Au pied du col du Granon, Tadej Pogačar était pourtant tout sourire, faisant mine à la caméra d’avaler un bol de céréales. Comme si les attaques répétées des Jumbo-Visma, une soixantaine de kilomètres plus tôt dans le Galibier, n’avaient pas atteint son armure.

En parfait contrôle depuis le départ au Danemark, le Slovène de 23 ans a craqué pour la première fois de sa carrière au Tour de France, mercredi, lors d’une 11étape mémorable.

Le moment dramatique est survenu à cinq kilomètres du sommet du Granon, col assassin que le peloton n’avait pas visité depuis 1986 et le dernier jour en jaune de Bernard Hinault.

Jonas Vingegaard, dauphin de Pogačar l’an dernier, a pris quelques longueurs de vélo sans que le porteur du maillot jaune, calé dans la roue de son coéquipier de UAE Rafal Majka, ne puisse réagir.

Le Danois s’est à peine retourné avant de poursuivre son ascension irrésistible sur les pentes à 10 %. Avalant coup sur coup Nairo Quintana, deuxième de l’étape, et Warren Barguil, coéquipiers chez Arkéa-Samsic, il a filé vers sa toute première victoire d’étape et, contre toute attente, le maillot jaune.

« C’est vraiment incroyable et difficile à décrire avec des mots », a déclaré Vingegaard avant d’être interrompu pour recevoir les félicitations de son coéquipier Wout van Aert, qui a encore contribué à sa façon. « J’ai toujours rêvé à ça : une étape dans le Tour et maintenant le maillot jaune. C’est incroyable. »

La défaillance de Pogačar a été tout aussi renversante. Isolé, le grand favori jusque-là s’est fait déborder coup sur coup par Romain Bardet (3e), le vieux Geraint Thomas (4e) et même David Gaudu (5e) et Adam Yates (6e) dont il a pu profiter du sillage pendant quelques hectomètres.

Maillot grand ouvert, visage grimaçant, Pogačar a traversé la ligne 2 min 51 s après Vingegaard, un gouffre compte tenu de sa supériorité depuis le premier de ses deux sacres sur les Champs-Élysées en 2020.

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En parfait contrôle depuis le départ au Danemark, Tadej Pogačar a craqué pour la première fois de sa carrière au Tour de France, mercredi après-midi, lors d’une 11étape mémorable.

Au sommet, le Slovène est resté prostré de longues secondes sur son guidon. En passant devant Vingegaard, qui discutait au téléphone sur son vélo stationnaire, il lui a serré la main avec un grand sourire.

« Sur le Galibier, je me sentais toujours très bien, a-t-il expliqué peu après. Jumbo m’a attaqué souvent, ils étaient vraiment bons aujourd’hui. Puis, dans la dernière montée, je ne sais pas, je n’ai pas eu une bonne fin de journée. J’ai souffert jusqu’à la fin. »

Au classement général, Vingegaard s’est donné un coussin de 2 min 22 s sur Pogačar, relégué à la troisième place. Bardet (+ 2 min 16 s) s’est glissé entre les deux, confirmant sa renaissance sur le Tour, qu’il avait volontairement raté l’an dernier.

Thomas, Quintana, Yates et Gaudu suivent dans l’ordre aux positions 4 à 7, à moins d’une minute du deuxième rang.

Ce véritable renversement est le résultat d’une opération soigneusement préparée par Jumbo-Visma, qui a fait marcher à plein presque tous ses soldats. À commencer par l’incontournable van Aert, qui a été le premier à s’enfuir avec son meilleur ennemi Mathieu van der Poel. Le Néerlandais a cependant abandonné, lâché dès la première montée. Christophe Laporte, un autre élément clé de cette journée folle, s’est lui aussi glissé dans l’échappée à 20 coureurs.

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Wout van Aert

L’armada néerlandaise a durci le tempo dès le col du Télégraphe. Au sommet, il ne restait plus que Pogačar, Roglič, Vingegaard et Thomas. Laporte les a attendus pour faire la descente jusqu’à Valloire.

Avant même l’ascension du Galibier, Vingegaard et Roglič se sont relayés à tour de rôle pour décramponner le porteur du maillot jaune, manœuvre à haut risque qui ne s’était pas vue depuis des décennies à ce stade de l’épreuve. Pogačar a bondi chaque fois, donnant une impression de parfait contrôle.

Le Slovène a même imposé le tempo dans la dernière portion du Galibier, plus haut sommet du Tour, quand Roglič a décroché une première fois. Mais Van Aert a attendu son coéquipier dans la descente pour le ramener sur le groupe maillot jaune, Majka profitant lui aussi du TGV belge.

Roglič a fait long feu peu après le pied, mais Vingegaard était prêt à dégainer 5 km plus loin.

« En haut du Galibier, Pogačar était très fort et il a lâché tout le monde, a rappelé le nouveau meneur. J’étais un peu inquiet. Je n’étais pas certain s’il était à fond ou pas. Dans la dernière ascension, je me disais : si je n’essaie pas, je ne gagnerai pas. »

Pogačar a salué l’audace de ses rivaux : « Ils ont joué cela très intelligemment. C’est vraiment difficile pour nous de contrôler qui va dans les échappées parce qu’on n’est plus beaucoup dans l’équipe [6]. On a essayé, mais au bout du compte, van Aert et Laporte étaient devant et ont été très brillants sur le plan tactique. »

Maigre consolation, il a conservé son maillot blanc de meilleur jeune. Avec 10 étapes au programme, le double vainqueur n’a évidemment pas dit son dernier mot. D’autant que la prochaine étape de ce jeudi s’annonce aussi spectaculaire avec l’enchaînement Galibier (par l’autre versant) – Croix de Fer – Alpe d’Huez.

« Le Tour n’est pas encore fini. J’ai perdu trois minutes aujourd’hui, peut-être que demain j’en gagnerai trois. Je vais me battre jusqu’à la fin. »

Les Québécois dans les temps

Les trois Québécois et Michael Woods ont survécu à l’explosive 11étape de 151,7 km d’Albertville au col du Granon Serre Chevalier. Antoine Duchesne, 75e à près de 30 minutes, a été à l’ouvrage pour son meneur David Gaudu (Groupama) à l’approche des spectaculaires lacets de Montvernier, premier col de la journée. Pour sa part, Hugo Houle (Israel-Premier Tech) a basculé avec le deuxième groupe au sommet du Télégraphe. Le natif de Sainte-Perpétue a rallié l’arrivée au 52rang (+ 27 min 16 s), en même temps que son coéquipier Woods (58e). Houle a reculé de trois places au général et est maintenant 42e. Guillaume Boivin (IPT) a fini 117e à 34 min 9 s.