Avez-vous déjà tenté de frapper une balle de baseball ? Pas un gros pamplemousse jaune au tournoi de balle donnée des Chevaliers de Colomb. Une vraie rapide. Encore pire, une cassante qui plonge de 20 centimètres tout juste devant le marbre.

C’est difficile en tabasco.

Il y a quelques années, lors d’un voyage aux États-Unis, je suis allé cogner des balles dans une cage. Conforté par mes deux championnats des frappeurs dans la Ligue des médias, j’ai choisi le niveau le plus élevé. « MAJOR LEAGUE LEVEL ». Que des lancers à plus de 90 m/h. Amenez vos courbes, vos rapides et vos glissantes, j’en ai vu d’autres !

J’ai affronté 50 lancers.

J’en ai touché un.

Sur un amorti.

Frapper une balle de baseball à cette vitesse est un des gestes techniques les plus difficiles à réussir, tous sports confondus. Entre le moment où le lanceur lâche la balle et celui où le receveur l’attrape, il ne s’écoule que 0,4 seconde. L’équivalent d’un clin d’œil. Pendant ce court laps de temps, le frappeur a plusieurs décisions à prendre. Est-ce une courbe ? Une rapide ? Un changement de vitesse ? La balle est-elle dans la zone, ou pas ? Est-ce que je m’élance, ou pas ? Ai-je le temps de viser le champ opposé, ou pas ? Le cerveau n’a que 0,1 seconde pour réagir, puisqu’il faut aussi laisser du temps à l’élan de se déployer avant que la balle n’arrive au-dessus du marbre.

PHOTO GARY A. VASQUEZ, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

L’un des meilleurs frappeurs des ligues majeures, Shohei Ohtani, des Angels de Los Angeles, s’élance et rate la balle.

Voilà pourquoi même les meilleurs baseballeurs au monde peinent à toucher la balle. Dans les ligues majeures, plus d’une présence sur cinq se termine par un retrait sur des prises. Ça en fait, des élans ratés. Et qu’arrive-t-il dans la très grande majorité des cas où les frappeurs réussissent finalement à frapper la balle en jeu ?

Ils sont retirés.

Prenez Jeff McNeil, des Mets de New York. C’est un très bon frappeur, qui me rappelle l’ancien deuxième-but des Expos José Vidro. La saison dernière, il a remporté le championnat des frappeurs de la Ligue nationale avec une moyenne de ,326. Un résultat impressionnant. Or, même en ajoutant ses buts sur balles, son taux de présence sur les sentiers reste inférieur à 40 %.

McNeil, je le rappelle, était le meilleur d’entre les meilleurs. Imaginez les autres, maintenant. Leur moyenne combinée, en 2022 ? ,243. La dernière fois qu’on a vu un taux si faible, personne n’avait encore mis le pied sur la Lune.

Tout cela nous fait apprécier davantage la saison extraordinaire qu’est en train d’accomplir Luis Arráez, des Marlins de Miami. Vous n’avez jamais entendu parler de lui ? C’est normal. Arráez est l’étoile la plus méconnue du baseball. Un petit joueur d’avant-champ qui ne frappe pas fort, qui ne court pas vite, et qui, jusqu’au mois d’avril, n’avait même pas de position privilégiée en défense. Sauf qu’il a un super pouvoir.

Lequel ?

Sa coordination œil-main. Personne n’est aussi doué pour reconnaître les lancers, prédire leur trajectoire et entamer son élan en un dixième de seconde. Il est de loin le frappeur le plus difficile à retirer sur des prises. Si bien que cette semaine, Arráez a atteint une marque mythique du baseball. Un chiffre magique.

Une moyenne de ,400.

PHOTO LYNNE SLADKY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

La moyenne au bâton de Luis Arráez était de ,402 vendredi soir.

Ça dépasse l’excellence. Ici, nous sommes en territoire exceptionnel. La dernière fois qu’un joueur a terminé une saison avec une moyenne aussi élevée, c’était Ted Williams, en 1941. Les Noirs étaient alors exclus des ligues majeures. Depuis, plus de 12 000 baseballeurs ont joué dans les grandes ligues, sans égaler l’exploit*. On a même assez de doigts pour compter ceux qui s’en sont approchés.

Tony Gwynn a effleuré la marque en 1994. Il ne lui manquait que trois coups sûrs pour passer au-dessus de ,400. C’est peu. Mais c’est justement ce qui rend l’exploit si difficile à accomplir. C’est comme au saut à la perche. Le plus compliqué à franchir, ce ne sont pas les six premiers mètres. C’est chaque centimètre qui suit.

Les moyennes de ,400 les plus tardives depuis 1941

  • George Brett, 1980 : 4 septembre
  • John Olerud, 1993 : 2 août
  • Nomar Garciaparra, 2000 : 20 juillet
  • Larry Walker, 1997 : 17 juillet
  • Rod Carew, 1983 : 13 juillet
  • Stan Musial, 1948 : 11 juillet
  • Rod Carew, 1977 : 10 juillet
  • Tommy Holmes, 1945 : 8 juillet

En 2020, Charlie Blackmon s’est rendu au 24 août. Sauf que la saison avait commencé à la fin de juillet, en raison de la pandémie.

C’est une chose de frapper pour ,400 sur une demi-saison. C’en est une autre de maintenir le rythme trois mois de plus. « Je pense qu’un gars peut frapper pour ,400 après 300, 350 présences au bâton », racontait Pete Rose, il y a quelques années. « Mais je ne crois pas que quelqu’un soit capable de frapper 200 coups sûrs en 500 présences. »

Aussi, plus on approche de l’automne, plus l’attention médiatique augmente, plus la pression est grande. Et ça tombe au moment de la saison où la fatigue s’installe. Le 13 juillet 1983, Rod Carew frappait pour ,400. En octobre, sa moyenne avait fondu à ,339. Il a aussi frappé pour ,388 en 1977. « Arrivé au mois d’août, j’étais brûlé », a-t-il expliqué au Bleacher Report en 2014. « Mes bras étaient morts. Mentalement, j’étais vidé. Ça n’aide pas à atteindre une moyenne de ,400. Juste chasser [la marque de ,400], c’est ahurissant. »

Si le passé est garant de l’avenir, Luis Arráez a peu de chances de terminer la saison avec une moyenne supérieure à ,400. Sa quête sera néanmoins un des moments forts de l’été sportif.

Sur ce, désolé, je dois vous laisser.

Un panier de 50 balles m’attend à la cage des frappeurs.

* Pour être admissible au championnat des frappeurs, un joueur doit avoir maintenu une moyenne minimale de 3,1 apparitions au bâton par partie. Donc 502 apparitions pour une saison de 162 matchs.