Les pourboires sont désormais communs dans les boulangeries, les garages et les comptoirs pour emporter. Alors, pourquoi ne pas en verser un à Cole Caufield après un but gagnant ?

Wô, wô, wô, calmez-vous. Ne me lancez pas tous vos Corn Pops en même temps. J’ai compris. Jamais ne donnerez-vous de cadeau à un athlète qui gagne 25, 50 ou 100 fois votre salaire annuel. Mais sachez qu’à une autre époque, les partisans puisaient régulièrement dans leurs poches pour récompenser leurs joueurs préférés. Cette pratique fut très bien documentée dans La Presse. Parfois même dans la une du journal, comme dans le numéro du 4 août 1910.

Le National de Montréal s’apprêtait alors à disputer une importante partie de crosse face aux Tecumsehs de Toronto. Le National, c’était énorme. L’équivalent du Canadien, aujourd’hui. Pour stimuler les joueurs, des partisans montréalais s’étaient engagés à leur verser des cadeaux en cas de victoire. La liste fut publiée en manchette de La Presse, à côté d’une dépêche sur une révolte au Honduras.

Charles-Auguste Bolté promettait 10 $. Armand Gravel ? Une boîte de 50 cigares, à diviser entre les joueurs. Élie Duchesne ? Une chaise, à être tirée au hasard parmi les gagnants.

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Une liste des cadeaux promis par des partisans à des joueurs du National de Montréal

Plus la date du match approchait, plus la liste s’allongeait. Le lendemain, M. Hudon, tailleur, offrait un pardessus d’automne. M. Stroud, marchand de café, proposait « un service de toilette de fantaisie, à être tiré au sort entre les joueurs qui n’auront rien reçu ». Même La Presse avait puisé dans sa petite caisse, pour offrir 10 $ en or à chacun des vainqueurs.

Vérification faite : la réserve d’or de La Presse n’existe plus.

Et le National s’est incliné.

L’année suivante, lorsque le National a pris sa revanche face aux Tecumsehs, les supporteurs ont couvert les joueurs de cadeaux. Un partisan particulièrement satisfait a même remis une tonne de charbon au gardien de but Édouard L’Heureux !

Bien sûr, les joueurs de crosse du National ne touchaient pas des millions par saison. Mais ceux du Canadien, eux, étaient bien rémunérés. Les vedettes du club recevaient plus de 1000 $ [25 000 $ en dollars courants] pour une saison de quatre mois. Des salaires que La Presse qualifiait alors de « fantaisistes ». Ça ne freinait pas l’envie des amateurs de les chouchouter, eux aussi.

En 1912, des admirateurs de Didier Pitre se sont cotisés pour « le récompenser du beau travail qu’il a fait dans les trois dernières joutes de la saison ». Ils lui ont offert l’objet le plus convoité du moment : une voiture. Pour vous donner une idée, même la police de Montréal n’en possédait pas encore.

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La voiture offerte à Didier Pitre par des partisans du Canadien

« Pitre, écrit le journaliste de La Presse, a accompli beaucoup de bonne besogne cette saison. Il a joué dans des conditions particulièrement difficiles, et méritait bien cette marque de reconnaissance de la part de ses amis. Il va sans dire que Pitre a été enchanté du cadeau. Rien n’aurait pu lui faire autant plaisir qu’une automobile. »

Entendons-nous, c’était un cadeau exceptionnel. La plupart des offrandes étaient plutôt modestes. Plus semblables aux pourboires d’aujourd’hui. En 1911, un partisan du Canadien promettait d’approvisionner Skinner Poulin en bâtonnets de gomme Tutti Frutti, si le club battait les Sénateurs d’Ottawa. Après une victoire du Tricolore, le chapelier Théo Bonin a remis un chapeau neuf à chaque membre de l’équipe. Les joueurs recevaient aussi des chaussures, des bouteilles de vin, des breloques en or et des petits dons en argent.

