Le 31 janvier dernier, au Centre Bell, Lance Stroll est apparu sur l’écran géant pendant un arrêt de jeu. Souriant, il a salué la foule. Et celle-ci, plutôt que de l’applaudir, lui a répondu par… une indifférence quasi totale.

On peut présumer que l’accueil aurait été autrement chaleureux pour Laurent Duvernay-Tardif, Félix Auger-Aliassime ou Justine Dufour-Lapointe, par exemple. Autant d’athlètes qui jouissent d’une forte notoriété auprès du public québécois.

Stroll, pourtant, appartient à l’élite mondiale du sport automobile. Seuls 20 pilotes possèdent un volant en Formule 1. Il est donc singulier qu’un natif de Montréal s’exprimant très bien en français soulève aussi peu d’enthousiasme dans une province possédant une longue tradition de F1. Surtout lorsqu’on sait que le dernier Québécois à avoir atteint ce niveau, Jacques Villeneuve, était une supervedette il y a un quart de siècle.

Lorsque La Presse a soumis cette observation à François Dumontier, le promoteur du Grand Prix du Canada ne l’a pas rejetée. Même s’il courra ce week-end dans sa ville natale et que l’écurie Aston Martin connaît un bon début de saison, Stroll est loin d’être le principal visage de l’évènement.

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François Dumontier, promoteur du Grand Prix du Canada

« En tout début de carrière, il ne savait pas trop comment réagir avec le public et les médias, a avancé Dumontier lors d’un court entretien réalisé mercredi dernier. Je pense aussi que l’arrivée de Fernando Alonso va l’aider. »

Je le sens déjà plus à l’aise depuis le début de l’année. Il gagne à être connu. C’est un bon gars, très sympathique.

François Dumontier, promoteur du Grand Prix du Canada

Comme pour lui donner raison, Stroll est apparu tout à fait à l’aise pendant sa rencontre d’une vingtaine de minutes avec les représentants des médias, jeudi, sur le site du Grand Prix. Il semblait même plus détendu lors du segment en français, et ce, bien qu’il ne s’agisse pas de sa langue première. Ce n’est pas un monstre d’entregent, mais il faut bien commencer quelque part…

Sa présence médiatique, néanmoins, est un peu le reflet de la relation qu’il partage avec le public. À la demande de La Presse, la firme Influence Communication a répertorié les mentions de Stroll dans les médias d’ici, francophones comme anglophones, au cours des 24 derniers mois. En le comparant à une liste de quelque 150 autres athlètes québécois, canadiens ou évoluant dans la province (par exemple les joueurs du Canadien de Montréal), il se positionne certes dans le tiers supérieur, mais loin de la tête.

En 2021-2022, par exemple, il a pris la 27position d’un palmarès dominé par des joueurs du CH. Le tennisman Félix Auger-Aliassime a quand même obtenu presque le double des mentions. En 2022-2023, il grimpe au 18échelon, mais demeure derrière Denis Shapovalov et Bianca Andreescu, qui ne sont pas québécois. Durant la même période, il a fait l’objet d’une attention comparable à celle qu’a reçue Carey Price… qui n’a pas joué depuis deux ans.

L’aura du père

Au détour d’une conversation à bâtons rompus, jeudi, Pierre Houde, voix de la F1 à RDS, a fait remarquer que l’intérêt des partisans de course automobile avait changé au cours des années. Ceux qu’il croisait à la fin des années 1990 n’en avaient que pour Jacques Villeneuve, alors que ceux d’aujourd’hui lui parlent plutôt du championnat et de ses intrigues.

François Dumontier se demande aussi si l’image du fils à papa qui lui colle à la peau ne nuit pas à sa popularité. Le milliardaire Lawrence Stroll est, de fait, le propriétaire de l’écurie qui emploie Lance.

Certains médias européens ne ratent jamais une occasion de rappeler cet état de fait, et ce, en dépit des succès du coureur cette saison et des qualités de pilote que lui reconnaissent ses pairs. Ses puissants départs et sa conduite sous la pluie, par exemple.

L’aura du paternel, toutefois, n’est jamais loin. Jeudi, Stroll a été invité à commenter deux déclarations de son père. Une première avançant que le jeune homme peut atteindre dès cette saison le niveau de performance de Fernando Alonso ; une seconde exprimant le souhait que les deux pilotes d’Aston Martin montent sur le podium à Montréal.

« En as-tu marre qu’on te parle de ton père ? », lui a-t-on demandé à la blague. « Ça fait partie du plaisir » de l’exercice, a-t-il répondu en souriant.

À plusieurs reprises, le coureur de 24 ans a répété qu’il faisait sa petite affaire. Souvent après l’évocation de l’influence d’Alonso, en fait. La relation d’amitié et de collaboration qui s’est installée entre les deux a été un sujet de conversation constant, jeudi.

A-t-il hâte d’être considéré pour ce que lui-même peut apporter, sans qu’on évoque son père ou son coéquipier ? « Je ne m’y attarde pas trop, a-t-il dit. Je fais ce que je sais faire. Ce jour va arriver, j’imagine. »

Éloges

Du reste, Stroll a eu droit à toutes sortes de compliments. Notamment de son directeur d’équipe Mike Krack, qui a vanté sa combativité.

Le Montréalais a amorcé la saison à peine quelques jours après avoir subi un grave accident de vélo. Des blessures aux poignets ont nécessité une opération. Il a ainsi été privé de multiples séances d’essais présaison, ce qui ne l’a pas empêché de terminer au sixième rang à Bahreïn, en lever de rideau. Un exploit « qui n’a pas été assez remarqué », a fait valoir M. Krack.

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Mike Krack, directeur de l’équipe Aston Martin

Il ne faut pas évaluer Stroll comme un produit fini, insiste-t-il, et ce, même s’il en est à sa septième campagne. « Chaque coureur a une courbe de progression bien à lui et, généralement, personne n’est champion à sa première année, a noté l’ingénieur. La F1 est un environnement injuste où les pilotes sont catégorisés rapidement. Il y a plusieurs facteurs à considérer. Je ne crois pas que Lance a longtemps conduit une voiture performante [avant cette année]. »

Lui aussi s’est enthousiasmé de la relation que partagent Stroll et Alonso. Cette cohésion déteint sur toute l’équipe. « On est chanceux qu’ils s’entendent aussi bien. »

Alonso, au cours d’un point de presse organisé par la FIA, a assuré que son jeune coéquipier avait tout ce qu’il faut pour gravir d’autres échelons. « Quand tu commences l’année avec des poignets cassés, tu vois bien que ça prend de la passion pour faire ce qu’on fait », a dit le vétéran de 41 ans.

Je crois que, pour lui, le plus important est de trouver la constance. On l’a vu faire des choses incroyables, mais parfois, les résultats n’ont pas suivi.

Fernando Alonso, coéquipier de Lance Stroll

Et de conclure : « Avec son engagement et sa motivation, et avec ce que l’équipe est en train de construire, c’est une question de temps avant que le succès vienne. »

Viendra-t-il dès ce dimanche à Montréal ? Si oui, la prophétie du père Stroll se réalisera, ce qui ne contribuerait pas à dissocier son nom de celui de son fils.

Sur ce coup, on imagine tout de même que Lance ne s’en plaindrait pas trop.