Connaissez-vous Yoshinobu Yamamoto ?

Voici ses statistiques dans les ligues majeures de baseball :

  • aucune présence au bâton ;
  • aucun attrapé à la vache ;
  • aucune manche lancée ;
  • aucune course sur les buts.

Des zéros partout. Pourtant, dans quelques jours, il deviendra un des athlètes les mieux payés au monde. Pas juste au baseball. Tous sports confondus. Quelques chiffres circulent – 250 millions, 300 millions, 325 millions, pour sept à dix saisons. Ça devrait suffire pour payer l’épicerie. Peut-être même pourra-t-il s’offrir un petit cube de bœuf de Kobe, ainsi qu’une tranche de melon Yubari.

Jamais une recrue en Amérique du Nord n’a signé un tel contrat. Le record dans la NFL ? 78 millions, pour Sam Bradford. Au baseball ? 113 millions pour Jung Hoo Lee, qui s’est entendu avec les Giants de San Francisco mardi. Même l’entente de Lionel Messi avec l’Inter Miami, pour moins d’années, il est vrai, n’atteint pas ces hauteurs.

Votre cerveau va exploser ?

Contrôlez votre migraine, car vous n’êtes pas au bout de vos surprises.

Tout indique que le contrat de Yoshinobu Yamamoto sera plus payant que ceux de Clayton Kershaw, Max Scherzer et Justin Verlander, trois joueurs ayant le potentiel d’être élus au Temple de la renommée dès leur première année d’admissibilité. Certains analystes pensent même qu’il pourrait menacer le record de Gerrit Cole pour un lanceur. Tout ça, je le rappelle, sans qu’il ait jamais disputé un seul match dans les ligues majeures !

Plus gros contrats pour des lanceurs

  1. Gerrit Cole, 324 millions
  2. Stephen Strasburg, 245 millions
  3. David Price, 217 millions
  4. Clayton Kershaw, 215 millions
  5. Max Scherzer, 210 millions

(À l’exclusion de Shohei Ohtani, qui est aussi frappeur.)

OK. C’est quoi, l’affaire ? Qu’a-t-il de si spécial, Yoshinobu Yamamoto ?

D’abord, il est japonais. Il n’a donc pas à passer par le repêchage, comme les joueurs canadiens, américains et portoricains. Ni par le système byzantin de recrutement international, comme les autres joueurs des Amériques. Il profite d’une autonomie complète. À 25 ans, ça vaut son pesant d’or.

En plus, c’est un joueur prodigieux. Ses statistiques, dans la première division japonaise, sont pedromartinesques. Sa fiche ? 70-29. Sa moyenne ? 1,82. Moins d’un adversaire par manche se rend sur les buts. C’est mieux que Shohei Ohtani et Hideo Nomo dans la même ligue, au même âge. Yamamoto vient d’ailleurs de gagner trois fois de suite le titre de joueur de l’année au Japon.

De quoi chatouiller la curiosité.

Après, c’est vrai que dans l’histoire récente, plusieurs lanceurs japonais présentés comme des superhéros ont déçu. Daisuke Matsuzaka, surnommé le Monstre, devait être l’as des Red Sox de Boston pour une décennie. Ses succès n’auront duré que deux ans. Hideki Irabu, dit le « Nolan Ryan japonais », s’est avéré être un lanceur bien ordinaire. Tellement que le propriétaire des Yankees de New York lui avait trouvé un surnom moins glorieux.

The Fat Toad.

Le gros crapaud.

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Hideki Irabu avec les Expos en 2000

À l’époque, les équipes se fiaient surtout aux facteurs d’équivalence, ces algorithmes qui tentent de prédire la production future des joueurs étrangers en fonction des statistiques des joueurs issus des mêmes ligues. Aujourd’hui, les équipes sont mieux outillées. Elles ont accès à des données plus fines, a expliqué à The Athletic le directeur général des Pirates de Pittsburgh, Ben Cherington. On peut penser au nombre de rotations de la balle pour chaque lancer. « Une grande partie des éléments qui se trouvent sous le capot n’étaient pas disponibles à l’époque. La situation est tout à fait différente. »

Ces données, explique The Athletic, font très bien paraître Yamamoto. Ses trois principaux lancers – la rapide, la courbe et la fronde – sont tous de niveau élite. La précision de ses tirs, aussi. Concrètement, sa future équipe obtiendra un as.

Ça explique pourquoi tant d’équipes lui font la cour. Le propriétaire des Mets de New York et les patrons des Giants de San Francisco ont traversé l’océan Pacifique pour le rencontrer. Les Yankees de New York et les Dodgers de Los Angeles sont sur les rangs. Les Red Sox de Boston en rêvent. Même les Blue Jays de Toronto, après avoir perdu le derby Ohtani, démontreraient un intérêt.

Avec toute cette compétition, il est possible, voire probable, qu’un propriétaire s’emballe et donne son NIP, son yacht et son jet privé à Yoshinobu Yamamoto.

Notez que dans cette liste de courtisans, on ne retrouve ni les Pirates de Pittsburgh, ni les Royals de Kansas City, ni les Reds de Cincinnati. Ce n’est pas un oubli. Plus que jamais, le baseball majeur est divisé en deux. Je sais, c’est déjà le cas avec la Nationale et l’Américaine. Mais je parle ici d’une autre division, plus pernicieuse.

Les riches d’un bord, les pauvres de l’autre.

Bien sûr, des équipes fortunées fréquentent parfois le bas du classement. Ce sont des épisodes d’incompétence grave. Par contre, c’est rare que les clubs pauvres restent longtemps dans la division supérieure, même après des repêchages exceptionnels. Les Rays de Tampa Bay sont l’exception.

C’est qu’au baseball, il faut parfois attendre trois, quatre, cinq ans avant que les joueurs repêchés ne deviennent titulaires avec le grand club. Royce Lewis, premier choix de 2017, vient tout juste de percer avec les Twins du Minnesota. En revanche, les équipes riches, elles, comblent immédiatement leurs besoins en embauchant des joueurs autonomes. Ça inclut les meilleurs joueurs asiatiques, que seuls les clubs les plus fortunés peuvent se permettre d’embaucher. Un avantage monstre.

Où est allé Ohtani en débarquant en Amérique ? À Los Angeles.

Hyun-jin Ryu ? À Los Angeles aussi.

Kodai Senga ? À New York.

Masataka Yoshida ? À Boston.

Seiya Suzuki ? À Chicago.

Les équipes riches peuvent donner l’impression que le baseball est en meilleure santé que jamais, en offrant des contrats comme ceux de Shohei Ohtani et Yoshinobu Yamamoto. La réalité, c’est que ce sport est un peu, beaucoup malade, et que plusieurs autres clubs souffrent de l’escalade salariale.