Le nouvel entraîneur-chef du CF Montréal, Laurent Courtois, a un parcours fascinant. Autrefois considéré comme une future étoile du soccer français, il a joué pour trois clubs en faillite, avant d’atterrir sur les plages de la Californie. Portrait d’un coach qui aime les jeux vidéo et les réseaux sociaux, mais pas les leaders « vocaux ».

Vous aimez Ted Lasso ?

Vous adorerez Laurent Courtois. Je vous rassure : le nouvel entraîneur-chef du CF Montréal connaît infiniment mieux le soccer que le personnage moustachu de Jason Sudeikis. Mais par leur bonté, leur bienveillance, leur sagesse, leur sensibilité et leur regard différent, les deux sont attachants et se ressemblent.

Pendant notre rencontre de 45 minutes, Laurent Courtois m’a parlé de ses problèmes de cœur. De sa culpabilité d’être un décrocheur scolaire. Des difficultés qu’il avait à verbaliser sa pensée. « Je n’ai jamais été bon pour fédérer les gens vocalement. » De la fois où il pensait être devenu millionnaire, aussi. À tort. Son club ne l’a pas payé pendant un an. Des épreuves que d’autres entraîneurs-chefs cacheraient. Lui ? Non. L’adversité a marqué son parcours. Elle a façonné le coach qu’il est aujourd’hui.

« Je suis habitué aux galères et aux remontées. Dans les galères, tu souffres. Dans le cran en dessous, tout le monde attend que tu gagnes et que tu remontes. La pression, tu la ressens tout le temps. »

Dans son cas, la pression est arrivée tôt.

À 12 ans.

« J’ai appris à jouer au foot dans la rue, en banlieue de Lyon. Un jour, mon petit club a affronté celui de l’Olympique lyonnais. » La grande équipe de la région. « Nous avons gagné 4-2. J’ai compté les quatre buts. » L’OL l’a recruté. L’équipe nationale aussi, un peu plus tard.

« J’étais un grand espoir. J’ai vécu ce que c’était d’être un enfant-laboratoire. Tout le monde croit que tu deviendras Lionel Messi. J’ai vécu la pression de ne pas décevoir la famille et les amis. Je m’étais construit de fausses représentations. Je croyais que j’étais [comme] Messi, et que tout allait arriver facilement. »

Ses entraîneurs étaient du même avis.

« Quand j’étais petit, on ne m’a jamais coaché. On disait : “Donne le ballon à Laurent pour qu’il aille marquer.” C’était comme ça, même à l’académie de l’OL, jusqu’à ce que je me blesse. J’avais alors 17 ans. Lorsque je suis revenu au jeu, à 18-19 ans, tout le monde était meilleur que moi. Je ne comprenais pas. Il me manquait des bagages tactiques et athlétiques que personne ne m’avait expliqués. Je ne savais pas comment me placer. J’attendais juste le ballon pour dribbler. Quand j’ai commencé à coacher, je disais aux jeunes [prodiges] : attention, tu vas te prendre une porte au visage.

— Avez-vous eu une adolescence ?

– Non. Je suis un rat de laboratoire. À 15 ans, j’ai cessé l’école pour signer un contrat avec Lyon. Depuis ce temps, je suis déscolarisé. Je n’ai pas de diplôme en dehors du foot. À cette époque, je ne savais pas comment agir socialement. Il me manquait des repères. J’avais beaucoup de mal à verbaliser ce que j’avais dans ma tête. Avec le coaching, ces dernières années, j’ai dû me forcer à communiquer avec les autres. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Laurent Courtois

Même à 45 ans, il confie encore éprouver un « sentiment de culpabilité de ne pas avoir fait d’études ». Il aurait aimé étudier l’histoire. L’astronomie. La biologie. Mais ado, dit-il, « je n’étais pas conscient de ce qui se passait ailleurs. J’ai commencé à me prendre pour un autre. Je réalisais quand même que quelque chose n’allait pas. Je ne me voyais pas si bon que ça. Je me demandais pourquoi les adultes réagissaient comme ça autour de moi. Parce que j’étais bon au foot ? Les autres, ce sont des merdes, car ils ne sont pas bons au foot ? J’étais mal à l’aise avec ça ».

« Quand je suis revenu de ma blessure, j’ai compris que l’adulte avait totalement une fausse impression de ce qui se passe dans la tête d’un adolescent. Des adultes pensaient que je faisais semblant d’être blessé. Comment un adulte sensé peut penser ça ? La douleur me faisait pleurer ! La réaction des adultes me rendait malade. »

La désinformation « m’a un peu séparé du monde adulte », précise-t-il. « C’est peut-être pour ça que j’ai voulu partir à l’étranger très rapidement. »

À 22 ans, Laurent Courtois a traversé la Manche pour se joindre au club anglais de West Ham. « Sauf qu’ils avaient déjà Michael Carrick, Jermain Defoe, Joe Cole, Paolo Di Canio… Je n’étais qu’un chandail pour compléter la formation. » Il n’a disputé que huit matchs en deux ans. Insatisfait de son utilisation, il a voulu revenir en France. Il a dû se contenter d’un contrat avec Istres, en deuxième division.

Je n’ai jamais compris pourquoi je n’ai pas reçu d’offres en D1.

Laurent Courtois

Il a ensuite mis le cap vers Levante, en Espagne. « Je suis arrivé comme le gros joueur qui devait aider l’équipe à remonter en D1. Je me suis senti très important là-bas. J’étais perçu comme un joueur “fou”. Un grinder. Ça ne m’était jamais arrivé avant. Du coup, je me suis pris à prendre plein de cartons rouges. En Espagne, le foot, c’est un jeu d’échecs pour te faire prendre des cartons jaunes. J’étais trop naïf. Je répondais tout de suite. J’étais un idiot [rires].

