Mathieu Turcotte n’a jamais joué dans la LNH. Ni dans la LHJMQ. Ni même dans le midget AAA. Pourtant, le voici aujourd’hui derrière le gouvernail de l’Armada de Blainville-Boisbriand. Une exception, dans une industrie qui valorise des gestionnaires ayant un passé de joueur.

Des chiffres ?

Dans la LHJMQ, 14 des 18 entraîneurs-chefs ont joué dans le junior majeur, à l’université ou chez les pros. Dans la LNH, la proportion est encore plus élevée : 29 sur 32. « Ça prend du courage pour nommer un entraîneur-chef qui n’a pas joué à ces niveaux », reconnaît le Kirklandais de 39 ans, qui n’a même pas de profil de joueur sur les sites HockeyDB et Elite Prospects.

Son parcours est atypique. Il a cessé de jouer dans le midget AA pour se concentrer sur ses études. D’abord à Brébeuf, puis à l’Université Laval, en intervention sportive. À partir de là, il a enchaîné les petits boulots comme instructeur. Dans le junior B. Dans le bantam AA. Dans le midget Espoir et AAA. Parfois comme entraîneur-chef. D’autres fois comme adjoint. Il s’est vite démarqué, si bien qu’à 26 ans, il s’est retrouvé dans un rôle d’adjoint avec les Foreurs de Val-d’Or. Ce qu’il n’avait pas anticipé, c’est que ça lui prendrait 13 ans de plus pour atteindre le prochain échelon.

Entre les deux, il a galéré. À Chicoutimi. Au Collège Notre-Dame, à Montréal. Avec les Chevaliers de Lévis, dans le midget AAA. Là-bas, il a hérité d’une équipe bourrée de talent, menée par Joshua Roy (Canadien) et Olivier Nadeau (Sabres de Buffalo). En 2018 et 2019, les Chevaliers ont remporté plus de 40 matchs consécutifs. Du jamais-vu. Étonnamment, ça n’a pas aidé la cause de Mathieu Turcotte.

« Les gens pensent que dès que tu as une équipe talentueuse, c’est facile à diriger. Bien sûr que c’est facile d’en gagner plus que d’en perdre. Mais en gagner autant de suite ? Si les décideurs ne pensaient pas cela, j’aurais passé plus d’entrevues pour des postes d’entraîneurs-chefs après cette séquence-là.

— Combien en as-tu eu dans les mois suivants ?

– Zéro. »

Après cette saison glorieuse, il est retourné dans la LHJMQ, comme adjoint, à Drummondville. « J’entendais toujours que mon nom était sur une courte liste de candidats potentiels [pour un poste d’entraîneur-chef dans la ligue], mais clairement, ça ne se rendait jamais jusqu’à moi. Personne ne m’appelait. »

Un club l’a finalement contacté, à l’été 2022. Ça n’a pas fonctionné. Mathieu Turcotte a donc décidé de retourner faire ses preuves dans le M18 AAA. Cette fois, avec le Blizzard du Séminaire Saint-François, une formation moins « paquetée » que les Chevaliers de 2019.

L’équipe a remporté le championnat canadien.

Une première en 22 ans pour une formation québécoise.

Cette fois, le téléphone a sonné.

« Est-ce que j’aurais obtenu une chance sans ce championnat ? Je ne le saurai jamais. Nous, les gars qui n’avons pas joué pro, notre réseau de contacts est plus restreint. Pour ressortir du lot, nos équipes doivent connaître un peu plus de succès. J’avais définitivement hâte de pouvoir prouver ma valeur. »

* * *

Le hockey est un milieu de cliques. Lorsqu’un ancien joueur est nommé directeur général au sein d’une organisation, il s’entoure souvent d’anciens coéquipiers. Même chose avec les entraîneurs. Résultat : c’est difficile, pour un non-initié, de faire sa place au soleil. Dans la LNH, seuls Jon Cooper, Derek Lalonde et André Tourigny n’ont pas joué au moins dans le junior majeur ou la NCAA.

PHOTO DIRK SHADD, ASSOCIATED PRESS

Jon Cooper, entraîneur-chef du Lightning de Tampa Bay

Jon Cooper est une des sources d’inspiration de Mathieu Turcotte. « Il y a aussi Guy Boucher, qui a joué à McGill et qui a privilégié ses études. Et le meilleur coach de l’histoire, Scotty Bowman. C’était un bon joueur, mais une blessure l’a empêché de percer. Lorsqu’il a développé un côté enseignant, il était en avance sur son temps. C’est ce profil-là qui m’inspire. »

La pédagogie, explique-t-il, est maintenant un élément crucial du métier d’entraîneur.

« C’est près de 90 % [de ma job]. Aujourd’hui, les jeunes joueurs veulent avoir de l’information. Ils se posent beaucoup de questions. Qu’est-ce que mon entraîneur pense de moi ? Comment perçoit-il mon jeu ? C’est important de les rencontrer souvent pour calmer la tempête qui pourrait survenir sans cette information. Dans le passé, les joueurs s’en souciaient moins. Maintenant, si on passe quatre semaines sans leur parler, les questions vont s’accumuler dans leur tête. Leurs performances vont en souffrir. La porte doit toujours rester ouverte. En fait, la porte ouverte, ça ne suffit pas, car les jeunes ne viennent pas toujours cogner. Il faut planifier ces rencontres-là d’avance et obliger les joueurs à y assister.

— Ce n’était pas comme ça avant ?

— Non. À mes débuts dans la LHJMQ, quand j’étais adjoint, j’avais des joueurs attitrés. Ces joueurs-là ne voyaient jamais l’entraîneur-chef, sauf si ça allait vraiment mal. La clé, c’est d’être exigeant avec les joueurs pendant la partie et les entraînements, mais aussi de leur faire comprendre qu’on a leur bien à cœur. »

C’est difficile de trouver les bons mots. Surtout pour ceux qui ont eu comme modèles des entraîneurs plus bouillants, plus sanguins, plus cinglants, comme Mike Keenan ou Mike Babcock. Les mœurs ont changé. Les attentes aussi.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Mathieu Turcotte

« C’est clair que les parents sont plus présents qu’avant, même dans le junior majeur », note-t-il. Il comprend pourquoi.

« Mais si tu ne souhaites pas être un entraîneur de carrière, le prix à payer pour coacher est élevé. Il y a beaucoup trop de pression des parents dans les équipes pour enfants. J’ai l’impression que c’est comme pour les profs. On doit marcher sur des œufs. Il faut toujours faire attention à ce qu’on dit. Je comprends l’envers de la médaille. »

Ce n’était pas mieux dans le temps. Sauf que c’est difficile, dans les niveaux plus bas, de mettre en place une certaine discipline sans que certains parents ne réagissent.

Mathieu Turcotte

Mathieu Turcotte nourrit de grandes ambitions. Pour l’Armada, une des équipes les plus jeunes de la LHJMQ, qui n’est pas encore rendue au sommet de son cycle. Pour lui, aussi. Son rêve ? Diriger l’équipe nationale junior, au Championnat du monde. Il croit que dans les prochaines années, on verra de plus en plus d’entraîneurs comme lui – sans passé de joueur – être considérés pour les postes les plus prestigieux.

« L’accent, avec la nouvelle génération de joueurs, est mis sur la communication. Et ce n’est pas parce que tu es un ancien joueur que tu as [automatiquement] un don en communication. Les équipes se tournent de plus en plus vers des pédagogues et des enseignants. Bien sûr, il faut avoir des connaissances techniques. Mais ce qu’on fait, dans le fond, c’est de l’enseignement. »