En déboulant dans Saint-Étienne, Hugo Houle a aperçu la ligne d’arrivée au loin. La foule hurlait en frappant sur les panneaux. Première roue du trio de tête, il menait le Danois Mads Pedersen et le Britannique Fred Wright.

Dix kilomètres plus tôt, le Québécois avait « un peu jeté [ses] cartes » près du sommet de la côte ultime. Il n’avait pas réussi à se débarrasser de l’ancien champion mondial et du prometteur spécialiste des classiques, ses deux derniers compagnons d’échappée.

Ses chances au sprint étaient minces, mais il savourait ce dernier kilomètre. Pour la première fois de sa carrière, le cycliste originaire de Sainte-Perpétue avait l’occasion de disputer la victoire dans une étape du Tour de France.

Aux 300 mètres, Pedersen a lancé le premier, ne laissant aucune latitude à ses deux rivaux. Avec une avance de deux ou trois longueurs de vélo, le Danois de Trek a eu le temps de se retourner avant de lever les bras pour la toute première fois sur la Grande Boucle.

Derrière Wright (Bahrain), Houle a suivi au troisième rang, secouant légèrement la tête pour exprimer un regret vite effacé.

« C’est tout un feeling, a confié le coureur d’Israel-Premier Tech une heure plus tard au téléphone. Ça fait tellement longtemps que je parle de ce grand rêve. Aujourd’hui, je me suis mis dans les conditions pour être là pour la victoire. Ça m’encourage pour la suite. Je n’ai rien à envier à personne. Je suis capable de le faire, j’ai le niveau. Je suis content de ma journée et je n’ai pas de regrets. »

Cette troisième place à la 13e étape, vendredi après-midi, est le meilleur résultat de l’histoire pour un Québécois au Tour de France. En 2020, Houle avait terminé septième à Sarran, mais il était arrivé à 52 secondes du gagnant.

Après deux journées éprouvantes dans les Alpes, où le Danois Jonas Vingegaard a ravi le maillot jaune au Slovène Tadej Pogačar, le peloton a attaqué une étape de transition de 192,6 km entre Le Bourg d’Oisans et Saint-Étienne. La question était de savoir si une échappée se rendrait au bout ou si les équipes de sprinteurs, peu gâtés depuis le départ au Danemark, réussiraient à contrôler la course pour mettre la table à un final groupé.

La bagarre

Déjà, la formation de l’échappée a été une bagarre de tous les instants jusqu’à la traversée de Grenoble, avec 150 kilomètres à faire. Le Suisse Stefan Küng (Groupama) et l’Italien Filippo Ganna (Ineos), deux des meilleurs rouleurs au monde, se sont d’abord isolés avec l’Américain Matteo Jorgenson (Movistar).

Après une vaine tentative de poursuite dans un groupe d’une vingtaine de coureurs, Houle est revenu à la charge presque immédiatement. Il est parti en contre-poursuite derrière Pedersen qui était accompagné de son jeune coéquipier américain Quinn Simmons. Wright s’est greffé au Canadien pour rejoindre les deux Trek. Ensemble, ils ont pu rattraper le trio de tête qui roulait à plus de 50 km/h.

Houle a fait une brève revue des troupes : un champion du monde sur route (Pedersen), un double médaillé d’or mondial au contre-la-montre (Ganna), le 3e du dernier Paris-Roubaix et double médaillé aux Mondiaux (Küng)…

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Hugo Houle (à gauche) à l’avant du groupe de sept coureurs composant l’échappée du jour

On était sept costauds. Je me suis dit : “On va avoir une belle journée.” Je savais qu’on avait une belle chance, du moins qu’on s’amuserait un peu…

Hugo Houle

Conscientes du danger, les armadas des sprinteurs ne leur ont pas laissé beaucoup de champ, maintenant leur avance entre une minute et demie et deux minutes et demie. Philippe Gilbert a été particulièrement incisif pour les Lotto Soudal de Caleb Ewan. Les Alpecin de Jasper Philipsen ont également été très actifs. Les fuyards ont profité de deux côtes pour reprendre du lest, tandis que les formations en chasse devaient ralentir pour ne pas condamner leurs finisseurs dans les pentes.

Avec 72 km à faire, une chute dans un virage de l’Australien Ewan, éternel malchanceux, a ruiné l’opération de Lotto. Avec un peu d’aide de Quick-Step, Alpecin a poursuivi l’effort, sans grand succès.

Simmons s’est sacrifié pour Pedersen dans la dernière ascension. L’écart était remonté à 3 min 30 s quand les BikeExchange de Dylan Groenewegen, gagnant de la troisième étape, se sont décidés à prendre les commandes.

Après avoir pris tous les risques dans une descente, frôlant la chute à deux reprises, ils ont abdiqué avec 13 km à faire.

« On roulait contre quatre équipes et on a réussi à les faire plier, a souligné Houle. Ça a été une grosse guerre, mais j’étais avec des gars expérimentés qui ne paniquaient pas. De pouvoir rouler avec des rouleurs aussi solides dans une échappée, c’est quand même une expérience. Ça allait tellement vite. C’était très, très agréable. »

Le fil d’arrivée

Intimidant ? « C’est sûr que c’est impressionnant, mais je suis rendu à ce niveau-là. Je suis là pour faire la course, je ne suis pas différent d’eux. Je pense que j’ai prouvé que j’étais capable de rouler avec ces gars-là et que je n’avais pas à rougir devant eux. »

Pedersen n’a pas mis de temps à accélérer avant la dernière côte à 12 km du fil. Wright et Houle ont fourni un effort gigantesque pour revenir sur l’homme aux liserés arc-en-ciel.

« Ça m’a surpris un peu, mais j’ai été vite à réagir. Avec [Wright], j’ai pu refermer l’écart directement. Heureusement parce que la puissance de son attaque était exceptionnelle. »

Küng, Jorgenson et Ganna, les trois échappés initiaux, ont d’ailleurs raté le train, terminant à 30 secondes.

Sur les conseils de son directeur sportif Steve Bauer, seul Canadien vainqueur d’étape au Tour de France, Houle a donné un coup juste avant le sommet, mais Pedersen et Wright n’ont pas vacillé.

« J’ai été un peu en retard dans mon affaire. J’ai essayé, mais Mads était très solide. Aujourd’hui, tu ne pouvais pas le sortir n’importe comment de ta roue. »

À 1,5 km, Houle s’est fait « un peu piéger » quand Pedersen a refusé de prendre un dernier relais. Il a continué à rouler devant pour s’assurer que les trois poursuivants ne reviennent pas.

« À 69 kg, je savais que ce serait très compliqué au sprint, à moins qu’un soit pris avec des crampes ou coincé un peu. De toute façon, il n’y avait pas photo : Mads était beaucoup trop rapide. »

Dès qu’il a franchi la ligne, Houle a pensé à son frère Pierrik, mort tragiquement le 21 décembre 2012. À 19 ans, il a été fauché par un chauffard ivre pendant qu’il faisait son jogging. Son grand frère, qui revenait ce jour-là de son premier camp en Europe, a trouvé le corps en plein cœur du village de Sainte-Perpétue.

Depuis, Hugo rêve de pouvoir lui dédier une victoire sur le Tour. « C’est un pas de plus vers l’objectif final, a-t-il dit, un craquement dans la voix. Là, c’est un podium. Il n’en manquait pas beaucoup, mais ça m’encourage pour la suite. »