En 2019, Samuel Laberge coulait du ciment pour des trottoirs dans la région de Châteauguay. La fin de semaine, il roulait 100 kilomètres vers le nord pour aller s’amuser avec ses coéquipiers des Éperviers de Sorel-Tracy, dans la Ligue nord-américaine de hockey.

Aujourd’hui, il est dans la Ligue nationale, avec les Devils du New Jersey.

Son histoire est disneyesque. « Si tu produisais ce film-là, tout le monde te dirait : “ Pffff, c’est trop gros ” », lance Serge Beausoleil, qui l’a entraîné pendant trois saisons avec l’Océanic de Rimouski.

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Samuel Laberge lors de son premier match dans la LNH, jeudi soir

Samuel Laberge est le négligé ultime. Celui qui n’a pas fait le midget AAA à sa première saison, puis qui a remporté le championnat l’hiver suivant. Celui qui n’a été repêché qu’au sixième tour dans la LHJMQ, mais qui a gagné la Coupe du Président. Celui qui a été ignoré au repêchage de la LNH, puis qui a réussi à atteindre la grande ligue à 26 ans, grâce à sa détermination, son leadership, et surtout, son cœur.

« Samuel, c’est la meilleure personne sur terre », confie son agent, Paul S. Hamel. « Je seconde ! », renchérit Serge Beausoleil.

C’est un être humain extraordinaire. Il est empreint d’altruisme et d’empathie. C’est un coéquipier en or. Quand il passe dans ta vie, tu es choyé.

Serge Beausoleil, ancien entraîneur-chef de l’Océanic de Rimouski

Le passage de Samuel Laberge à Rimouski a marqué les esprits. Oui, il a remporté le championnat. Oui, il a été capitaine de l’équipe. Mais en plus, il a été nommé deux fois joueur humanitaire de l’année. Pas juste pour l’Océanic. Pour toute la ligue. Un cas unique dans l’histoire du circuit.

« Il y en a qui font deux, trois affaires, raconte Serge Beausoleil. C’est un peu arrangé avec le gars des vues. Lui, non. Il voulait s’impliquer dans la communauté. Il désirait en faire plus. Il était tout le temps disponible pour les enfants malades et les personnes âgées. Il a un cœur en or. »

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Samuel Laberge a été nommé deux fois joueur humanitaire de l’année dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec.

Malgré son leadership, ses championnats, son physique imposant et ses bonnes statistiques (45 points en 40 matchs à 19 ans), il a été ignoré au repêchage de la LNH. Deux fois plutôt qu’une. Les Stars de Dallas l’ont toutefois suffisamment aimé pour lui offrir un contrat de la Ligue américaine. Samuel Laberge est donc passé chez les pros dès ses 20 ans, un parcours inhabituel. Plus jeune joueur de son équipe, il a bien paru, avec 15 points. Sauf que l’hiver suivant, une grave blessure l’a forcé à rater 50 parties. Les Stars l’ont laissé partir. Il a tenté de relancer sa carrière avec le Moose du Manitoba, club-école des Jets de Winnipeg. Il s’est présenté au camp d’entraînement. Sur la glace, ça se passait bien, mais après quelques jours, il a dû revenir à Châteauguay.

Son père avait besoin d’aide.

Pierre Laberge a toujours été très proche de son fils. « Quand Samuel jouait dans les rangs amateurs, Pierre n’a jamais raté une seule partie », confirme Paul S. Hamel. Samuel était avec l’Océanic lorsque son père a reçu un diagnostic de cancer des os. Trois années plus tard, la maladie avait malheureusement progressé. « C’est Samuel qui a décidé de revenir, indique son agent. Sa famille avait besoin de lui. Sa carrière allait passer en deuxième. »

Samuel s’est trouvé un emploi dans la région de Châteauguay. Il coulait du ciment pour les trottoirs. Le week-end, il reprenait son bâton et ses patins pour s’aligner avec les Éperviers de Sorel-Tracy, dans la Ligue nord-américaine de hockey (LNAH), un circuit provincial sénior. « C’était pour s’amuser », raconte Paul S. Hamel. (Puisque les Devils jouaient deux fois en deux soirs, cette semaine, Samuel Laberge n’était pas disponible pour une entrevue vendredi.)

