Je me souviens du bruit infernal dans les derniers instants du match. Ces cris semblaient s’extirper des murs du vieux Forum, comme une tornade qui emporte tout sur son passage.

Je me souviens du sourire de Jacques Demers quand la rencontre a pris fin. Celui d’un homme heureux, celui d’un p’tit gars de Montréal qui, devenu grand, accomplissait son rêve.

Je me souviens du visage rayonnant de Serge Savard, qui épinglait ainsi une réussite supplémentaire à son impressionnant parcours.

Je me souviens de cette empilade de joueurs célébrant la victoire sur la patinoire, Patrick, Carbo, Vincent, Stéphan, Éric et tous les autres…

Cette soirée du 9 juin 1993 a drôlement commencé. Sur la tribune de la presse, je suis tombé sur Pierre Pagé, alors DG et entraîneur-chef des Nordiques. En première ronde, les Bleus avaient échappé une avance de deux matchs à zéro face au Canadien et subi l’élimination.

PHOTO DENIS COURVILLE, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Pagé, derrière le banc des Nordiques en première ronde, en 1993

On les avait dans les câbles. Mais avec ses 6 pi 3 po, Patrick Roy n’en laisse pas beaucoup passer. Quoi, il ne mesure que 6 pi, tu es sûr ? En tout cas, depuis le début des séries, il a l’air d’avoir trois pouces de plus…

Pierre Pagé, DG et entraîneur-chef des Nordiques, en 1993

Là-dessus, Pagé voyait juste ! Roy a été sensationnel durant ces séries. Ces dix victoires consécutives du CH en prolongation sont en partie le résultat de ses arrêts époustouflants. Mais son influence au sein de l’équipe était plus profonde.

Après les deux revers contre les Nordiques, il a pris la parole publiquement : « On est trop respectueux des Nordiques. […] Tout à coup, il faut que ça arrête, ces affaires-là. À force de répéter que les Nordiques sont beaux, bons et fins, on finit par le croire nous-mêmes. On devrait plutôt se dire que nous aussi, on a un bon club, que nous aussi, on a de très bons joueurs. »

Après cette déclaration, le Canadien a battu les Bleus quatre fois d’affilée.

Je me souviens aussi d’un moment moins agréable. Je m’apprêtais à quitter le Forum vers 1 h 30 du matin quand j’ai croisé Ronald Corey dans un couloir. Les nouvelles de l’émeute dans les rues de Montréal après la victoire du CH s’étaient vite répandues. La télé montrait des images en temps réel.

« Je ne peux pas être plus malheureux que ça, a dit le président du Canadien. Je trouve ça épouvantable. Parfois, ça ne prend que quelques fous pour entraîner les plus faibles parmi les autres… »

Je me souviens d’avoir constaté les dégâts le lendemain matin rue Sainte-Catherine. Non, ce n’était pas beau.

Mais très vite, avec le défilé de la Coupe Stanley dans les rues de Montréal, la joie a repris ses droits.

Trente ans déjà ! J’ai peine à y croire. Si, à ce moment, on m’avait assuré que ni le CH, ni aucune autre équipe canadienne de la LNH, ne gagnerait de nouveau la Coupe au cours des 30 années suivantes, je ne l’aurais pas cru.

Non, je n’aurais pas cru que des athlètes du pays remporteraient le Championnat du monde des pilotes de Formule 1 (Jacques Villeneuve, en 1997), le Tournoi des Maîtres au golf (Mike Weir, en 2003), l’Omnium de tennis des États-Unis (Bianca Andreescu, en 2019), l’or olympique en soccer (équipe féminine, Tokyo 2020) et combien d’autres exploits inattendus avant qu’une équipe canadienne ne soulève une autre fois la Coupe.

