De l’occupation double à la tête des opérations hockey du Canadien, nous savons étonnamment peu de choses. Kent Hughes semble gérer les contrats et les transactions. Et Jeff Gorton ?

Mystère.

Presque deux ans après sa nomination, son rôle n’a jamais vraiment été expliqué. On devine qu’il en mène large. Dans un documentaire sur les coulisses du dernier repêchage du Canadien, c’est lui qui est assis au centre de la pièce. C’est aussi lui qui mène les discussions et qui donne les grandes orientations.

Avec le temps, on a fini par conclure que Gorton était l’équivalent d’un ministre des Affaires intérieures, responsable du repêchage, du personnel médical, du développement des joueurs et du département des statistiques avancées. Et Hughes, un ministre des Affaires extérieures, chargé des relations avec les agents et les autres équipes.

Or, ce n’est pas le cas.

Dans une entrevue d’une trentaine de minutes accordée à La Presse, vendredi soir, Jeff Gorton nous a expliqué qui fait quoi dans l’état-major du Canadien. Les tâches ne sont pas définies nettement. Le fonctionnement est beaucoup plus collégial, beaucoup plus organique qu’on pourrait le croire.

Un exemple ?

Kent Hughes n’est pas le seul interlocuteur du Canadien auprès des autres équipes. Jeff Gorton prend parfois le téléphone, lui aussi, pour discuter de transactions.

« J’ai beaucoup d’expérience à offrir à Kent et à l’organisation, confie-t-il. Dans certains cas, je vais parler aux équipes, parce que je connais bien leurs dirigeants. Parfois, c’est moi qui ai les meilleures relations. Parfois, c’est Kent. Mais j’essaie de lui laisser le plus de liberté possible. Lorsque j’étais directeur général [des Rangers], je respectais beaucoup ceux qui me laissaient faire mon travail de DG. Je veux que les autres équipes sachent que Kent est le DG, qu’il est celui qui fait des appels. »

Ce sont des situations qui peuvent devenir délicates. Je peux en témoigner. Pendant huit ans, j’ai fait partie d’une direction bicéphale à La Presse. J’ai toujours trouvé que ça fonctionnait mieux quand chacun avait son carré de sable bien défini. Chez le Canadien, on a plutôt fait le pari de mettre Gorton et Hughes dans le même carré de sable.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Notre chroniqueur Alexandre Pratt en discussion avec Jeff Gorton, vice-président exécutif aux opérations hockey du Canadien de Montréal

Ça fonctionne ?

Oui, assure Gorton.

« Les équipes vont de plus en plus vers des systèmes à deux dirigeants. Ça semble très bien fonctionner. Kent et moi sommes deux gars très différents. Ça aide. On se défie, on se pousse.

— Donc vous n’avez pas séparé les tâches ?

— Pas tellement, non. Si ça ne fonctionnait pas, on le ferait peut-être. Mais on a une bonne relation. On comprend ce qu’il faut faire. »

Les deux s’impliquent dans toutes les décisions de hockey, des pourparlers de transactions aux entrevues d’embauche des statisticiens.

« Je l’invite à chacune de mes réunions, et il m’invite dans les siennes. On a deux têtes. On essaie de comprendre ce qui est le mieux. Je veux qu’il en apprenne le plus possible sur le côté business. Il n’y a pas de “tu ne touches pas à ceci ou cela”. Nous ne sommes pas seuls. John Sedgwick s’occupe de la gestion du plafond salarial et de la convention collective. Il nous conseille pour construire notre formation. C’est difficile pour un agent [comme Hughes] de comprendre les nuances de la formation du premier jour de la saison, ou le ballottage. On apprend tous. Même moi, j’en apprends encore. »

Ce qu’il préfère ?

La préparation du repêchage, dans laquelle il confirme être très impliqué, comme on l’a vu dans le documentaire produit par le Canadien.

« Je ne m’imagine pas dans un bureau, avec quelqu’un qui vient me dire : voici ce qui se passe. Je veux participer à ces conversations. Je fais ça depuis longtemps. Je sens que mon expérience peut aider. Voir un groupe de 30 gars qui débattent de qui choisir, c’est excitant. Je veux être de ceux-là. Dans notre environnement, tout le monde a son mot à dire, et on encourage tout le monde à parler. Ça ressemble à la vision que j’avais quand j’ai été embauché. Jusqu’ici, ça va bien. »

Il faut savoir qu’avant d’être directeur général des Rangers de New York, puis vice-président aux opérations hockey du Canadien, Jeff Gorton a été recruteur en chef des Bruins de Boston. Il était en poste lors des sélections de Joe Thornton, Sergei Samsonov et Kyle McLaren. Lorsqu’il épie un espoir, il recherche quatre caractéristiques.

Le courage.

Le caractère.

Le coup de patin.

Le sens du jeu.

« Idéalement, au premier tour, les joueurs que vous repêchez ont tous ces attributs. Dans les tours plus tardifs, comme le 5e, le 6e ou le 7e, je cherche des joueurs qui possèdent au moins une de ces qualités, à un haut niveau. Après, on se demande s’il est possible de développer autre chose chez eux. À 17 ans, ce n’est pas facile de prédire leur avenir. »

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Notre chroniqueur Alexandre Pratt en discussion avec Jeff Gorton, vice-président exécutif aux opérations hockey du Canadien de Montréal

Lorsqu’il évalue les joueurs, il porte aussi une attention particulière aux clean touches. Les touches franches. « C’est quand tu as la rondelle et que tu la laisses à un meilleur endroit que celui où tu l’as prise. » C’est sa statistique préférée. « J’aime voir l’évolution de la prise de décision des joueurs. Si vous observez David Reinbacher, il a de très belles touches franches. »

Les statistiques avancées sont par ailleurs plus présentes dans les discussions à l’interne depuis l’embauche de Christopher Boucher, l’année dernière.

Boucher a maintenant un canal de communication direct avec l’entraîneur-chef Martin St-Louis. « Les deux ont passé beaucoup de temps ensemble cet été », révèle Jeff Gorton. St-Louis a fait part de ses besoins. Boucher, lui, nourrit les conversations avec de nouvelles perspectives.

« Chris nous a récemment fait une présentation sur les trios. Il nous a montré quelles étaient les caractéristiques des meilleures lignes dans la Ligue nationale, et quelles combinaisons pourraient bien fonctionner chez nous.

« Nous étudions les autres équipes, et nous essayons de déterminer les clés de leurs succès. Sont-elles meilleures que nous pour sortir la rondelle de la zone ? Leurs pourcentages de réussite sont-ils meilleurs que les nôtres ? Passent-ils plus de temps en zone offensive ? Notre équipe d’entraîneurs valorise ces données. »

Voilà donc comment fonctionne la direction bicéphale chez le Canadien. Une occupation double dans laquelle, contre toute attente, ni Lady Pagaille ni Capitaine Rebondissement n’a encore semé le trouble.

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