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Résumé illustré d’un match du Canadien, paru dans La Presse. Remarquez le chapeau dans le coin supérieur, à gauche.

Ces cadeaux n’étaient pas toujours désintéressés. Il faut se replacer dans le contexte historique ; c’était l’âge d’or du pari sportif. La corruption était rampante. La Série mondiale de 1919 fut marquée par un immense scandale, alors que des joueurs des White Sox de Chicago avaient accepté de l’argent pour perdre. Le hockey n’échappait pas aux rumeurs de pots-de-vin. Les arbitres et les joueurs étaient soupçonnés de truquer les rencontres. Les parieurs multipliaient donc les incitatifs pour motiver les joueurs de leur équipe préférée à se surpasser, comme le rapportait La Presse, en 1915, dans cette dépêche savoureuse.

« Un sportsman de Montréal qui a fait le voyage avec le Canadien, dans un élan d’enthousiasme, a parié 1200 $ au pair sur le Canadien. À son retour à Montréal, il a distribué dans le train 100 $ entre les joueurs du Canadien qui lui avaient fait gagner un si gros montant. Ce même sportsman a déclaré qu’il sera à l’Aréna, ce soir, et qu’il sera prêt à parier 1500 $ sur les chances du Canadien. »

La Première Guerre mondiale, la grande crise économique et les scandales de pari sportif ont ralenti cette pratique. Aujourd’hui, les athlètes reçoivent encore des vêtements, des bijoux et des voitures de luxe, mais c’est généralement dans le cadre d’un partenariat publicitaire.

En fait, depuis la création des plafonds salariaux, serait-ce même possible, pour des partisans, de verser de l’argent aux joueurs ? Par exemple, des millions de partisans du Canadien pourraient-ils se cotiser pour offrir un cadeau de 5 millions à Cole Caufield ?

Étonnamment, la réponse est oui. Sauf que les conditions sont strictes, précise Guillaume Ouimet, du service des communications du Canadien.

Les partisans ont le droit de donner de l’argent à un joueur en cadeau, s’ils le veulent, mais le club n’a pas le droit d’être impliqué d’aucune façon.

Guillaume Ouimet, du service des communications du Canadien

« Si un partisan croise Caufield sur la rue et qu’il veut lui donner un chèque, c’est à Caufield de décider s’il accepte ou non l’argent offert. Les équipes n’ont pas le droit de mettre un partisan en contact avec un joueur pour que celui-ci reçoive de l’argent, ni de s’impliquer dans les échanges de biens. Par exemple : une photo Instagram en échange d’une voiture de location prêtée gratuitement. Les compagnies ou les partisans doivent passer par l’agent ou par le joueur directement. Les équipes ne peuvent pas s’en mêler ou faire quoi que ce soit pour qu’un de leurs joueurs obtienne un bien ou de l’argent supplémentaire. »

Dans la MLS ?

La nouvelle convention collective étant toujours en cours de rédaction, le manitou des chiffres au CF Montréal, Vassili Cremanzidis, ne pouvait citer la règle au mot. Il a toutefois accepté d’offrir sa compréhension de l’esprit du règlement.

Je sais que rien de cela ne peut être initié par le club, ou une entreprise affiliée. Rien ne peut être versé à un joueur à l’extérieur de son contrat, autre que des petites exceptions prévues par la MLS, comme les avantages sociaux.

Vassili Cremanzidis, du CF Montréal

« Ma meilleure hypothèse, ce serait que si le geste n’est pas lié au club, les fans peuvent faire ce qu’ils veulent pour un joueur. Sauf que si les partisans et le joueur font la promotion [du cadeau], ils doivent être prudents avec l’image du club. Si Samuel Piette signe un partenariat avec une compagnie de véhicules, par exemple, il ne peut pas se servir du nom du club ni du logo. »

Sinon, pourquoi pas une application permettant de récompenser un athlète médaillé aux Championnats du monde, ou qualifié pour les Jeux olympiques ?

J’offre une tonne de charbon.

Qui dit mieux ?