L’arrivée de LIV Golf dans notre paysage sportif rappelle, à certains égards, celle de l’Association mondiale de hockey (AMH) en 1972. On retrouve le même désir de bousculer l’ordre établi et de concurrencer de « vieux » circuits, la PGA aujourd’hui et la LNH il y a 50 ans.

Les comparaisons s’arrêtent là. Il y avait dans l’AMH une bonne dose de romantisme tout à fait absente de LIV Golf.

D’abord, les propriétaires d’équipe étaient des gens d’affaires qui rêvaient de posséder un club professionnel. Parfois pour des raisons d’ego. Parfois aussi, comme pour les fondateurs des Nordiques de Québec, afin que leur ville goûte au sport professionnel majeur.

Contrairement à LIV Golf, l’AMH n’a pas été créée à partir des milliards de dollars pompés du fonds souverain d’un pays riche en pétrole... mais d’une pauvreté absolue en matière de droits de la personne.

La réalité des joueurs est aussi différente. Les hockeyeurs de l’époque, en vertu de l’infâme « clause de réserve » qui les liait à leur équipe, gagnaient des salaires modestes. L’AMH a brisé ce système inéquitable et leur a offert un réel pouvoir de négociation. Cette avancée leur a tous été profitable, peu importe où ils ont ensuite évolué.

Les golfeurs ayant choisi LIV Golf n’étaient pas dans cette situation. Ils gagnaient superbement leur vie. Mais quand les Saoudiens leur ont offert de petites fortunes pour faire le saut, ils ont choisi leur portefeuille plutôt que l’éthique.

Ils se retrouvent aujourd’hui redevables à un régime exécrable et pourront bientôt remercier ses dirigeants en personne puisqu’un tournoi s’amorcera à Jeddah, en Arabie saoudite, vendredi prochain.

Remarquez que dans la catégorie « Conservons de bons liens avec l’Arabie saoudite », l’exemple vient de haut.

Durant sa campagne électorale, Joe Biden a dit qu’il traiterait ce pays en « paria ». Devenu président des États-Unis, il est allé faire une génuflexion à Riyad dans l’espoir que le prince Mohammed ben Salmane ouvre davantage le robinet du pétrole pour contrer la hausse des prix.

Quelques jours plus tard, le prince a été reçu à l’Élysée par le président français Emmanuel Macron. Tous ces efforts diplomatiques ont été vains. L’Organisation des pays exportateurs de pétrole a annoncé jeudi une diminution de la production.

Mais cela ne change rien au fait que les golfeurs de LIV doivent vivre avec leur conscience. Afin de légitimer leur décision, ils ont débité des sornettes comme leur désir d’« améliorer » le golf.

Ah oui, vraiment ?

L’un d’entre eux, cité par le New York Times, a expliqué son choix en soutenant que le golf pouvait être un agent de « changement et de bien », une véritable blague quand le financement vient d’un pays qui brime les libertés individuelles.

Dans ce concert d’inepties, la voix claire de Justin Thomas, un des meilleurs joueurs du monde, s’est élevée. Il a déclaré à l’été au balado No Laying Up : « J’espère qu’au moins l’un d’entre eux aura le cran de dire : “Je le fais pour l’argent.” J’aurais plus de respect pour ça. Plus je les entends dire qu’ils font ça pour l’amélioration du jeu, plus je deviens agité et irrité. »

Bien dit, M. Thomas.

La création de LIV Golf a aussi été rendue possible par l’insouciance des dirigeants de la PGA. Installés bien confortablement aux commandes d’un monopole, ils auraient dû être plus sensibles aux récriminations de Phil Mickelson, qui leur a souvent adressé des reproches.

Si la PGA a finalement contre-attaqué, c’est grâce à Tiger Woods et à Rory McIlroy, qui ont assumé du leadership dans cette affaire. Ils ont expliqué à la PGA comment satisfaire les golfeurs professionnels.

Comme par magie, on a alors vu la PGA bonifier les sommes remises aux joueurs. Sans LIV Golf, rien de cela ne se serait produit.

Douze tournois proposeront désormais une bourse moyenne de 20 millions (cela ne compte pas les majeurs). Les meilleurs joueurs se sont engagés à y participer.

Dans un communiqué de la PGA, Rory McIlroy a expliqué l’importance de ce changement : « Si je regarde un match des Buccaneers de Tampa Bay, je m’attends à voir Tom Brady lancer une passe. Quand je regarde une course de Formule 1, je m’attends à ce que Lewis Hamilton soit dans une voiture. On jouera plus souvent tous ensemble, ce qui renforcera le produit. »

Ce n’est pas tout. Les joueurs qui participent à 15 tournois durant la saison sont assurés de recevoir 500 000 $. (Si, par exemple, ils touchent 300 000 $ en bourses, la PGA comblera l’écart de 200 000 $.) Les recrues ou ceux qui retrouvent leur carte de la PGA après l’avoir perdue obtiendront cette somme dès le début de la saison.

Les primes liées à la popularité des joueurs auprès des fans (un classement établi selon la visibilité médiatique) ont été doublées à 100 millions, et 20 joueurs, au lieu de 10, se partageront la cagnotte.

Des frais de déplacement de 5000 $ seront aussi versés aux joueurs moins bien classés incapables de se qualifier pour les deux dernières rondes d’un tournoi.

Ces changements mettront-ils fin au passage de plusieurs joueurs de la PGA à LIV Golf ? Pour l’instant, à moins qu’on croie Dustin Johnson, Brooks Koepka, Bryson DeChambeau et Patrick Reed capables de briller encore longtemps, la véritable perte de la PGA est l’électrisant Australien de 29 ans Cameron Smith.

La saison 2023 sera cruciale pour LIV Golf, avec ses tournois de 54 trous à départs simultanés et sa compétition par équipes en plus des luttes individuelles.

Pour ne pas demeurer un produit de deuxième ordre malgré son compte de banque illimité, le circuit devra trouver un diffuseur et, surtout, charmer les fans.

Ce dernier défi sera difficile à relever. Contrairement à l’AMH qui incarnait un certain romantisme, LIV Golf mise d’abord sur la cupidité et l’association directe à un pays qui se moque des droits de la personne.