La vente d’une concession sportive est un processus assez prévisible. Le propriétaire meurt ou il ne parvient pas à céder l’équipe à sa famille. Il manque d’argent, se tourne vers d’autres activités ou est poussé vers la sortie pour cause de mauvaise conduite.

Une fois la décision prise, tout est relativement public. Des banquiers sont engagés, des acheteurs potentiels se manifestent, il y a des enchères et les journaux écrivent là-dessus durant des semaines et des mois.

La surprise a donc été totale le mois dernier quand les familles qui contrôlent les casinos Las Vegas Sands ont annoncé l’achat d’une participation majoritaire dans les Mavericks de Dallas. Personne n’a vu venir cet évènement, mais il faut dire que le vendeur, Mark Cuban, a toujours dirigé les Mavericks de façon peu conventionnelle.

Pourtant, deux semaines plus tard, la question fondamentale – pourquoi ? – demeure sans réponse. Le volubile Cuban, qui semble toujours s’amuser plus que tout autre propriétaire, a refusé de s’exprimer dans le cadre de cet article. Les familles Adelson et Dumont, soucieuses de ne pas devancer l’approbation de la NBA – qui comprend une vérification préalable et un vote par les autres propriétaires –, s’en sont tenues à une déclaration exprimant leur enthousiasme.

Quoi qu’il en soit, cette transaction ouvre une fenêtre sur l’évolution rapide du sport professionnel comme secteur économique.

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Mark Cuban espère gagner des milliards en vendant la majorité des actions d’une équipe qu’il a payée 285 millions en 2000, tout en conservant les fonctions du propriétaire auxquelles il tient le plus.

Le sport professionnel a changé

Quand M. Cuban a acheté les Mavericks en 2000 – grâce à l’argent fait en vendant Broadcast.com juste avant l’éclatement de la bulle des point-com (dot-coms) –, les concessions sportives étaient encore juste cela : des équipes de sport.

Aujourd’hui, les concessions de sport professionnel sont le point d’ancrage d’entreprises bien plus grandes. Elles occupent des arénas faisant partie de vastes complexes de divertissement, comme à Sacramento. Elles génèrent du contenu pour des conglomérats médiatiques régionaux, comme à Washington. Elles sont l’appât de millions de partisans nouvellement autorisés à parier sur le sport, comme à Phoenix.

M. Cuban porte plusieurs chapeaux : milliardaire de l’internet, entrepreneur pharmaceutique qui veut réduire le prix des médicaments (avec Cost Plus Drugs) et, pour une saison encore, un des investisseurs de l’émission Shark Tank (le Dans l’œil du dragon américain). Mais être un magnat de l’immobilier manque à son tableau, ce qui pourrait expliquer la vente.

Les Mavericks sont actionnaires de l’American Airlines Center, qu’ils partagent avec les Stars de Dallas, de la LNH, dans le quartier Victory Park, dans le nord de la ville. Quand les propriétaires des Stars ont acheté des terrains près de l’aréna, M. Cuban s’en est montré contrarié, puisque leur développement réduira les places de stationnement des partisans. Aujourd’hui, il change de cap.

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Les Mavericks partagent leur aréna avec les Stars de Dallas. Mark Cuban semble rêver d’un aréna qui serait jumelé à un casino et à un grand complexe hôtelier et immobilier.

« Cuban veut probablement imiter ce qui se fait ailleurs, être actionnaire de contrôle [de son aréna] – ce qu’il n’est pas à Victory Park – et y intégrer un casino et un complexe hôtelier », croit Robert Sroka, professeur d’administration sportive à l’Université d’État de Géorgie et consultant en développement d’installations sportives.

L’an dernier, M. Cuban a révélé au journal Dallas Morning News son projet de s’associer à Sands pour construire un nouvel aréna, un casino et « un énorme complexe hôtelier dans la ville de Dallas ».

Posséder une part d’un tel complexe serait bien plus payant pour M. Cuban que les ventes de billets et les concessions de l’aréna actuel. Mais il y a un obstacle de taille (en plus de financer l’achat du terrain aux taux actuels et obtenir les autorisations de construction) : presque tous les jeux d’argent sont illégaux au Texas et rien n’indique que cela va changer.

Un projet de loi visant à légaliser le pari sportif a été adopté par la Chambre des représentants du Texas cette année, mais le lieutenant-gouverneur Dan Patrick a bloqué son envoi au Sénat. Même si le Sénat ratifiait ce projet de loi, les habitants du Texas devraient se prononcer.

Des dizaines de lobbyistes au travail

Un projet de loi autorisant les casinos, encore plus férocement dénoncé par d’influents religieux conservateurs, n’a jamais été adopté par la Chambre des représentants. Légaliser le pari sportif serait lucratif pour les équipes, mais c’est la légalisation des casinos dont M. Cuban a absolument besoin pour réaliser son projet de destination sport et jeu. Sands, qui possède des casinos à Macao et à Singapour, mais aucun aux États-Unis, a engagé des dizaines de lobbyistes pour faire adopter une telle loi ces dernières années.

M. Cuban possède environ les trois quarts des Mavericks ; le reste appartient à une poignée d’actionnaires minoritaires. Après la vente, il en détiendra environ un quart et les familles Adelson et Dumont près des trois quarts, la fraction restante étant répartie entre quelques petits actionnaires, selon deux personnes au fait du contrat s’exprimant sous le couvert de l’anonymat.

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Miriam Adelson, actionnaire de contrôle des casinos Las Vegas Sands, et son mari Sheldon, aujourd’hui disparu, lors d’un discours du président Donald Trump en 2019 en Floride. Mme Adelson et une autre famille sont en train d’acheter une participation majoritaire des Mavericks de Dallas.

La vente aux Adelson et aux Dumont comporte une clause inhabituelle : M. Cuban continuera à diriger les opérations basketball.

Patrick Dumont, gendre de Miriam Adelson et de feu Sheldon Adelson, sera le gouverneur de l’équipe et votera sur les enjeux concernant la ligue. Mais côté sport, c’est Cuban qui mènera la barque.

Cuban semble donc parier qu’il gagnera des milliards grâce à une équipe qu’il a payée 285 millions en 2000 et qu’il conservera les fonctions du propriétaire auxquelles il tient le plus. Bref, si l’influence et l’argent des Adelson et de Sands permettent d’obtenir un nouvel aréna et un casino, son quart de l’équipe pourrait un jour valoir autant que les trois quarts qu’il possédait auparavant.

Pour M. Cuban, la vente pourrait aussi amortir la diminution attendue des revenus télé locaux. Le détenteur de ces droits, Diamond Sports Groups, a déclaré faillite.

« Je pense qu’un nouvel aréna, une zone immobilière et, je l’espère, un casino peuvent remplacer ce que nous perdons en diffusion et financer les Mavs actuels et futurs », a indiqué par courriel M. Cuban à une station télé de Dallas le mois dernier.

Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras

À 1700 kilomètres à l’ouest, à Las Vegas, la transaction chamboule la course à l’obtention d’une concession de la NBA. La famille Adelson était favorite, mais elle a choisi Dallas.

Officiellement, rien ne garantit que Las Vegas aura son équipe, mais on s’attend à ce que la NBA passe bientôt de 30 à 32 équipes. L’été dernier, le commissaire Adam Silver a déclaré que la ligue étudierait une éventuelle expansion en 2024, après avoir conclu de nouveaux accords avec les médias. Ajouter des équipes n’est pas décidé, mais le cas échéant, Las Vegas et Seattle seraient considérés, a-t-il dit.

Cet article a été publié dans le New York Times.

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