Le 13 octobre dernier, le Canadien Robert Wickens et son équipe ont remporté un championnat de course automobile, l’IMSA Michelin Pilot Challenge. Ce qu’il faut savoir, c’est que Robert Wickens est paraplégique depuis cinq ans. Et qu’il n’est de retour en piste que depuis un an.

Les amateurs de course automobile ont peut-être déjà entendu parler de l’accident de Wickens, survenu le 19 août 2018 dans une course d’IndyCar à Pocono. En voulant dépasser un adversaire au 7e tour, le pilote ontarien d’alors 29 ans a percuté la clôture de plein fouet ; les quatre pneus, ainsi qu’une grande partie de la carrosserie, ont été arrachés à la suite de l’impact. Ce qui restait de la voiture a fait plusieurs tonneaux avant de s’immobiliser.

Wickens a subi toute une série de fractures, dont une à la colonne vertébrale, ainsi qu’une lésion de la moelle épinière. Il a perdu l’usage de ses jambes.

La suite de son histoire est remarquable. Admirable.

Robert Wickens n’a jamais même pensé arrêter de courser, raconte-t-il à La Presse dans une entrevue par Zoom. « Je me disais que j’allais courser quelques mois plus tard », lâche-t-il dans un sourire.

Wickens avait 7 ans quand il a commencé le karting. À 10 ans, son plus grand rêve était de devenir pilote professionnel. Ce rêve, il l’a atteint. Et ce n’est pas son accident qui y mettrait un terme.

Quand tu aimes un sport, que c’est ta passion, et que quelque chose comme ça arrive, ce n’est qu’un pas vers l’arrière. Ça ne change pas grand-chose. […] C’était plutôt de savoir à quoi ça ressemblerait et comment nous nous y prendrions.

Robert Wickens

L’appel

L’appel est arrivé en 2021. Au bout du fil, Bryan Herta, un ancien pilote professionnel, « un très bon gars » que Wickens avait appris à connaître quand il coursait en IndyCar.

Herta possède une équipe, Bryan Herta Autosport, qui concourt au sein du championnat IMSA Michelin Pilot Challenge. La question qu’il a posée à Wickens est simple : « Veux-tu courser à nouveau ? »

« Évidemment, je n’ai pas hésité. J’ai dit : “absolument”. »

Des mois ont passé sans que Wickens ait d’autres nouvelles d’Herta. Puis, un jour, le téléphone a sonné de nouveau. C’était Herta et son partenaire d’affaires, qui l’invitaient à aller essayer la voiture d’un autre pilote aussi paraplégique, Michael Johnson, une Hyundai Elantra TCR qui fonctionne avec un système de contrôle manuel.

« Sa famille a été assez gentille pour me laisser utiliser la voiture, qui était opérée par l’équipe Bryan Herta, raconte Wickens. C’est là que l’aventure a vraiment commencé, parce que ça m’a montré que je pouvais le faire. »

En 2022, il reprenait la compétition.

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La Hyundai Elantra TCR pilotée par Robert Wickens

Le système

Robert Wickens savait, au plus profond de lui-même, qu’il n’avait pas oublié comment conduire. N’empêche qu’il devait apprendre à conduire avec un tout autre système que celui qu’il avait toujours connu.

« J’appuie sur l’accélérateur, je change aussi de vitesse et je freine avec mes mains sur le volant, explique-t-il. Il se passe donc beaucoup de choses.

« Je pense que ce que les gens ne comprennent pas, c’est qu’il n’y a pas d’assistance au freinage. Vous savez, sur une voiture de route, vous avez comme un servofrein pour vous aider à générer les freins. […] N’importe qui peut freiner au maximum.

« Moi, j’essaie de faire ça simplement en serrant avec mes mains, ce qui est impossible. Mais nous avons un système pneumatique qui m’aide à atteindre la pression. Donc il y a des choses mécaniques qui aident, ce n’est plus seulement une réaction humaine. »

C’est ce qui a été le plus difficile à apprendre pour Wickens. Mentalement, c’était « très épuisant ».

Si je voulais freiner pour un virage, je devais presque anticiper le temps que prendrait le système pour faire ce que je voulais faire. Quand un pilote valide [able bodied] appuie sur le frein, les freins sont là immédiatement.

Robert Wickens

Autrement, la « satisfaction de courser sur une piste, d’aller à la limite absolue », dit-il, est « exactement la même » qu’avant son accident.

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Robert Wickens a dû apprendre à conduire avec un tout autre système que celui qu’il avait toujours connu.

Le championnat

Robert Wickens est un compétiteur. Quand il est revenu à la course, en 2022, il l’a fait parce qu’il se savait capable de gagner.

« De toute évidence, je veux sensibiliser les gens aux blessures à la moelle épinière, mais je voulais le faire en compétitionnant et en gagnant. Pas seulement en défilant comme un pilote. Je voulais être LE pilote, pas juste un pilote. »

À sa première année, en 2022, Wickens en faisait « un peu trop » en piste, de son propre aveu. « Il y a des moments où j’essayais probablement d’en faire trop par rapport à ce qui était possible. »

Cette année, l’équipe Bryan Herta Autosport a connu une saison sensationnelle, terminant deuxième à six reprises. Elle n’a remporté aucune course, mais la constance a été la clé. En octobre, Wickens et son copilote, Harry Gottsacker, ont triomphé.

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Robert Wickens et son copilote Harry Gottsacker

« Ce n’est pas seulement mon œuvre », évoque-t-il avant de vanter le travail de son coéquipier, des ingénieurs et des mécaniciens.

Wickens ne s’en cache pas : il avait une satisfaction supplémentaire d’y être arrivé après tout ce qu’il a traversé au cours des cinq dernières années.

Quand je suis revenu aux puits après la course, je me suis souvenu de tous les moments difficiles de ma réadaptation. J’étais reconnaissant envers mon système de soutien : ma femme, ma famille, mes amis et tout ce qui m’a permis de poursuivre mon rêve.

Robert Wickens

Puis, comme tout fier compétiteur, il a pensé : « What’s next ? » (quelle est la suite ?)

« Personnellement, j’aimerais beaucoup atteindre la prochaine catégorie, avoue-t-il. J’aimerais retrouver le niveau de course dans lequel j’étais quand j’ai eu mon accident en IndyCar. »

Dans une entrevue à CBC deux ans après son accident, Wickens disait être encore en train d’essayer de « comprendre comment vivre cette vie ». Trois ans plus tard, les choses ont évolué, la vie a fait son œuvre. Il vient de remporter un championnat et il est papa d’un petit garçon de 16 mois.

« Parfois, je passe des jours et des semaines sans vraiment penser que je vis dans un fauteuil roulant. C’est juste la vie, maintenant. »

Certaines journées et situations sont plus difficiles, de toute évidence. Mais comme Wickens le dit lui-même : « tout le monde a ses propres défis dans ce monde ».

« Je pense que je suis reconnaissant d’être toujours là. Je suis en mesure de vivre cette vie. C’est plutôt génial. »