C’était comme La Planche des Belles Filles, mais à l’envers. Trois ans après avoir renversé Primoz Roglič dans un contre-la-montre d’anthologie, en route vers son premier sacre au Tour de France, Tadej Pogačar (UAE) a goûté à sa propre médecine, mardi après-midi.

Après deux semaines de colletaillage en haut des cols pour une poignée de secondes, Pogačar et son grand rival Jonas Vingegaard se sont défiés à distance lors de la 16étape.

Le duel a tourné à l’avantage du maillot jaune, mais personne n’aurait pu prédire une telle marge sur seulement 22,4 kilomètres.

Dans l’unique contre-la-montre de ce 110Tour de France, Vingegaard, en état de grâce, a enfoncé 1 min 38 s dans la gorge de son adversaire slovène, pourtant deuxième de l’épreuve. Le Danois détient dorénavant une priorité de 1 min 48 s en tête de la course, avec cinq étapes encore au programme, dont deux en montagne.

Autrement dit, Vingegaard a porté le K.-O., même si Pogačar refuse de s’avouer vaincu et que son coin n’a pas jeté l’éponge.

« J’avais des jambes incroyables aujourd’hui, a simplement constaté le champion en titre. À un moment donné, j’ai même commencé à mettre en doute mon capteur de puissance, pensant qu’il était brisé. J’essayais de me retenir à certains moments, mais je continuais à aller très, très vite. J’ai probablement eu l’un des meilleurs jours de ma vie sur un vélo. »

Maillot jaune sur les épaules pour la 22fois de sa carrière, Vingegaard avait l’air de tout sauf du coureur en proie aux questionnements qu’on a découvert dans Au cœur du peloton, la série documentaire de Netflix sur la Grande Boucle de 2022.

Avant-dernier à s’élancer, Pogačar n’a pourtant pas livré une mauvaise prestation entre Passy et Combloux.

Le Slovène de 24 ans s’est initialement réjoui de largement devancer Wout van Aert (Jumbo-Visma), meneur provisoire qui a finalement pris la troisième place. Il a cependant vite compris qu’il ne faisait pas le poids face à Vingegaard. Celui-ci n’a fait qu’accroître son avance dans la côte finale de Domancy (2,5 km à 9,4 %), rendue célèbre par Bernard Hinault, qui s’était paré des couleurs arc-en-ciel de champion mondial en 1980.

PHOTO THOMAS SAMSON, AGENCE FRANCE-PRESSE

Tadej Pogačar

« Ça a été un peu un choc, mais j’ai quand même essayé de limiter le temps perdu jusqu’à la ligne, a réagi Pogačar. J’ai tout donné. »

Toutes les supputations au sujet des changements de vélo ou pas au pied de la côte – Pogačar a laissé sa monture de chrono pour un vélo traditionnel, contrairement à Vingegaard – se sont avérées inutiles.

« Un peu surpris » par le temps concédé, le double vainqueur a admis ne pas avoir connu sa meilleure journée.

« Si je suis honnête, je ne me suis pas senti au mieux dans la deuxième partie, mais j’y suis quand même allé solidement, a indiqué le maillot blanc de meilleur jeune. Je sentais que ce n’était pas si mal, mais oui, c’est un grand écart maintenant. J’espérais un écart moindre. J’espérais être en jaune aujourd’hui. »

« Assurément » pas fini

Pogačar a évoqué le col de Marie Blanque, où il avait cédé une minute à son adversaire à la cinquième étape, déficit qu’il avait réduit de moitié le lendemain avec une victoire à Cauterets-Combasque.

Le Tour n’est « assurément » pas fini, a-t-il ajouté, anticipant l’étape dantesque de mercredi, qui passe par le col de la Loze, sommet du Tour à 2304 m, avant une arrivée à Courchevel.

« En particulier s’il pleut [mercredi]. Si c’est le cas, je peux vous promettre que ce sera intéressant. Il reste les deux étapes les plus difficiles de ce Tour. Tout peut arriver et n’importe qui peut avoir une mauvaise journée. »

Hugo Houle refuse lui aussi de déclarer son favori vaincu. « Le Tour n’est jamais fini tant qu’il n’est pas fini. Vingegaard peut toujours tomber malade, chuter, avoir un problème mécanique. Il suffit d’une erreur dans une descente. Il faut encore se rendre à Paris, mais son état de forme envoie un signal fort à UAE que ce sera dur de l’ébranler en montagne sur une étape comme demain. »

PHOTO BENOÎT TESSIER, REUTERS

Hugo Houle

Dans un exercice qui avait pour seul objectif de « faire un bon effort » en prévision de mercredi, Houle a enregistré le 39temps, terminant à 5 min 28 s du gagnant. Il a ainsi conservé sa 46place au classement général.

