Préférez-vous d’abord la bonne ou la mauvaise nouvelle ? Allons-y avec la bonne. Dans quelques jours, le Canadien retrouvera Kaiden Guhle, Arber Xhekaj, Juraj Slafkovsky, Cole Caufield et Sean Monahan, après des convalescences de 6, 7, 8, 9 et 10 mois.

La mauvaise ?

Dans quelques jours, le Canadien retrouvera Kaiden Guhle, Arber Xhekaj, Juraj Slafkovsky, Cole Caufield et Sean Monahan… après des convalescences de 6, 7, 8, 9 et 10 mois.

Une demi-année sans hockey compétitif, c’est long. Souvenez-vous des hauts cris, en 2020-2021, lorsque la pandémie a forcé l’annulation de parties midget et junior partout au pays. C’était la panique. Nos jeunes hockeyeurs prendront du retard, entendait-on. Ils se feront devancer par ceux qui continuent de jouer, comme les Américains et les Européens.

Si c’était vrai il y a trois ans, c’est encore vrai aujourd’hui, non ?

Le directeur général du Canadien, Kent Hughes, a glissé quelques mots sur ces absences prolongées, en avril. Des mots vite oubliés, qui méritent d’être republiés. « C’est sûr qu’il y aura un impact. Slaf et Arber ont raté une quarantaine de matchs. Ce sont des parties très importantes. Martin St-Louis parle souvent de reps [répétitions]. C’est sûr qu’ils ont perdu des reps. »

Il n’y a pas eu « zéro développement », a précisé Hughes. C’est vrai. Les joueurs ont pu étudier le jeu du haut de la galerie de presse.

Est-ce que je suis inquiet [de la période de] réapprentissage ? Non. Mais peut-être qu’ils ne sont pas au niveau où ils auraient pu être.

Kent Hughes, en avril dernier

Ce qui me préoccupe, ce n’est pas tellement la nature des blessures, même si une épaule maganée, pour un homme fort comme Xhekaj, ça peut être embêtant. Non, ce qui me préoccupe le plus, c’est tout ce temps passé à l’écart du jeu depuis trois ans. Surtout pour Kaiden Guhle et Arber Xhekaj, qui évoluaient dans des ligues juniors fortement affectées par la pandémie. Guhle n’a fini la dernière saison que quelques semaines avant ses coéquipiers, mais il avait raté deux mois juste avant.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Kaiden Guhle, en avril dernier

J’ai compilé les matchs joués ces trois dernières saisons, toutes compétitions confondues, en saison comme en séries. Seule exclusion : les parties préparatoires, au camp d’entraînement. Constat : Guhle et Xhekaj ont disputé moins de parties que les 10 patineurs ayant reçu le plus de votes pour le trophée Calder, l’hiver dernier. Jusqu’à 80 matchs de moins que l’attaquant Wyatt Johnston, des Stars de Dallas.

Nombre de matchs joués depuis trois ans

  • Wyatt Johnston 201
  • Matias Macelli 190
  • Matt Beniers 182
  • Kirill Marchenko 180
  • Mason McTavish 172
  • Noah Cates 167
  • Jack Quinn 164
  • Owen Power 161
  • Cole Perfetti 135
  • Jake Sanderson 130
  • Arber Xhekaj 120
  • Kaiden Guhle 119

Les optimistes noteront que Jake Sanderson, formidable à Ottawa, n’a pas joué beaucoup plus. En effet. Le jeune défenseur, qui vient de signer un contrat plus lucratif que ceux de Nick Suzuki et de Cole Caufield, s’est bien rétabli de deux opérations à une main. Il reste que 120 parties en trois ans, c’est très peu. C’est moins que Jonathan Drouin (136), Sean Monahan (140) et Kirby Dach (146), qui se sont pourtant absentés souvent, et longtemps. Un autre espoir à la défense, Logan Mailloux (111), a peu joué, sauf qu’au moins, il vient de terminer une année de 80 parties.

Est-ce que de longues absences peuvent nuire à leur développement à long terme ? J’ai demandé l’avis de deux experts. Jean Lemoyne, professeur en sciences de l’activité physique à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), s’inquiétait moins que moi.

