C’est l’histoire d’un scandale en patinage artistique. Un autre ? Oui, un autre. Cette fois, ça implique des Canadiens. Des Russes. Un grand-papa avec des problèmes cardiaques. Sa petite-fille surdouée. Et au cœur de toutes les envies : une médaille olympique.

Cette histoire, c’est celle de Kamila Valieva.

Peut-être vous souvenez-vous d’elle. C’est cette jeune patineuse russe qui a pu participer aux Jeux de Pékin, malgré un test antidopage positif. Comme elle n’était âgée que de 15 ans, l’Agence mondiale antidopage l’avait considérée comme une « personne protégée ». Comprendre : une mineure à risque d’être manipulée par un parent, un entraîneur ou un État. Son cas, alors sous enquête, n’avait pas été publicisé avant le concours par équipes.

Valieva a d’abord remporté le programme court du concours par équipes haut la main, en frôlant le record du monde. Puis, au programme libre, elle a largué toutes ses rivales par plus de 30 points. Un canyon en patinage artistique. Ses deux prestations ont permis à la Russie de remporter la médaille d’or.

Pardon. Ses deux prestations ont permis au pays sans nom de remporter la médaille d’or – la Russie étant officiellement bannie des Jeux olympiques.

Or, le lendemain, il n’y a pas eu de cérémonie des médailles. Ni le surlendemain. Ni jamais, en fait. Parce qu’entre-temps, son cas de dopage a été dévoilé. Valieva s’est défendue en affirmant que c’était la faute de son grand-père, qui avait contaminé un verre après avoir pris des médicaments pour soigner des problèmes cardiaques. La Russie a fait pression. Valieva a pu participer au programme individuel, où elle s’est effondrée, dans ce qui reste l’évènement sportif le plus triste que j’ai couvert dans ma carrière.

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Pourquoi je vous en parle aujourd’hui ? Parce que depuis, son cas a cheminé. Lundi, le Tribunal arbitral du sport a rendu son verdict. Valieva a été reconnue coupable de dopage. Sa sanction : une suspension de quatre ans, et une mention de disqualification pour tous ses résultats aux Jeux olympiques. Jusqu’ici, ça va – sauf pour les Russes.

Mardi, l’Union internationale de patinage a enchaîné en publiant le nouveau podium du concours par équipes des Jeux de Pékin, qui tient compte de la disqualification de Valieva.

Or : les États-Unis.

Argent : le Japon.

Bronze : …

Le pays sans nom.

* * *

En athlétisme, lorsqu’un membre d’un relais subit un contrôle antidopage positif, c’est toute son équipe qui perd ses récompenses. Usain Bolt a ainsi été dépouillé d’une médaille d’or olympique a posteriori, après la disqualification d’un coéquipier. Les Britanniques ont dû redonner une médaille d’argent gagnée au 4 x 100 m des Jeux de Tokyo. Idem pour les Russes, qui avaient terminé deuxièmes au 4 x 400 m des Jeux de Rio.

En patinage artistique ?

Logiquement, ça devrait être pareil, non ? Eh bien, la règlementation pour le concours par équipes – une nouvelle épreuve en 2022 – n’est pas claire. La règle la plus applicable dans les circonstances est la 353(4)(a), qui se lit comme suit :

« Les compétiteurs disqualifiés perdront leur place et seront officiellement notés dans les résultats intermédiaires et finaux comme disqualifiés. Les compétiteurs qui ont terminé la compétition et qui étaient initialement moins bien placés que le(s) compétiteur(s) disqualifié(s) remonteront en conséquence dans le classement. »

Voici donc le classement initial.

Voici le classement final, si les points de Valieva avaient été redistribués à ses compétitrices.

Or, l’Union internationale de patinage a retenu une autre méthode de calcul. Oui, elle a effacé les points de Valieva, comme il se doit. Sauf qu’elle n’a pas « remonté » les autres compétiteurs d’un rang. Elle leur a laissé les points distribués pour leur rang initial.

Donc plutôt que de récolter 9 points pour sa « nouvelle » deuxième place dans les programmes court et libre, la Canadienne Madeline Schizas n’en a eu que 8. Conséquence : les Russes devancent les Canadiens d’un petit point.

C’est ridicule. Tellement que ça dépasse l’entendement. « C’est un non-sens que Valieva soit suspendue quatre ans, et que la Russie conserve une médaille de bronze », a commenté au USA Today le responsable de l’Agence antidopage des États-Unis, Travis Tygart.

Le résultat juste et équitable, ce serait l’application des règles disciplinaires spécifiques, et la remise de la médaille de bronze au Canada.

Travis Tygart, responsable de l’Agence antidopage des États-Unis

Les Canadiens sont évidemment outrés. Le Comité olympique canadien s’est dit « extrêmement déçu » de la décision, qu’il pourrait porter en appel. « Ceci est un rappel des torts causés par le dopage, et du caractère essentiel d’un système sportif juste et sécuritaire au pays et à travers le monde. »

Cette histoire est un gâchis sur toute la ligne. Pour les patineurs canadiens. Pour le patinage artistique. Pour le mouvement olympique. Mais aussi pour la jeune Kamila Valieva qui, à 15 ans, a été la victime d’un entourage malveillant.

Des adultes ont gâché sa carrière et son adolescence.

Ce sont eux qui mériteraient les sanctions les plus lourdes.