Comment évaluer un élève ? Sur ses notes. Un réseau d’autobus ? Sur sa ponctualité. Un commerce ? Sur son chiffre d’affaires, ses profits ou ses parts de marché.

Et une équipe de hockey ?

La réponse devrait être facile : ses victoires. Historiquement, les objectifs du Canadien y ont d’ailleurs toujours été rattachés. Pierre Boivin, président, en 1999 : « Notre masse salariale se situe dans le premier tiers des salaires versés par les équipes de la LNH. Il est inadmissible que les résultats obtenus ne se comparent pas toujours à ceux obtenus par les équipes qui font partie de ce premier tiers. » Bob Gainey, en 2006 : « Nous sommes heureux d’être en séries. C’était notre objectif. » Marc Bergevin, en 2020 : « L’objectif, c’est de rentrer en séries et de faire du dommage. »

Gagner, c’est la raison d’être d’un club sportif. Même qu’en Europe, si vous ne gagnez pas suffisamment, vous êtes relégués dans une division inférieure. Or, depuis quelques années, il se passe quelque chose d’étrange dans la Ligue nationale de hockey.

Les victoires sont dévalorisées.

Pour les équipes de tête ? Non.

Mais pour les clubs de bas de classement, assurément.

Il y a 15 ans, deux ou trois équipes chutaient, puis s’accrochaient au rêve de gagner la loterie du repêchage. Aujourd’hui, elles sont près d’une dizaine. Et pour remporter le gros lot, il faut éviter de gagner trop souvent. C’en est devenu ridicule. Dans aucun autre sport ni aucune autre ligue, la défaite n’est si bien acceptée. Et je ne connais aucun marché où les partisans sont aussi heureux de voir leur équipe se faire battre, dominer ou humilier qu’à Montréal. C’était particulièrement frappant les soirs de grande débandade, sur Facebook et Twitter.

Cette dynamique complique l’exercice du bilan, car même la direction du Canadien ne s’autoévalue plus en fonction des victoires et des défaites. Au camp d’entraînement, le DG Kent Hughes n’avait d’ailleurs fixé aucun objectif de classement.

« On essaie de gagner chaque match, disait-il. Sauf qu’on ne le fera pas au détriment du développement de nos joueurs. Peu importe qu’il s’agisse d’un jeune joueur ou d’un vétéran, si on veut arriver à nos fins, on doit voir les individus et le groupe s’améliorer. »

Les indicateurs de performance chéris par le Canadien sont le développement et la progression des joueurs et du collectif. C’est ce dont j’ai tenu compte dans mon analyse de la saison.

Le collectif

Dans l’ensemble, le Canadien a mieux fait que la saison précédente. Bon, ce n’était pas très difficile – le club était dernier en 2021-2022. Le CH a gagné quelques points au classement, quelques rangs aussi, en plus d’améliorer son différentiel de buts. Ce sont des pas dans la bonne direction.

La route sera toutefois longue. C’est que le quatuor de tête de la division (Bruins, Leafs, Lightning, Panthers) possède une bonne avance sur les quatre poursuivants. Et parmi ces poursuivants, les trois adversaires directs du Canadien progressent plus vite que lui.

Différentiels de 2022 à 2023 *

  • Sabres de Buffalo : de -58 à -8 (+50)
  • Red Wings de Detroit : de -82 à -34 (+48)
  • Sénateurs d’Ottawa : de -39 à -9 (+30)
  • Canadien de Montréal : -98 à -74 (+24)

Ces équipes sont toutes à différentes phases de leur reconstruction. Le Canadien a deux ou trois ans de retard sur ses rivaux, qui devraient en principe retourner en séries avant lui.

À noter : le Canadien a subi deux séquences de sept défaites consécutives. Lorsque l’équipe s’enlise, elle peine à remonter à la surface pour reprendre son souffle. Est-ce dû à l’inexpérience ? Peut-être, oui, mais pas seulement. C’était aussi arrivé trois fois la saison précédente, avec des vétérans. Cinq léthargies d’au moins sept défaites, en deux ans, c’est un drapeau rouge. Pour vous donner une idée, jamais le Canadien n’avait perdu autant de parties de suite, en cours de saison, entre 1941 et 2017.