Ce sont des athlètes hors du commun. Des exceptions. Sur le plan de la réadaptation, il n’y a aucun doute, ils sont dans un environnement incroyable. Ils ont accès aux meilleures ressources possibles. Je ne vois aucun problème pour ce qui entoure le retour à la charge physique.

Jean Lemoyne, professeur en sciences de l’activité physique à l’UQTR

« Après, pour la spécificité du jeu, ça va avec la complexité de ce qu’un athlète accomplit. Ça se peut qu’un tireur d’élite, comme Cole Caufield, ait besoin d’une courte période pour retrouver son rythme et sa confiance. »

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Cole Caufield

André Lachance, lui, entrevoit plus de défis. Ancien entraîneur-chef de l’équipe féminine de baseball du Canada, il est aujourd’hui directeur de la performance humaine au Cirque du Soleil. Il conseille également plusieurs fédérations sportives, ici comme ailleurs. En Scandinavie, notamment. Il revenait d’ailleurs de Norvège lorsque nous nous sommes parlé.

D’abord, l’évidence. La pratique rend meilleur. « Plus tu as disputé de matchs, plus tu as vu de situations tactiques qui te permettent d’être meilleur en prise de décision », explique-t-il.

Mais il y a plus.

« Lorsqu’il y a un retour après une longue pause, que ce soit après une opération ou non, on constate beaucoup de blessures. Surtout dans les premières semaines. La charge de travail est plus importante. L’intensité, aussi. C’est beaucoup plus intense quand tu joues devant 20 000 personnes que lorsque tu fais des drills [exercices] ou que tu disputes une partie intraéquipe. »

D’où l’importance, insiste l’auteur de l’essai Chimie d’équipe, de bien gérer le retour. « Ce n’est pas toujours évident, surtout dans le sport professionnel. Une équipe peut avoir besoin de cet athlète pour bien performer. Alors que dans d’autres milieux, la Ligue américaine par exemple, on peut se permettre une période de récupération plus longue. »

Un autre concept qui prend de plus en plus d’importance dans le processus d’un retour d’une longue absence, c’est la confiance. « C’est le mot sur toutes les lèvres », indique-t-il.

L’identité d’un hockeyeur de la LNH ou d’un artiste du Cirque, c’est son travail. C’est d’être avec son équipe ou ses partenaires d’entraînement. Tout d’un coup, après une blessure, il n’est plus avec l’équipe. Il ne voyage plus sur la route. Il perd ce qu’il a de plus important. Son identité.

André Lachance, directeur de la performance humaine au Cirque du Soleil

Ça vous semble ésotérique ? Ça ne l’est pas. La perte d’identité explique aussi pourquoi tant d’athlètes repoussent l’annonce officielle de leur retraite.

Lisez la chronique « Carey Price et le mot qui commence par un R »

« Chez nous, au Cirque du Soleil, un artiste blessé est retiré d’un spectacle. Pendant sa période de réadaptation, on observe une déconnexion avec le milieu. Une perte d’identité. Une baisse de la confiance. Ce qu’on a commencé à faire, c’est de demander aux directeurs des spectacles de rester en contact avec l’artiste le plus possible. Ça peut être de façon virtuelle. L’important, pour l’artiste ou l’athlète, c’est qu’il y ait une connexion. »

Sur ce volet, il y a des raisons de croire que le Canadien a bien fait les choses dans les derniers mois. On a vu des joueurs blessés rester dans l’entourage du club. Sur la galerie de presse, notamment. Cet été, Josh Anderson – qui a déjà subi une longue convalescence – et Nick Suzuki ont accompagné Xhekaj, Guhle et Slafkovsky au festival Lasso. Suzuki a joué plusieurs parties de golf avec Caufield.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE INSTAGRAM DU CANADIEN DE MONTRÉAL

Nick Suzuki, Josh Anderson, le chanteur Dean Brody, Kaiden Guhle, Juraj Slafkovsky et Arber Xhekaj, au festival Lasso

Ce sont des gestes concrets qui favorisent l’attachement au groupe, et qui peuvent faire une différence, dans une période où la confiance peut être ébranlée.

Est-ce suffisant pour chasser mes inquiétudes ? Non.

Mais j’ai bien hâte de revoir les jeunes sur la glace, dans les prochains jours, pour constater si le travail invisible effectué dans les coulisses cet été leur aura permis de combler un peu le retard accumulé.