On décortique beaucoup l’avantage numérique du Canadien. Avec raison, d’ailleurs. Ça représente le quart des buts de l’équipe. On s’attarde toutefois moins à l’autre unité spéciale. Celle du désavantage numérique.

Pourquoi ?

Parce que… c’est plate. Pendant deux, quatre ou cinq minutes, votre équipe préférée ne touche à peu près jamais à la rondelle. Si elle la récupère, généralement, elle s’en débarrasse illico. Mais monsieur le chroniqueur, n’appréciez-vous pas l’art subtil du dégagement réussi ? Désolé. C’est comme le chant grégorien ; ça ne plaît qu’aux initiés.

Dans sa chanson Hockey, Émile Bilodeau décrit bien notre relation compliquée avec le désavantage numérique. « Mon coach m’aime bien, pis il me fait jouer en désavantage numérique. Pis pour vrai, moi, je trouve ça fantastique. » Mais quand il se présente aux filles après le match comme « le 83, le gars qui a bloqué les pucks », que lui répondent-elles ? « Ouais, ouais, c’était hot. Mais nous autres, on aimerait ça parler au gars de ton équipe qui a scoré les deux buts. »

Il reste qu’on sous-estime les joueurs comme le 83 d’Émile Bilodeau qui, à défaut de compter deux buts, peut peut-être en empêcher deux. Car l’infériorité numérique est une phase de jeu tout aussi importante que la supériorité numérique.

Le Canadien passe en moyenne six minutes par match à court d’un ou deux hommes. C’est 10 % d’une partie. Or, pendant ces six petites minutes, l’adversaire compte 30 % de ses buts. C’est trop. Beaucoup trop. Un problème qui persiste maintenant depuis deux ans.

Les ennuis ont commencé après les séries éliminatoires de 2021. Le Canadien venait d’atteindre la finale de la Coupe Stanley, notamment grâce à l’excellence des unités spéciales en infériorité numérique (91 %). Puis Phillip Danault, artisan de ce succès, est parti. Paul Byron s’est blessé. Carey Price aussi. Shea Weber n’était plus capable de jouer. L’équipe s’est écroulée. Le directeur général Marc Bergevin a été congédié. Jeff Gorton et Kent Hughes sont arrivés. Depuis le changement à la haute direction, le 28 novembre 2021, les chiffres sont catastrophiques. Le Canadien est la pire équipe de la LNH en infériorité numérique (74,7 %), et celle qui donne le plus de buts dans ces circonstances.

Buts accordés en désavantage numérique (ère Gorton-Hughes*)

  • 32. Canadien de Montréal : 142
  • 31. Coyotes de l’Arizona : 138
  • 30. Ducks d’Anaheim : 132
  • 29. Oilers d’Edmonton : 126
  • 1. Rangers de New York : 79

* Depuis le 28 novembre 2021

Les stats de cette saison (73,5 %, 27e) s’inscrivent dans cette tendance. Le Canadien a déjà accordé 22 buts en infériorité numérique. C’est plus d’un par match. Seul le Wild du Minnesota a fait pire. D’accord, les gardiens du Canadien ne sont pas les meilleurs de la ligue. Personne ne les confondra avec Carey Price au sommet de sa forme. Il est aussi vrai que l’hiver dernier, Samuel Montembeault a connu des soirées difficiles lorsque ses coéquipiers étaient au cachot. Mais cette saison, les gardiens du Canadien n’ont pas à porter le bonnet d’âne pour les insuccès en infériorité numérique. Selon le site spécialisé MoneyPuck, ils n’ont accordé qu’un but de plus que ce qui était anticipé, relativement à la qualité des tirs. C’est légèrement sous la moyenne de la LNH. Rien d’alarmant.

Le problème ? C’est le collectif devant eux. Les attaquants et les défenseurs offrent tout simplement trop de chances de qualité à leurs adversaires. Même le joueur le plus fiable et talentueux de l’équipe, Nick Suzuki, en arrache. Pas à peu près, d’ailleurs. Sa régression dans cette phase du jeu est préoccupante.

Nick Suzuki : buts accordés par 60 minutes en désavantage numérique

  • 2019-2020 : 2,85
  • 2020-2021 : 2,87
  • 2021-2022 : 7,30
  • 2022-2023 : 9,75
  • 2023-2024 : 20,39

Non, il n’y a pas d’erreur de frappe : 7 buts en 20 minutes et des poussières, ça fait bel et bien un ratio de 20 buts par 60 minutes. C’est la pire moyenne dans toute la LNH parmi ceux qui jouent régulièrement en infériorité numérique.

Buts accordés par 60 minutes en désavantage numérique

  • 1. Nick Suzuki, Canadien : 20,39
  • 2. Travis Dermott, Coyotes : 18,18
  • 3. Filip Zadina, Sharks : 17,99
  • 4. Colton Sissons, Predators : 17,42
  • 5. J. T. Miller, Canucks : 17,18

Minimum de 20 minutes en désavantage numérique

Bien sûr, Suzuki n’est pas le seul responsable des déboires du CH en infériorité numérique. Sa responsabilité reste limitée à ce qui se produit autour de lui. Notez aussi qu’aucun joueur du Canadien ne se retrouve parmi les 150 meneurs dans la moyenne de buts accordés. Le meilleur, Jordan Harris, ne pointe qu’au 174e rang.

Il reste que le ratio de Suzuki, ainsi que ceux de ses coéquipiers, est inquiétant. À des fins de comparaison, à l’autre bout du tableau, on retrouve plusieurs anciens du Tricolore, comme Lars Eller (2,72), Phillip Danault (3,42) et même Ryan Poehling (4,99). Artturi Lehkonen ? Jusqu’ici, c’est la perfection cette saison. Aucun but accordé en 22 minutes au moment de se blesser, il y a deux semaines.

PHOTO JEFFREY T. BARNES, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Artturi Lehkonen

Ailleurs dans la LNH, on note que certaines équipes investissent de plus en plus d’argent dans la « prévention de buts ». Pas tant dans des gardiens d’élite que dans des attaquants et des défenseurs doués pour limiter les chances de compter de l’adversaire. C’est un concept à la mode au baseball, où on s’arrache les services des magiciens de la défense. Pendant l’été 2022, les attaquants réputés pour leur talent défensif furent les grands gagnants du marché des joueurs autonomes. Anthony Cirelli a signé un contrat de 50 millions. Valeri Nichushkin, 49 millions. Vincent Trocheck, 39 millions. Andrew Copp, 29 millions. Artturi Lehkonen, 23 millions.

Le CH, pour de bonnes raisons liées au plafond salarial et à la reconstruction, est resté sur les lignes de côté. Soit. Mais après deux années d’insuccès en infériorité numérique, je crains qu’on ait fait le tour des solutions à l’interne pour le long terme. Les espoirs ? À l’exception de David Reinbacher, les joueurs les plus prometteurs sont surtout réputés pour leur jeu offensif. Tant mieux. Ça fait 30 ans que les partisans montréalais souhaitent des clubs plus offensifs.

Sauf que pour réussir la reconstruction, ça va aussi prendre des numéros 83.