Les vétérans

Pour l’évaluation du développement individuel, divisons le groupe en deux. D’une part, les joueurs de 26 ans et plus. De l’autre, les jeunes.

Les vétérans ont déçu. Aucun d’entre eux n’a réussi 25 buts ou 40 points. Considérant l’espace qu’ils occupent sur la masse salariale – un boulet de l’administration précédente –, leur production offensive fut nettement insuffisante.

Leur jeu défensif ne fut pas à l’honneur non plus. Evolving Hockey a conçu un algorithme qui permet de classer par percentiles la contribution défensive de chaque joueur. Les meilleurs ont une note de 99. Les pires n’ont qu’un petit point. Si Jake Evans (91) et Brendan Gallagher (71) se démarquent, Joel Armia (18), Jonathan Drouin (17), Joel Edmundson (9), Josh Anderson (4), Rem Pitlick (3) et Christian Dvorak (2) sont tous dans le bas du classement.

Dans la tempête, il y a quand même eu des éclaircies. David Savard. Jake Evans. Sean Monahan, pour le peu qu’on en a vu. Samuel Montembeault, qui a « sauvé » 14 buts, selon MoneyPuck, et qui contre toute attente, est devenu le gardien numéro un de l’organisation. Mais surtout, Michael Matheson, acquis par Hughes l’été dernier. Le défenseur québécois est de loin le vétéran qui s’est le plus amélioré cette saison. Il a inscrit plus de points qu’Anderson, Drouin ou Dvorak, en moins de matchs. Encore plus impressionnant, il a terminé la saison avec un différentiel positif à forces égales. À seulement 29 ans, il sera l’une des pièces importantes de la reconstruction.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Michael Matheson

Les jeunes

La progression fut plus marquée chez les jeunes. Tant mieux. C’est sur eux que le Canadien mise pour sa reconstruction.

Nick Suzuki, Cole Caufield et Kirby Dach ont obtenu beaucoup de temps de jeu de qualité. Ils en ont profité. Il est facile de les projeter à long terme sur les deux premiers trios. Peut-être même ensemble. Je préfère Dach à l’aile plutôt qu’au centre. Il est aussi l’attaquant dans l’organisation qui complète le mieux le duo Caufield-Suzuki.

Une très belle surprise : Rafaël Harvey-Pinard. Il sera au cœur de la reconstruction.

Juraj Slafkovsky m’intrigue. Sa première audition ne fut pas convaincante. C’est normal, me direz-vous, il n’avait que 18 ans. D’accord. Mais lorsqu’il sera remis de sa blessure, l’automne prochain, il aura passé huit mois loin de l’action. Huit mois pendant lesquels son développement sera forcément limité. Dans son cas, malheureusement, c’est une année perdue.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Juraj Slafkovsky

La blessure d’Arber Xhekaj (épaule) le forcera-t-elle à modifier son style de jeu ? J’espère que non. J’ai aimé ce que j’ai vu – sauf l’impulsivité. Il aura toutefois raté plus de sept mois lorsque le camp reprendra. Il est possible que la courbe de réapprentissage soit abrupte. L’autre pépite de l’organisation en défense, Kaiden Guhle, m’a enthousiasmé en première moitié de saison. Lui aussi fut ralenti par des blessures. C’était d’ailleurs plus difficile lors de son retour au jeu. Tous ces matchs ratés, par les plus beaux espoirs de l’organisation, ont forcément retardé le plan de développement de l’organisation.

Alors, tout compte fait, était-ce une bonne saison ?

Objectivement, non. Le Canadien a terminé dernier de sa division, malgré la deuxième masse salariale de la LNH. Mais si on accepte d’exclure les victoires de la grille d’analyse, oui, le Canadien a des raisons de se réjouir.

* Les statistiques ne couvrent pas les parties de jeudi soir.