Habituellement, en Formule 1, chaque saison amène quelques changements à la réglementation et toutes les équipes se limitent à adapter leurs voitures. Cette année, on a plutôt droit à une véritable révolution !

En fait, il faut remonter près de 40 ans en arrière pour trouver des changements d’une telle ampleur et, curieusement, les nouvelles règles vont diamétralement à l’opposé des changements adoptés à la fin de la saison 1982, quand la FIA a interdit l’effet de sol. Introduit dans les années 1970 par le génial Colin Chapman, de Lotus, ce concept aérodynamique permettait d’utiliser le dessous de la voiture comme une aile d’avion inversée pour accélérer l’air et créer un effet venturi qui plaquait les voitures sur la piste.

Rapidement, toutes les équipes emboîtèrent le pas, on vit apparaître toutes sortes de variantes, même des voitures « aspirateurs », et les responsables de la F1 décidèrent d’intervenir, de crainte que les vitesses vertigineuses des voitures en courbe ne rendent plusieurs circuits obsolètes en matière de sécurité. L’imposition d’un fond plat entre les roues régla l’affaire.

Depuis, ce sont surtout les ailerons avant et arrière qui créent l’appui aérodynamique qui permet aux voitures d’être plus adhérentes dans les virages. Ces appendices créent toutefois aussi une importante traînée aérodynamique autour et surtout derrière les voitures, limitant sérieusement la possibilité pour un pilote de suivre un concurrent. Les études réalisées en soufflerie estiment à 35 % la réduction de l’appui aérodynamique lorsqu’une voiture roule à 20 m d’une autre, à 44 % lorsqu’elle est à 10 m.

Bien difficile, dans ces conditions, de réussir, voire de tenter un dépassement, et le spectacle en souffre évidemment. La plupart des Grands Prix sont devenus des processions qui se jouent au départ, lors des arrêts aux puits ou d’éventuelles neutralisations.

C’est donc essentiellement pour ramener un peu d’action que les législateurs de la F1 ont complètement réécrit le livre des règlements techniques.

En réintroduisant l’effet de sol, ils espèrent réduire la traînée aérodynamique et permettre aux pilotes de rouler plus près les uns des autres. Les tests ont montré que la perte d’appui était réduite à 4 % à 20 m et à 18 % à 10 m, ce qui devrait permettre aux pilotes d’être en meilleure position pour attaquer un concurrent dans la ligne droite suivante.

Les récents essais préparatoires, à Barcelone et à Bahreïn, ont permis de valider une partie de ces données, plusieurs pilotes se livrant à de brèves mais instructives batailles lors des derniers essais sur le circuit de Sakhir. Il reste à voir ce que cela donnera lorsque tout le monde roulera ensemble.

Des problèmes à régler

Il reste aussi à voir à quelle vitesse les équipes et les pilotes vont réussir à apprivoiser, puis à maximiser les possibilités de leurs nouvelles voitures. Sebastian Vettel, coéquipier de Lance Stroll chez Aston Martin, disait il y a quelques jours : « Les nouvelles F1 sont incroyablement différentes des précédentes et nous avons tous une énorme courbe d’apprentissage devant nous. »

Les essais hivernaux ont ainsi permis de constater que la maîtrise de l’effet de sol est un art délicat.

En 1982, la Ferrari 126 C2 que pilotait Gilles Villeneuve en début de saison avait encore été fabriquée de façon largement artisanale dans les ateliers de la Scuderia, à Maranello, et ses réglages relevaient encore beaucoup du bricolage.

Rien à voir avec les voitures de la génération actuelle, conçues par des spécialistes en aérodynamique disposant de tous les outils informatiques et créées au terme de longues simulations et de tests en soufflerie. Déjà redoutablement efficaces, les voitures s’avèrent plus difficiles à piloter en raison notamment d’un phénomène de rebond surnommé « marsouinage », en référence au cétacé marin proche du dauphin.

Lorsque l’effet de sol est au maximum, que la voiture est tout près de la piste, la pression trop élevée entraîne un « décrochage » qui provoque un violent et dangereux rebond. Les pilotes se sont évidemment plaints des malaises causés par ces chocs, des risques de bris mécaniques, mais aussi des effets sur la visibilité, déjà compromise à l’avant par le passage aux roues de 18 po, l’autre grande nouveauté de la saison.

Toutes les équipes travaillent à éliminer ce problème et les voitures ont déjà beaucoup évolué depuis leur présentation il y a quelques semaines. C’est particulièrement vrai chez Red Bull et Mercedes, encore les favoris cette saison, avec Ferrari, qui paient sans doute un peu les conséquences d’être toujours à la limite dans leur quête du premier rang.

Des règles plus claires

La dernière saison a pris fin de façon controversée au Grand Prix d’Abou Dabi quand Max Verstappen a profité d’une application discutable des règles pendant la neutralisation de la course avant de doubler Lewis Hamilton dans le dernier tour pour enlever le titre mondial.

PHOTO HAMAD I MOHAMMED, ARCHIVES REUTERS

Max Verstappen et Lewis Hamilton, au terme du dernier Grand Prix de la saison, à Abou Dabi

La FIA a lancé une enquête et les équipes de pointe se sont livré un bras de fer, dans les coulisses, pour imposer leur vision des choses. Le directeur de course responsable du fiasco d’Abou Dabi, Michael Masi, a été remplacé (une exigence de Mercedes) par un duo formé de Niels Wittich et d’Eduardo Freitas, deux directeurs de course expérimentés. Ils seront appuyés par le vétéran Herbie Blash, adjoint de Charlie Whiting, directeur de course « indiscuté » de la F1 jusqu’à sa mort en 2019.

Une nouvelle salle de contrôle virtuelle permettra d’accélérer les décisions relatives aux évènements de course, alors que les communications « en direct » entre les équipes et le directeur de course ne seront plus possibles.

Enfin, la fameuse règle sur les retardataires a été précisée et ce sont maintenant « toutes » les voitures classées à plus d’un tour au moment d’une neutralisation qui devront se dédoubler avant que la course soit relancée. Si cela avait été le cas à Abou Dabi – où seules les voitures intercalées entre le meneur Hamilton et Verstappen ont pu le faire –, tous les concurrents n’auraient pas eu le temps de se dédoubler, la course aurait pris fin sous drapeau jaune et Hamilton aurait été champion du monde…