« Très surpris » de l’écart entre les deux premiers, Houle cherchait un peu ses mots pour qualifier cette performance renversante de Vingegaard.

« Prendre 1 minute 40 secondes sur 22 km à un gars comme Pogačar, 3 minutes à Wout van Aert… Que dire ? C’est incroyable. »

Probablement ce que pense encore Roglič de son échec à La Planche des Belles Filles en 2020. Son coéquipier l’a maintenant vengé.

Pas de chance pour Jorgenson

PHOTO DANIEL COLE, ASSOCIATED PRESS

Matteo Jorgenson

C’est pas de chance pour Matteo Jorgenson. Éperonné par Michael Woods à 500 mètres de la ligne au puy de Dôme, dimanche, l’Américain de Movistar a été forcé à l’abandon avant le contre-la-montre, mardi, en raison d’une blessure à une cuisse et une douleur dans la zone de la selle. De toutes les échappées ou presque, le Californien de 24 ans avait également fini troisième de l’étape remportée par Ion Izagirre (Cofidis), jeudi.

Jorgenson est le même homme qu’Hugo Houle avait tenu en respect dans le Mur-de-Péguère, il y a un an jour pour jour mercredi, en route vers sa victoire à Foix. Son rival de Movistar avait chuté dans la descente, avec Woods dans sa roue. Il s’était contenté de la quatrième place à l’arrivée, pour la deuxième fois du Tour de 2022.

« C’était une étape dure, une échappée s’était formée avant de se défaire en plusieurs morceaux », a relaté Jorgenson, croisé en Espagne avant le départ de la troisième étape.

« On s’est retrouvés dans un petit groupe dans une montée et Hugo était derrière. On a basculé au sommet et on a tous comme arrêté. Hugo est revenu et a attaqué d’emblée pendant qu’on ramassait des bidons. Je ne l’ai même pas vraiment vu partir. Éventuellement, il était loin devant et on n’a pas pu le rattraper. J’ai dû me contenter de ne pas gagner l’étape. »

Étonné de ne pas avoir pu rejoindre ce Canadien, qui n’avait aucune victoire chez les pros ? « Oui, j’étais en bonne forme, mais je crois bien qu’il l’était aussi », a répondu le vainqueur du Tour d’Oman et deuxième du Tour de Romandie plus tôt cette année. « Oui, j’ai assurément été surpris. »

Avec l’abandon de Jorgenson, la formation espagnole se retrouve maintenant avec seulement quatre coureurs pour la dernière semaine, soit la moitié de son effectif au départ.

Le top 10 de la 16étape

  • 1. Jonas Vingegaard (DEN/TJV) les 22,4 km en 32 : 36 (moyenne : 42,0 km/h)
  • 2. Tadej Pogačar (SLO/UAD) à 1 : 38
  • 3. Wout van Aert (BEL/TJV) à 2 : 51
  • 4. Pello Bilbao (ESP/TBV) à 2 : 55
  • 5. Simon Yates (GBR/JAY) à 2 : 58
  • 6. Rémi Cavagna (FRA/SOQ) à 3 : 06
  • 7. Adam Yates (GBR/UAD) à 3 : 12
  • 8. Mattias Skjelmose (DEN/LTK) à 3 : 21
  • 9. Mads Pedersen (DEN/LTK) à 3 : 31
  • 10. David Gaudu (FRA/GFC) à 3 : 31
  • 39. Hugo Houle (CAN/IPT) à 5 : 28
  • 111. Michael Woods (CAN/IPT) à 6 : 58
  • 124. Guillaume Boivin (CAN/IPT) à 7 : 25

Le top 10 du classement général

  • 1. Jonas Vingegaard (DEN/TJV) 63 h 06 : 53
  • 2. Tadej Pogačar (SLO/UAD) à 1 : 48
  • 3. Adam Yates (GBR/UAD) à 8 : 52
  • 4. Carlos Rodríguez (ESP/IGD) à 8 : 57
  • 5. Jai Hindley (AUS/BOH) à 11 : 15
  • 6. Sepp Kuss (USA/TJV) à 12 : 56
  • 7. Pello Bilbao (ESP/TBV) à 13 : 06
  • 8. Simon Yates (GBR/JAY) à 13 : 46
  • 9. David Gaudu (FRA/GFC) à 17 : 38
  • 10. Felix Gall (AUT/ACT) à 18 : 19
  • 38. Michael Woods (CAN/IPT) à 1 h 55 : 29
  • 46. Hugo Houle (CAN/IPT) à 2 h 18 : 08
  • 126. Guillaume Boivin (CAN/IPT) à 4 h 03 : 51