Dans les mois qui ont suivi, Levante l’a entouré d’autres Français. Courtois a alors acquis la réputation d’être un joueur rassembleur – une étiquette qu’il nuance.

« J’étais plus un leader de travail. Je n’ai jamais été bon pour fédérer les gens vocalement. D’ailleurs, je ne me trouve pas encore bon du tout. Moi, le capitaine qui parle fort, je vais à l’opposé. Je vais aller vers le gars dans le coin qui ne dit rien. Lui, ça m’intéresse, ce qu’il a à dire.

« J’ai vu trop de coachs qui donnent le capitanat à des joueurs seulement parce qu’ils sont vocaux. J’ai vu trop de présidents ou de directeurs généraux qui donnent de l’importance à des coachs seulement parce qu’ils sont à l’aise avec les mots. J’aime bien gratter et voir qui n’est pas à l’aise avec les mots. Peut-être que cette personne a des choses à dire. »

Si, sur le plan sportif, le séjour à Levante fut « une aventure extraordinaire », en coulisses, ce fut un cauchemar. « Je croyais être millionnaire. Avoir assuré la sécurité de ma famille pour longtemps. Mais je n’ai pas été payé pendant un an. Nous sommes allés en justice. Nous avons gagné, mais je n’ai eu que des miettes. »

Curieusement, Laurent Courtois s’est retrouvé trois fois au sein d’une équipe forcée de déposer son bilan : à Levante, à Toulouse et à Grenoble. Lorsque tout s’est effondré la troisième fois, après de belles saisons en D1 à Grenoble, il n’a pas voulu retourner en D2. Il est parti pour les États-Unis, avec le Chivas USA, établi à Los Angeles.

« L. A., pour moi, c’était Baywatch ! »

Le choc culturel a été brutal.

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Laurent Courtois

« On perdait 3-0, et le lendemain, on faisait un barbecue familial sur la plage à Santa Monica. Je me disais : what the f*** is going on ? Je n’étais pas bien. C’est drôle, car j’en parlais justement avec Matías Cóccaro [un nouveau joueur du CF Montréal]. Il m’a dit : “Coach, je ne comprends pas. Pendant l’entraînement, on jouait au tennis-ballon. Les gars perdaient et ne faisaient rien. Moi, si je perds, je deviens fou !” Je lui ai répondu : “Attention, ne tombe pas dans le panneau. Ici, c’est différent d’où tu viens.” »

Les mœurs ont-elles changé depuis son arrivée en Amérique, il y a bientôt 15 ans ?

« Oui. On a gardé les bons côtés, et on a mieux structuré les choses. »

À sa retraite, Laurent Courtois est retourné en France pour faire ses classes comme entraîneur. Il a commencé avec les filles M15 de l’Olympique lyonnais. Un divorce est venu bousculer ses plans. Il a choisi de changer d’air et de retourner à Los Angeles, où le Galaxy lui a offert un poste. Deux ans plus tard, il a déménagé à Columbus, pour diriger le club réserve du Crew. Ses succès en Ohio ont ensuite convaincu le CF Montréal de l’embaucher, le mois dernier.

Laurent Courtois se décrit comme un entraîneur-chef capable de déléguer les responsabilités à ses adjoints.

Je préfère être déçu par quelqu’un à qui j’ai fait trop confiance, plutôt que de me méfier d’une personne qui vaudrait beaucoup.

Laurent Courtois

« C’est un travail extraordinaire, mais compliqué, ajoute-t-il. J’en parlais justement [la semaine dernière] avec [l’entraîneur-chef de Columbus] Wilfried Nancy. Il m’a dit à quel point ce job, c’est de la folie. Tu peux t’entourer, avoir les meilleures relations avec tout le monde, tu restes tout seul, dans un sens, avec tes décisions. Je suis toujours dans l’anticipation. Le présent, c’est trop tard […] Dans ma routine, je regarde toujours mon propre match trois fois d’affilée, jusqu’à 3 h matin. Je n’en suis pas fier. Ma copine à l’époque me disait : “Ce n’est pas possible.” Elle désirait de l’attention. Mais moi, mon attention, c’était ça. Des gens arrivent à tout faire. Moi, je n’y arrive pas. »

Et comment aime-t-il être perçu de ses joueurs ?

Comme un père.

« Je n’ai pas besoin que tu m’aimes. Je ferai tout pour que tu grandisses. »

Ted Lasso n’aurait pas dit mieux.

« J’aime beaucoup les réseaux sociaux »

Laurent Courtois est l’un des rares entraîneurs-chefs actifs sur le réseau social X.

« J’aime beaucoup les réseaux sociaux, explique-t-il : 99 % des choses que je fais, c’est pour savoir ce que mes fils penseront de moi. Je veux qu’ils aient une mappe de ce que je pense être une idée de concevoir notre très court passage sur cette planète. Les réseaux sociaux, ça m’aide à leur faire voir ce que je fais. Comme un album. Et puis ça me permet de rester connecter avec eux. Je suis un gamin, moi. J’aime les animés. J’aime les jeux vidéo.

— Jouez-vous à Football Manager ?

— J’ai peur de tomber sur ça, tellement c’est addictif et archi réaliste. Je préfère les jeux vidéo auxquels mes gars jouent, comme Star Wars et God of War. »