Le débat est clos. On ferme les livres. Lionel Messi est le plus grand joueur de soccer de tous les temps. Leo est un maestro. Il nous l’a démontré dimanche encore, en finale du Mondial, seul titre qui lui avait échappé jusqu’ici. Une finale d’anthologie, remportée aux tirs au but par l’Argentine sur la France, qui a vu le numéro 10 briller de tous ses feux, comme un matador au sommet de son art.

Pour quelques récalcitrants, il lui manquait cette Coupe du monde, à l’instar d’un autre mythique attaquant de poche, son compatriote Diego Maradona, pour finir de cimenter sa légende. C’est fait. L’ironie, c’est que le plus grand a failli être trop petit. Au début de l’adolescence, un endocrinologue argentin a découvert que Lionel Messi souffrait d’une maladie hormonale importante. Si rien n’était fait, selon le médecin, il ne mesurerait pas davantage que 1,50 m (moins de cinq pieds) à l’âge adulte.

Les traitements de croissance hormonale étaient dispendieux (environ 900 $ par mois) pour une famille argentine de la classe ouvrière en pleine crise économique. Aussi, le père de Lionel s’est tourné vers l’Europe et le jeune prodige de 13 ans a quitté à l’été 2000 sa ville natale de Rosario pour Barcelone, où le centre de formation du Barça a tout pris en charge.

Un contrat symbolique a été signé sur une serviette de table, dans le bar d’un club de tennis barcelonais, et toute la famille – parents, frères et sœur – a quitté Rosario, à 300 kilomètres de Buenos Aires, pour la métropole catalane.

Jusqu’à son transfert à Paris, l’an dernier, c’est à Barcelone que Messi a passé toute sa vie depuis l’adolescence, si bien qu’en Argentine, on l’a longtemps davantage considéré en exilé catalan qu’en enfant du pays. Ce n’est plus le cas, surtout depuis son sacre en Copa América face au Brésil l’an dernier. Et ce ne le sera plus jamais après sa victoire à Doha dimanche.

Celui qu’on surnomme « La Pulga » (la puce) a souvent été perçu comme un jeune homme timide hors du terrain, n’ayant pas le leadership nécessaire pour mener les troupes argentines à une victoire en Coupe du monde. Cela a changé ces dernières années, alors que Messi s’est de plus en plus affirmé.

PHOTO KIRILL KUDRYAVTSEV, AGENCE FRANCE-PRESSE

Lionel Messi

De toute façon, il a toujours prêché par l’exemple sur le terrain, où il prend le contrôle du jeu. Ses dribles quasi extraterrestres – caractérisés par des changements de direction incessants, des feintes subtiles mais extraordinaires et une balle aimantée au pied – laissent généralement ses adversaires bouche bée. Ses passes livrées au millimètre près, ses coups francs imparables et sa vision du jeu hors du commun lui donnent, même à 35 ans, un avantage énorme sur ses adversaires.

Plutôt humble de nature, Messi a déjà déclaré qu’il n’arriverait jamais à la cheville de Maradona. Mais sept Ballons d’or du meilleur joueur au monde plus tard, avec une médaille d’or aux Jeux olympiques (à Pékin), quatre titres en Ligue des champions, une Copa América et une Coupe du monde, il semble avoir surpassé son idole de jeunesse.

Pendant des années, certains Argentins lui ont pourtant reproché de ne pas reproduire ses exploits en club (91 buts pour le FC Barcelone dans la seule année 2012) en équipe nationale. Il fut trois fois finaliste malheureux de la Copa América, en 2007, 2015 et 2016. En 2014, au Brésil, il a dû se contenter de la médaille de vice-champion du monde, après une défaite de 1-0 contre l’Allemagne.

Sa mine déconfite après le match, attendant sa médaille d’argent, disait tout de sa désillusion. Son Ballon d’or du meilleur joueur du tournoi semblait pour lui plus encombrant qu’autre chose. Comme le soulier d’or du meilleur buteur de Kylian Mbappé, dimanche, après son triplé en finale. Une bien mince consolation. « Nous allons le regretter toute notre vie », avait confié Messi un an après la finale, le visage grimaçant après avoir revu les faits saillants du match.

Désenchanté au terme d’une troisième finale internationale perdue en trois ans, il avait laissé entendre, après avoir raté son tir au but dans la finale de l’édition centenaire de la Copa América en 2016, qu’il mettait un terme à sa carrière internationale.

Il avait peut-être fini par croire ceux qui prétendaient que son destin en sélection argentine était d’aboutir sur la deuxième marche du podium. Et par comprendre que s’il ne parvenait pas à ajouter une Coupe du monde à son palmarès, il n’atteindrait jamais le statut mythique de Maradona dans le cœur des partisans argentins. Nul n’est prophète en son pays. Même quand on est un prophète de génie. Surtout quand on n’a jamais joué en club pour Boca Juniors ou River Plate…

Lionel Messi a pourtant toujours été fidèle à l’Albiceleste. Il a refusé, à la fin de l’adolescence, l’invitation de l’équipe d’Espagne, préférant s’engager définitivement avec la sélection de son pays natal. S’il avait rejoint ses coéquipiers du Barça avec la Roja, il aurait sans doute été sacré champion du monde en 2010.

Plusieurs ont encore douté de lui lorsqu’à sa première saison avec le PSG, déboussolé par son exil involontaire du FC Barcelone, il ne semblait plus être que l’ombre de lui-même. Ils ont eu tort. Messi a retrouvé sa superbe depuis l’automne, formant avec Neymar et Kylian Mbappé – son successeur au titre de meilleur joueur au monde – le trident offensif le plus redoutable d’Europe.

Il pourra chasser tous ses plus tristes souvenirs en bleu et blanc. Il a conjuré le mauvais sort. L’image que l’on retiendra de lui, après cette finale d’anthologie, est celle d’un homme comblé, qui embrasse la Coupe du monde après être allé cueillir dans la joie son Ballon d’or de joueur du tournoi. Le sacre d’un grand. Le plus grand de tous.