Bien avant la grève de 1994, c'est au début des années 80 que s'est amorcé le déclin des Expos qui a mené au transfert de l'équipe à Washington en 2004.

C'est ce que soutient le journaliste sportif Alain Usereau dans son livre intitulé L'époque glorieuse des Expos, un ouvrage bien documenté de 332 pages publié aux Editions LER.

La grève des joueurs des ligues majeures, déclenchée en août 1994 alors que les Expos se dirigeaient vers la Série mondiale, puis la vente de feu du printemps 1995 qui a suivi avec les départs de Larry Walker, John Wetteland, Ken Hill et Marquis Grissom, ont causé un tort irréparable à la concession montréalaise.

Mais Usereau rappelle que les Expos avaient jeté les bases de la frustration qui a causé leur perte en se détruisant eux-mêmes, une quinzaine d'années plus tôt, quand ils étaient étiquetés comme l'équipe des années 80 et que plus de deux millions de spectateurs par année les encourageaient au Stade olympique.

«Les Expos n'ont jamais été capables de ramener les gens dans le stade en aussi grand nombre, dit-il. C'était comme s'il s'était installé un sentiment d'écoeurement. Ils ne s'en sont jamais remis.

«En 1982, poursuit-il, ils se sont détruits eux-mêmes. Les attentes étaient élevées après la saison 1981. Lassés des promesses non tenues, les amateurs ont ensuite délaissé le Stade olympique après les échecs de 1982 et 1983.»

C'était l'époque du «fun dans le stade', le slogan efficace du vice-président au marketing Roger D. Landry, les premières années d'existence de Youppi, le successeur de Souki, dont la tête était une balle de baseball et qui faisait peur aux enfants (!), les nombreux roulants au deuxième but de Tommy Hutton, le frappeur suppléant préféré du gérant Dick Williams, les surdoués un peu fous mais sympatiques qu'étaient Ellis Valentine, Rodney Scott, Bill Lee, sans oublier Gary Carter, Andre Dawson, Larry Parrish, Steve Rogers, Warren Cromartie, Woodie Fryman, Tim Raines...

En fait, les Expos étaient aussi populaires, sinon davantage, que le Canadien. Et ils n'avaient, visiblement, aucun problème d'argent. Charles Bronfman, qui adorait le baseball, était le propriétaire de l'équipe et selon le président John McHale, ils «avaient le meilleur contrat de télévision dans les majeures».

Confrontés à un trop grand nombre de programmes doubles, les Expos ont été devancés par les Pirates de Pittsburgh en 1979, puis ils ont été éliminés en 1980 par les Phillies de Philadelphie à la suite du circuit de Mike Schmidt contre Stan Bahnsen.

Lors de la Série de championnat de la Ligue nationale en 1981, les Expos ont ensuite été battus en cinq matchs par les Dodgers de Los Angeles. Et comme la saison précédente, ce fut par un circuit, un coup de Rick Monday en neuvième contre Steve Rogers, qui avait été envoyé au monticule parce que le releveur no 1 Jeff Reardon avait mal au dos.

«Leur échec, ce ne fut pas d'avoir été incapables d'accéder à la Série mondiale, affirme Usereau. Ils ont été battus par de bonnes équipes. Elles étaient plus expérimentées. C'est indéniable.»

C'était l'époque des drogues dans le baseball majeur - huit joueurs des Expos en consommaient en 1982, selon John McHale.

Mais selon Usereau, ce ne fut pas le seul facteur déterminant. La direction a aussi pris plusieurs décisions contestables - comme le maintien de Jim Fanning à la barre, puis la nomination de Bill Virdon en 1983, l'échange de Larry Parrish, les congédiements de Rodney Scott et Bill Lee, le départ en décembre 2004 du populaire Gary Carter, qui devait remporter la Série mondiale avec les Mets de New York deux ans plus tard.

Et tout cela pendant que le Canadien retrouvait son public, d'abord avec la nomination de Jacques Lemaire comme entraîneur-chef, puis en faisant la conquête de la coupe Stanley en 1986, la première année de Patrick Roy devant le filet.

«Il est injuste, insiste Usereau, de blâmer uniquement Tim Raines (qui avait reconnu après la saison avoir pris de la drogue) pour le fiasco de 1982. Parrish était leur leader et ils l'ont échangé, aveuglés par le besoin d'avoir un frappeur gaucher (Al Oliver). Ils ne savaient pas ce qu'ils avaient dans les mains. De plus, ils ont aseptisé l'équipe en congédiant Rodney Scott et Bill Lee, et ils se sont aussi éloignés de ce qu'ils faisaient le mieux - le développement des joueurs.»

Pour étayer ce qu'il avance, Usereau a interviewé depuis janvier 2005 un grand nombre d'anciens joueurs et membres de la direction des Expos, incluant Charles Bronfman, John McHale, Jim Fanning et Monique Giroux, la directrice des relations avec les médias. En plus de consulter une quantité industrielle de journaux, il a lu les biographies publiées par Carter, Dawson, Lee, Cromartie et Williams, entre autres.

Son livre comprend notamment quelques révélations étonnantes, comme celle de Bob James, un releveur qu'on disait promis à un bel avenir, qui reconnaît que sa progression vers les ligues majeures a été ralentie par sa consommation de drogues.

Et bien sûr, il consacre plusieurs pages au voltigeur de droite Ellis Valentine, dont la carrière a été ruinée par les drogues et que McHale considérait comme son fils.