Pour comprendre la difficulté de briller au sommet du tennis masculin, il suffit de relire cette déclaration de Félix Auger-Aliassime, vendredi dernier, après s’être qualifié pour la demi-finale du tournoi de Paris.

« C’est fou : c’est ma première demi-finale dans un tournoi de la série Masters 1000 depuis celle [contre John Isner] à Miami en 2019. À l’époque, je ne m’attendais pas à me retrouver là et je m’étais dit : “Oh mon Dieu, je suis certain que je vais participer à d’autres demi-finales dans un tournoi Masters”, mais finalement, ça m’a pris trois ans pour y parvenir de nouveau. »

Trois ans, rien de moins ! Et on parle ici d’un des joueurs les plus doués de sa génération. Bien sûr, Auger-Aliassime a participé à une demi-finale encore plus importante, celle des Internationaux des États-Unis de 2021. Mais cela ne change rien à l’évidence : chaque année, d’étincelants jeunes joueurs prennent le circuit d’assaut et la compétition est féroce.

Un exemple : lorsque Auger-Aliassime a affronté Isner à Miami, les noms de Carlos Alcaraz et de Holger Rune n’alimentaient pas la chronique. Les deux n’avaient que 15 ans. L’Espagnol occupait grosso modo le 500e rang mondial et le Danois, le 1000e.

Leur progression a été fulgurante. Alcaraz a remporté les Internationaux des États-Unis en septembre dernier – en plus de devenir numéro un mondial – et Rune a battu Novak Djokovic en finale du tournoi de Paris dimanche.

Aujourd’hui, aux quatre coins du monde, des espoirs de 14, 15 et 16 ans inconnus du grand public affinent leur jeu et certains deviendront avant longtemps des vedettes de l’ATP. Cette roue tourne et tourne encore.

Voilà pourquoi je suis toujours étonné quand des gens prédisent que tel ou tel joueur gagnera assurément un ou plusieurs tournois du Grand Chelem dans sa carrière. Vous savez quoi ? Rien n’est moins sûr.

À preuve, on attend encore les premiers titres d’Alexander Zverev, Stefanos Tsitsipas, Casper Ruud, Denis Shapovalov, Matteo Berrettini et, bien sûr, d’Auger-Aliassime. Certains d’entre eux soulèveront un trophée, peut-être même à quelques reprises.

Mais compte tenu de l’afflux continu de nouveau talent et de la présence toujours redoutable de Novak Djokovic et de Rafael Nadal (malgré ses blessures, l’Espagnol n’a pas dit son dernier mot), d’autres ne concrétiseront sans doute jamais ce rêve ultime.

Le tennis est de plus en plus exigeant physiquement. Résultat, demeurer en santé est un enjeu quotidien. Alcaraz doit prendre quelques semaines de repos en raison d’une blessure à l’abdomen. Et Zverev soigne depuis plusieurs mois des ligaments déchirés à une cheville.

Dans une carrière de haut niveau, il faut du talent et de la chance.

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Malgré cette concurrence impitoyable, Auger-Aliassime détient les atouts pour remporter un titre du Grand Chelem. Ses réussites des dernières semaines marquent un tournant dans sa progression. On l’a compris dimanche lorsqu’il a déclaré : « Je pense que j’ai ce qu’il faut pour être numéro un mondial dans ma carrière. »

Pour évoquer publiquement ce scénario, Auger-Aliassime est à l’évidence convaincu de son immense potentiel. C’est une nouvelle exceptionnelle. Car même si les analystes et les fans croient au potentiel d’un joueur, leur opinion a peu de valeur si celui-ci n’en est pas certain jusque dans ses tripes.

PHOTO GABRIEL MONNET, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Félix Auger-Aliassime

C’est sur le plan de la confiance en soi qu’Auger-Aliassime a le plus progressé cette saison. Il est désormais capable de « fermer les livres » au moment opportun.

Cet automne, on l’a senti agressif et confiant sur le terrain. Il a réussi de gros points quand ses rivaux étaient dans les câbles. Inscrire le coup gagnant, celui qui stimule la confiance et ébranle l’adversaire, est le plus redoutable défi dans un match sous haute tension. Le jeune Québécois avait des ennuis à ce chapitre. Mais il semble avoir débloqué.

C’est d’autant plus méritoire après ses déceptions des mois d’août et septembre derniers. À Montréal, le tableau s’est ouvert en sa faveur, mais il a perdu sèchement contre Ruud en quarts de finale. Et aux Internationaux des États-Unis, il n’a pas franchi la deuxième ronde.

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Cette semaine, Auger-Aliassime occupe le sixième rang au classement de l’ATP. C’est tout simplement extraordinaire.

Dans le sport, on dit parfois que la défaite est nécessaire avant de véritablement comprendre tout ce qu’il faut accomplir pour gagner.

Le parcours d’Auger-Aliassime valide cette théorie. Cela lui a valu des frustrations au cours des trois dernières années, mais, paradoxalement, cela a renforcé les fondations de son jeu. C’est d’ailleurs le cas sur plusieurs surfaces. À preuve, il a forcé Nadal, le roi de la terre battue, à disputer cinq sets avant de s’avouer vaincu à Roland-Garros plus tôt cette année.

Tous les yeux sont maintenant tournés vers Turin, en Italie, où la finale annuelle de l’ATP s’amorce dimanche prochain. Les huit joueurs les mieux classés s’affrontent dans un tournoi à la ronde.

Comme l’a rapporté lundi ma collègue Katherine Harvey-Pinard, Auger-Aliassime aborde ce rendez-vous avec confiance. « Évidemment, c’est un des tournois les plus difficiles à gagner, mais je pense que j’ai ce qu’il faut pour pouvoir y aspirer. »

Cette déclaration résume à elle seule la formidable progression du sport québécois au cours des 40 dernières années. Qui aurait alors cru possible qu’un joueur de tennis d’ici affirme un jour une chose pareille ?