Ce n’est pas la plus sophistiquée des analyses géopolitiques, mais elle a le mérite d’être claire : « Je suis désolé pour les Russes et la Russie, mais en tout cas, c’est eux qui font le bordel », a déclaré le joueur de tennis français Benoît Paire, mardi, à Roland-Garros.

Oui, c’est la Russie qui fait le « bordel », qui agresse sans raison un pays souverain, qui bombarde, tue, brise des vies, sépare les familles, provoque la douleur, commet des agressions d’une violence et d’une horreur sans nom.

Alors ne comptez pas sur moi pour pleurer sur le sort d’athlètes russes et biélorusses dont la plus lourde sanction est d’être interdits de participation au tournoi de Wimbledon cet été. Il y a plus grave, beaucoup plus grave.

Toute cette histoire a rebondi la semaine dernière lorsque l’ATP et la WTA, les deux organisations représentant les joueurs et les joueuses professionnels, ont lancé une contre-attaque contre les dirigeants de Wimbledon.

Le mois dernier, ceux-ci ont annoncé que les Russes et les Biélorusses ne seront pas admis au tournoi de cette année en raison de l’agression « injustifiée et sans précédent » de la Russie en Ukraine, avec l’appui de son alliée biélorusse. Il serait « inacceptable que le régime russe tire le moindre bénéfice de la participation de joueurs russes ou biélorusses » au tournoi, ont-ils alors expliqué.

Dès le départ, l’ATP et la WTA se sont vigoureusement opposées à cette décision qui, selon elles, représente une discrimination inacceptable. En représailles, elles ont décidé de ne pas accorder de points de classement aux joueurs qui participeront au tournoi, affirmant que leurs règles ont pour objet de protéger « les droits de tous les joueurs ».

J’espère que Wimbledon demeurera ferme dans ses convictions et ne reculera pas devant cette pression de l’ATP et de la WTA. Dans ce dossier, ces deux organisations, invoquant la défense d’un principe noble (la non-discrimination), servent paradoxalement les intérêts du Kremlin, qui dénonce les sanctions envers ses athlètes et dont l’objectif demeure de diviser le monde occidental. Choix regrettable, dont l’ATP et la WTA n’ont peut-être pas mesuré toutes les conséquences néfastes.

Pour préserver les intérêts d’un petit nombre de joueurs russes et biélorusses, l’ATP et la WTA punissent donc des dizaines et des dizaines de joueurs d’autres nationalités, qui ne récolteront pas de points au classement même s’ils obtiennent du succès à Wimbledon.

Ces joueurs sont-ils heureux d’être traités ainsi au soutien d’un principe qui profite aux joueurs russes et biélorusses ? Aiment-ils être conscrits de cette manière ? Ont-ils vraiment été consultés ?

L’ATP et la WTA envoient aussi un affreux message de non-solidarité envers leurs membres ukrainiens. Dans mon esprit, il s’agit d’une aberration et d’une position indéfendable au moment où le monde libre se mobilise pour lutter contre cette agression et sanctionner les coupables.

En montrant ainsi les dents envers Wimbledon, l’ATP et la WTA veulent sans doute aussi faire pression sur les promoteurs des autres tournois. Cela fonctionnera peut-être.

Voilà pourquoi je salue le courage des dirigeants de Wimbledon qui se tiennent debout, seuls, dans la tempête. Leur appui au peuple ukrainien se transpose en gestes concrets et non pas, à l’image de l’ATP et de la WTA, en phrases bien tournées dans des communiqués de presse.

Ma position, je le sais déjà, ne fait pas l’unanimité. On arguera que les athlètes russes et biélorusses n’ont pas à payer pour les actes des décideurs du Kremlin et qu’une punition collective est malavisée.

Cette thèse ne me convainc pas. La véritable « punition collective », ce sont les courageux Ukrainiens qui la subissent dans leur âme et leur chair depuis le 24 février. Pour mettre un terme à cette terrible agression, il faut un maximum de sanctions.

Ces sanctions visent malheureusement de véritables héros, c’est-à-dire tous ces Russes qui, demeurés dans leur pays, s’opposent à cette guerre absurde au risque de perdre leur liberté. Bien sûr, il est impossible d’exclure ces braves de la pression imposée à toute la Russie. Ils en paient un prix immense même s’ils ne le méritent pas.

Dans ce contexte, comment défendre à tout prix le droit des athlètes russes et biélorusses de participer à des compétitions internationales ? Est-ce simplement parce qu’ils nous divertissent ? Parce que nous aimons les voir jouer ? Parce que nous voudrions que le sport soit à l’abri de toute considération politique et guerrière ? Désolé, les choses ne peuvent fonctionner ainsi.

Oui, les joueurs russes et biélorusses deviennent des victimes sur la scène internationale. Oui, ils paient pour les actes de leurs dirigeants. C’est regrettable.

Mais comme le dit Paire, on sait tous qui a foutu le « bordel ». C’est le Kremlin qui met en péril la paix mondiale et évoque l’utilisation d’armes nucléaires. La situation est si inquiétante que la Finlande et la Suède ont demandé leur adhésion à l’OTAN.

PHOTO FABRICE COFFRINI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Benoît Paire

Quant au tournoi de Wimbledon, la décision de l’ATP et la WTA ne le transforme pas subitement en simple tournoi « amical », sans réel enjeu, comme l’avancent certains observateurs. Le prestige de Wimbledon n’est pas lié aux points disponibles au classement, mais à sa riche histoire. Gagner Wimbledon demeurera un exploit considérable et les cotes d’écoute à la télé seront au rendez-vous.

Paire, qui n’a jamais eu la langue dans sa poche – cela lui a parfois causé des ennuis –, soutient que la décision de l’ATP ne fait pas le bonheur de tous les joueurs.

Sur le site du quotidien français L’Équipe, on lit le reste de sa déclaration : « J’en parle dans le vestiaire : 99 % des joueurs veulent des points et jouer un tournoi normal. Donc j’ai du mal à comprendre si l’ATP défend les joueurs ou la Russie. »

Bonne question.

En voulant préserver leur indépendance face à Wimbledon, l’ATP et la WTA ont choisi le mauvais camp et perdu le combat éthique.