À la fin de l’hiver, la pandémie a frappé. La LNAH a dû cesser ses activités et annuler sa saison 2020-2021. Pierre, qui prenait du mieux, a encouragé son fils à retourner chez les pros, pour vivre son rêve.

Samuel Laberge a passé la saison suivante au Texas, avec les Americans d’Allen dans l’ECHL, puis il s’est rapproché de la maison en signant un contrat avec le Thunder de l’Adirondack, dans la même ligue. L’arrangement lui convenait bien. Le club était basé à Glens Falls, dans l’État de New York. C’est à moins de trois heures de voiture de Châteauguay. L’équipe s’est montrée compréhensive et a permis à Samuel du temps avec ses proches.

Son début de saison canon — 10 points en 12 parties — a suscité la curiosité. Son style de jeu, aussi. « La compétitivité circule dans ses veines, explique Serge Beausoleil. Samuel est vraiment fort. Je le mettrais à côté de Louis Cyr [rires] ! Sans blague, c’est une force de la nature. À l’époque, son coup de patin était vraiment déficient. Il a dû travailler fort pour aller chercher plus de vitesse. Il a fait de gros progrès. Ce qui lui arrive en ce moment, ça ne m’étonne pas du tout. »

Les Comets d’Utica, club-école des Devils du New Jersey, l’ont invité à se joindre à eux à l’automne 2021. Comme partout où il était passé avant, Samuel Laberge a fait une forte impression.

« Il est tout feu tout flamme [lights out] », s’est exclamé récemment son entraîneur-chef chez les Comets, Kevin Dineen.

Son attitude dans le vestiaire en fait un élément inestimable pour notre équipe. Nous savons que chaque soir, nous obtiendrons un effort honnête de sa part.

Kevin Dineen, entraîneur-chef des Comets d’Utica

« En désavantage numérique, il va arrêter la puck avec sa face, illustre Paul S. Hamel. Samuel est un joueur acharné, qui peut être très tough. Mais s’il se bat, ce n’est pas pour lui. C’est pour défendre un coéquipier. » Sans surprise, ça en fait un joueur populaire dans le vestiaire. « Tu ne peux pas avoir un leader plus positif que ça. Et tu ne peux pas avoir un gars qui ira plus à la guerre pour son club. »

Ces traits de caractère ont plu aux dirigeants des Devils. Samedi dernier, ils lui ont offert un premier contrat de la Ligue nationale. Mercredi, ils l’ont rappelé avec le grand club. Jeudi soir, ils l’ont inséré dans l’alignement contre les Flyers, à Philadelphie.

Son nouvel entraîneur-chef, Lindy Ruff, l’a louangé devant les journalistes locaux. « Il est fort avec la rondelle. Il est déterminé à gagner toutes ses batailles [pour la rondelle]. Il fonce au filet. […] J’apprécie son travail. C’est le rêve de tous les hockeyeurs de jouer un match dans la LNH. Si tu es un des gars qui jouent le mieux et qui se défoncent, tu seras rappelé et tu joueras. [Sa promotion] est très méritée. Il était avec nous pour les matchs d’avant-saison, et nous avions aimé son jeu. Il a maintenant droit à sa chance. Je suis content pour lui. »

Jeudi soir, Samuel Laberge n’a eu droit qu’à une petite saucette. Quatre minutes. Huit présences. Une mise en échec. Mais au-delà des chiffres, ce match était le triomphe d’un parcours invraisemblable. La consécration d’un rêve qui, dans un aréna de Sorel-Tracy, il y a quatre ans, semblait inaccessible.