(Saint-Sébastien, Espagne) Israel-Premier Tech en a pris plein la gueule l’an dernier.

Malgré un Tour de France très réussi, ponctué de deux victoires d’étape, l’escadron israélo-canadien, plombé par les blessures, les maladies et un effectif sous-performant, s’est retrouvé dans les catacombes d’une nouvelle course aux points instaurée trois ans plus tôt par l’Union cycliste internationale (UCI).

Résultat : Israel-Premier Tech (IPT) a été l’une des deux équipes reléguées dans la catégorie ProTeams, autrement dit en deuxième division.

Une claque au visage pour Sylvan Adams et Jean Bélanger, fiers et très prospères hommes d’affaires, amoureux et pratiquants de cyclisme, investisseurs dans le sport avec une vision à long terme. Ils n’ont pas l’habitude de jouer les seconds couteaux.

La présence de la formation au Tour ne semblait tenir qu’à un fil, surtout au regard des sorties vitrioliques du bouillant Adams, qui menaçait l’UCI de poursuites, jugeant son système de pointage inéquitable, encore plus dans un contexte de « force majeure » comme l’épidémie de COVID-19.

Il a même parlé d’organiser son propre Tour de France !

Finalement, ASO a offert l’une de ses invitations à IPT, qui s’est présentée dans le Pays basque avec un alignement renforcé et renouvelé, sans sa coûteuse vedette vieillissante Chris Froome, partie pour une semaine de tourisme en Israël.

Une place méritée

Dimanche, à la deuxième étape du Tour, les coureurs d’IPT ont démontré pourquoi ils méritaient leur place.

PHOTO FOURNIE PAR IPT

Hugo Houle devant son coéquipier Nick Schultz

Dans la côte de Gurutze, avant-dernière ascension, Guillaume Boivin s’est pointé à l’avant du peloton, avec dans sa roue ses coéquipiers Michael Woods et Dylan Teuns. À ses côtés, les trains de Jumbo-Visma et de UAE Team Emirates tenaient au chaud leurs leaders respectifs, Jonas Vingegaard et Tadej Pogačar.

Boivin a ensuite contribué au placement de ses meneurs jusqu’au pied du Jaizkibel, où il a « punché [sa] carte de temps… ».

La qualité des trois coureurs en échappée – le maillot à pois Neilson Powless (EF), le Norvégien Edvald Boasson Hagen (TotalEnergies) et le rouleur français Rémi Cavagna (Soudal Quick-Step) – a compliqué la tâche de la poursuite.

« Ce n’était pas le fun, a admis Boivin. Honnêtement, ils étaient costauds. J’avais hâte qu’ils plient les ailes. »

PHOTO FOURNIE PAR IPT

Guillaume Boivin

Hugo Houle s’est ensuite mis à la planche pour positionner ses chefs de file dans un peloton de plus en plus étiré. Au replat du premier tiers, il s’est relevé.

Woods et Teuns ont poursuivi leur route à travers les hordes de fans basques, basculant dans le groupe de 24 meneurs cinq kilomètres plus loin.

À Saint-Sébastien, à deux encablures de la plage de La Concha, exceptionnellement fermée à la baignade pour cause de vagues trop fortes qui ont fait le délice des jeunes surfeurs, Woods a sprinté jusqu’à la septième place, dans le même temps que le vainqueur Victor Lafay. Le Belge Teuns a terminé deux rangs plus loin.

Mission accomplie pour IPT. « J’étais bien placé, mais un peu coincé dans les 150 derniers mètres du sprint, a expliqué Woods à son retour du contrôle antidopage. Mais je ne suis pas un sprinteur. Ce n’était pas mon but de gagner l’étape si ça se finissait au sprint. »

L’effort du collectif

L’étape de 208,9 km, la plus longue de ce Tour, a été menée à un rythme plus rapide que celle de la veille, sous l’impulsion de UAE Team Emirates, la formation du maillot jaune Adam Yates.

« C’est mieux de commencer comme ça avec des trucs plus durs dans le Pays basque, a exposé Woods, dorénavant 7e au général. C’est moins compliqué, moins stressant et mieux pour moi. »

Houle, qui est rentré 66e, à huit minutes, partageait cette analyse : « Pour calmer le jeu, ils ont roulé plus vite. Donc ça use, hein. Monte descend, monte descend, ce sont des parcours faits pour ça. »

À l’issue de la course, rendue plus délicate par la pluie en première moitié, Houle retenait l’effort collectif.

C’est une synergie positive. Si on reste plus ensemble, on a plus de respect devant. Le fait que Mike soit cinquième au classement général [au début de l’épreuve], ça apporte un certain respect aussi. Les équipes [des meneurs] nous laissent un peu plus à l’avant. Quand les leaders de l’équipe performent bien, ça nous simplifie la tâche.

Hugo Houle

Peut-être, mais encore faut-il avoir le moteur pour profiter de cet apparent respect, a ajouté Boivin.

« Le respect, on le gagne avec la façon qu’on roule et les jambes qu’on a, a-t-il résumé. On fait vraiment une belle saison et on est devant à chaque course. C’est là qu’on gagne le respect. À la fin de la journée, il faut aussi avoir les jambes pour avoir le respect ! Tout ça va ensemble. »

PHOTO SIMON DROUIN, LA PRESSE

Hugo Houle en discussion avec le PDG de Premier Tech, Jean Bélanger

À l’autobus, les cyclistes d’IPT ont été discrètement accueillis par le copropriétaire Jean Bélanger, de passage-éclair dans le Pays basque pour le grand départ, accompagné de ses deux filles.

Le PDG de Premier Tech ne cachait pas sa satisfaction : « Ça fait vraiment plaisir. Quelque part, des gens doutaient de nous l’année dernière avec la relégation sur la fin d’année. Peu importe comment l’UCI nous catalogue, on est une équipe du WorldTour. On le voit avec nos coureurs, leurs performances, ce qu’on a fait au Giro, nos jeunes. On a un super squad. L’esprit d’équipe est fort et les gars ont confiance, sans être arrogants. On est fiers de ce qu’ils ont fait sur les deux premières étapes. »

Cette entame positive contribue à stimuler l’intérêt pour l’évènement au Québec. Comme les journalistes, Bélanger reçoit « plusieurs demandes pour savoir comment suivre le Tour de France », absent de la télé traditionnelle depuis quelques années.

Les 5200 « équipiers » de la multinationale de Rivière-du-Loup n’ont pas ce problème. La course est retransmise en direct dans les usines et locaux des 28 pays où l’entreprise est présente. « Il y a une bonne vibration, beaucoup d’intérêt. »

Et la productivité ? « Ça motive et donne de l’énergie à tout le monde ! » Comme à la relève au Québec.

« C’est bon pour les filles comme les gars de voir nos deux Québécois et trois Canadiens ici, de voir ce qui s’est fait au Tour de Beauce et aux championnats canadiens, marqués par le Québec, autant dans la catégorie élite que U23. C’est vraiment excitant, ce qui se passe pour le vélo sur route au Québec en ce moment. »

Et ce qui se passe au Pays basque, aurait-il pu ajouter.