Bien sûr, on peut soutenir que cela n’est guère important dans la mesure où les frontières n’existent plus dans le hockey professionnel. Le secteur hockey du Canadien est dirigé par un Américain incapable de parler français (Jeff Gorton) et cela ne dérange pas la majorité des fans. Les joueurs, eux, viennent de différents pays.

Je persiste cependant à croire que la victoire d’une équipe canadienne est souhaitable à court terme. Nous sommes le pays du hockey et la domination des clubs américains ne fait qu’accentuer la perte d’influence des intérêts canadiens dans la conduite des affaires de la LNH. C’est regrettable de voir combien des organisations aussi riches que le Canadien et les Maple Leafs de Toronto, avec leurs partisans endiablés, sont incapables d’aller jusqu’au bout.

Les séries éliminatoires de 1993 ont permis aux lecteurs et lectrices de La Presse de découvrir le formidable talent du caricaturiste André Pijet. Ses dessins mordants publiés à la une du cahier Sports, dans lesquels il décrivait les péripéties du Canadien durant ce fabuleux printemps, ont suscité un engouement extraordinaire.

Les premiers dessins de Pijet ont mis Demers en rogne car ils illustraient sans compromis les succès initiaux des Nordiques contre le CH en première ronde. Mais lorsque le vent a tourné, il les a appréciés davantage.

Six semaines après la conquête de la Coupe Stanley, une exposition des dessins de Pijet a été organisée au Complexe Desjardins. Je l’ai visitée en compagnie des deux hommes. Ce fut un moment unique.

  • Caricature d’André Pijet sur la première page du cahier des sports de La Presse du 24 avril 1993

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    Caricature d’André Pijet sur la première page du cahier des sports de La Presse du 24 avril 1993

  • Caricature d’André Pijet sur la première page du cahier des sports de La Presse du 21 avril 1993

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    Caricature d’André Pijet sur la première page du cahier des sports de La Presse du 21 avril 1993

  • Caricature d’André Pijet sur la première page du cahier des sports de La Presse du 22 avril 1993

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    Caricature d’André Pijet sur la première page du cahier des sports de La Presse du 22 avril 1993

  • Caricature d’André Pijet sur la première page du cahier des sports de La Presse du 23 avril 1993

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    Caricature d’André Pijet sur la première page du cahier des sports de La Presse du 23 avril 1993

  • Caricature d’André Pijet sur la première page du cahier des sports de La Presse du 26 avril 1993

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    Caricature d’André Pijet sur la première page du cahier des sports de La Presse du 26 avril 1993

  • Caricature d’André Pijet sur la première page du cahier des sports de La Presse du 27 avril 1993

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    Caricature d’André Pijet sur la première page du cahier des sports de La Presse du 27 avril 1993

  • Caricature d’André Pijet sur la première page du cahier des sports de La Presse du 28 avril 1993

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    Caricature d’André Pijet sur la première page du cahier des sports de La Presse du 28 avril 1993

  • Caricature d’André Pijet sur la première page du cahier des sports de La Presse du 29 avril 1993

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    Caricature d’André Pijet sur la première page du cahier des sports de La Presse du 29 avril 1993

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Demers était particulièrement touché par un dessin publié après la première victoire du Canadien contre les Nordiques. On y voit ses joueurs bâtir leur propre pyramide d’Égypte avec les moyens de l’époque.

« Tu as compris une chose tellement importante, a-t-il alors expliqué à Pijet. Notre équipe en était une de cols bleus. »

Puis, contemplant le dessin, il a fait cette remarque très juste : « Tu vois, tous contribuent, même ceux qui ne poussent pas le chariot principal. »

Oui, le Canadien de 1993 était une équipe de cols bleus, une équipe de travaillants, une équipe inspirée, une équipe attachante. Avec, devant le filet, un des joueurs les plus dominants de son époque.

Trente ans déjà… Mais mes souvenirs du 9 juin 1993 demeurent vifs et magnifiques.

Je me souviens – et je ne l’oublierai jamais – de cette magie qui a enveloppé le Forum.