveau des choses qui resteront toute ta vie.»

Le sport de tous les espoirs

À la suite du départ subit de Martin Gagné au printemps dernier, Cros a été promu à la tête de l'équipe féminine senior. Toute une commande à moins d'un an des Jeux olympiques de Vancouver, où le patinage de vitesse sera la discipline de tous les espoirs pour le Canada.

À titre d'étranger, Cros croit bénéficier d'un avantage par rapport à ses collègues canadiens. «Ça me permet de prendre un peu plus de recul par rapport aux attentes», croit-il.

Mais il ne faut pas se méprendre: Cros est prêt à accepter la pression. D'ailleurs, il se reconnaît bien dans la nouvelle philosophie du système sportif canadien, axée sur les résultats et la performance.

À son arrivée au pays, il avait été surpris de constater la mentalité de certains athlètes. «Même si j'ai une attitude relaxe, j'aime quand même la compétition, explique Cros. En France, on a tendance à avoir une attitude un peu plus guerrière. Ici, c'est un peu 'ouais, on a participé, c'est bien, on a fait ce qu'on peut'.»

À ses yeux, il s'agit là d'un inutile faux-fuyant servant à éviter les déceptions. Alors, une, quatre, huit médailles à Vancouver? Le Français refuse de se prononcer, laissant ces prévisions aux journalistes et dirigeants des fédérations. «Psychologiquement, c'est aussi une façon de se limiter, pense-t-il. On y va en étant déterminé et avec l'envie de gagner chaque course. Ça permet d'ouvrir des perspectives qu'on aurait pu fermer.»

De toute façon, personne n'est à l'abri de mauvaises surprises en patinage courte piste. «Si on se plante, ce sera un échec, c'est clair, prévient toutefois Cros. Sauf que ma mentalité n'est pas de penser à ce qui arrivera si on se plante, mais plutôt: 'putain que ça va être bien si ça marche!'»