L’évènement promotionnel est, sur papier, d’une criante banalité.

Sur la glace de leur complexe d’entraînement, des joueurs du Canadien patinent avec des acteurs du Grand Prix du Canada. Comme chaque année, et comme l’ont fait avant eux d’autres joueurs et d’autres acteurs du GP depuis on ne sait plus trop quand.

Cette fois, il y a toutefois une anomalie. Naguère, ce sont les pilotes qui se prêtaient au jeu. L’an dernier, Nick Suzuki a remis un maillot du Canadien à Fernando Alonso. En 2019, Lance Stroll a patiné avec l’équipe de sa ville natale. Or, cette fois, celui qui sue sous un lourd équipement de gardien, c’est Günther Steiner, chef d’équipe de l’écurie Haas.

L’homme de 58 ans a été propulsé sous les feux de la rampe par Drive to Survive, série documentaire produite et diffusée par Netflix. Depuis cinq saisons, la caméra amène les téléspectateurs au cœur du championnat de Formule 1 et va à la rencontre des pilotes, mais aussi des administrateurs des écuries.

Les passionnés comme les néophytes ont ainsi pu découvrir les fortes personnalités de Toto Wolff, chez Mercedes, et de Christian Horner, chez Red Bull, par exemple. Et celle de Steiner, chez Haas.

L’effet, pour l’Italien naturalisé américain, a été radical et immédiat. Dans chaque ville du circuit, il est désormais une figure connue – et appréciée – du public. Il signe des autographes, prend des photos. Et même si « tout prend plus de temps » qu’avant, il se régale de son nouveau statut. Celui qui lui a permis, 30 ans après l’avoir fait pour la dernière fois, d’enfiler des jambières de gardien de but.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Dans le cadre d’une activité promotionnelle organisée avec le Canadien de Montréal, Günther Steiner a enfilé un uniforme de gardien de but et affronté les tirs de quelques joueurs du Tricolore, notamment Nick Suzuki.

Dès ses premiers mots, on reconnaît son accent unique et son franc-parler. « J’ai sincèrement beaucoup de plaisir », dit-il, souriant, à un groupe de journalistes montréalais, mercredi après-midi.

« La Formule 1, comme tous les sports, vit grâce à ses partisans, reprend-il. Sans eux, on ne serait rien. On leur doit du respect. Ça ne me coûte rien, sinon un peu de temps. »

Disparités

L’une des grandes forces de la série de Netflix réside dans sa manière de décortiquer les luttes au sein du meilleur championnat automobile du monde. Celle entre les équipes de tête, qui possèdent des ressources quasi infinies sur les plans financier et technique, mais aussi celle entre les équipes de milieu et de queue de peloton.

Car si des disparités existent dans tous les sports, nulle part ailleurs elles ne sont nommées et acceptées comme en Formule 1.

Depuis la création de l’écurie, en 2016, jamais un pilote de Haas n’a fait mieux qu’une quatrième place – et c’est arrivé une seule fois. Au tiers de sa huitième saison, l’équipe américaine se trouve actuellement au septième rang du classement des constructeurs. Une telle position serait la meilleure depuis 2018.

La relance est graduelle, après deux saisons catastrophiques. En 2021, ses coureurs n’ont amassé aucun point. En 2022, à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, on a rompu le contrat de Nikita Mazepin et tourné le dos à un lucratif partenariat avec la société russe Uralkali.

Günther Steiner le dit froidement : il ne voit pas Haas aspirer à un championnat au cours des cinq prochaines années.

« Il faut être honnête avec nous-mêmes, lance-t-il. Quand je parle à mon équipe, à mes patrons, aux propriétaires de l’écurie, les attentes doivent être réalistes. […] Si je dis à mes gars : “On doit battre Red Bull l’an prochain”, ils vont me répondre que je me berce d’illusions, que je rêve. Je ne suis pas un rêveur. »

Il lui importe donc d’établir des étapes de développement et de réaliser des progrès réels, aussi timides soient-ils, étape par étape. Dans une récente entrevue publiée sur le site web de la Formule 1, Steiner se réjouissait d’avoir vu ses troupes réaliser des arrêts aux puits parmi les plus rapides du Grand Prix d’Espagne.

Ce travail est certes « difficile », mais il est « motivant », assure-t-il.

Il faut toujours tirer du positif. Être en Formule 1 est un privilège. Il faut travailler dur pour y arriver.

Günther Steiner

Il rappelle par ailleurs que Haas est la plus jeune écurie du championnat. Se hisser au niveau des équipes de tête prend du temps, d’autant que les adversaires « ne restent pas là à attendre ». Le plafonnement des dépenses imposé par la FIA en 2021 fait aujourd’hui en sorte que le peloton « est plus serré qu’avant », estime-t-il, si bien que « les 10 équipes peuvent inscrire des points ».

« Il y a deux, trois ou quatre ans, ce n’était pas le cas, dit Steiner. Je pense que quelqu’un rejoindra Red Bull. »

Ce jour n’est pas encore arrivé, ni pour Haas ni pour personne d’autre, puisque l’écurie au taureau rouge domine son sport absolument sans partage depuis le début de la saison 2023.

Günther Steiner garde donc le cap, dans l’espoir de jours meilleurs. Et, qui sait, d’un premier podium.