Que ce soit autour de chez lui à Tel-Aviv, au camp d’entraînement de son équipe en Espagne ou à Miami où il passera les Fêtes en famille, Sylvan Adams roule fièrement dans son maillot arc-en-ciel de champion mondial des maîtres, frappé du nom de sa formation : « Israel-Premier Tech ».

« Personnellement, je n’ai aucun souci de rouler en public avec le maillot », a résumé l’homme d’affaires et philanthrope en entrevue téléphonique avec La Presse, mercredi.

Par mesure de sécurité, Israel-Premier Tech (IPT) a néanmoins permis à ses coureurs de porter un uniforme partiellement banalisé pour s’entraîner quand ils ne sont pas encadrés par l’équipe.

« C’est leur choix de [rouler] avec le maillot neutre ou le maillot habituel », a précisé Sylvan Adams, Québécois établi depuis 2015 en Israël, patrie d’origine de son défunt père, Marcel Adams.

On a offert ce choix au cas où quelqu’un se sentirait mal à l’aise.

Sylvan Adams, propriétaire d’Israel-Premier Tech

Cette situation particulière découle de la guerre menée par Israël au Hamas, dans la bande de Gaza, après l’attaque-surprise du 7 octobre qui a fait plus de 1100 victimes israéliennes, en majorité des civils. Le Hamas a également enlevé 240 personnes, dont plus d’une centaine seraient toujours détenues. Les bombardements israéliens de réplique dans la bande de Gaza ont fait plus de 20 000 morts, majoritairement des femmes, adolescents et enfants.

Sylvan Adams est « révolté » d’avoir à se soucier du bien-être des membres de sa formation en raison de ce qui est écrit sur leur maillot ou les véhicules de fonction.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB D’ISRAEL-PREMIER TECH

Guillaume Boivin avec l’uniforme officiel de son équipe pour la nouvelle saison

« Est-ce normal qu’une équipe cycliste doive s’inquiéter d’une menace de violence uniquement parce que nous portons un maillot avec le nom Israël ? Est-ce acceptable dans notre sport, dans notre société, que des Juifs doivent s’inquiéter de leur sécurité personnelle ? »

Le propriétaire d’IPT s’est néanmoins résolu à faire produire des uniformes neutres, faisant de la sécurité de ses coureurs et des employés une priorité absolue.

« Je n’aime pas du tout le fait qu’on doive penser avoir un maillot d’entraînement sur lequel n’est pas mentionné le nom Israël. Je n’aime pas ça, parce que c’est vraiment [céder] à une menace inacceptable ! Mais la sécurité des coureurs qui s’entraînent seuls comme ça, sans véhicules et tout le reste de l’entourage qui les accompagne à des courses, prime avant toute autre considération. »

PHOTO SIMON DROUIN, ARCHIVES LA PRESSE

Jean Bélanger (à gauche) et Sylvan Adams (à droite)

Cette possibilité de s’entraîner dans des vêtements neutres a été rapportée pour la première fois à la fin de novembre par le site internet spécialisé néerlandais WielerFlits, selon qui des coureurs et des membres du personnel craignaient d’être l’objet d’actes violents. Certains cyclistes d’IPT seraient passés près de manifestations propalestiniennes.

En entrevue avec La Presse, Sylvan Adams a éludé les questions portant sur l’expression d’un inconfort ou d’une insécurité de la part de coureurs, réitérant que la direction d’IPT a été « proactive » sur le sujet.

« Je n’ai pas senti de peur »

Au premier camp de l’équipe en vue de la nouvelle saison, qui s’est terminé le dimanche 17 décembre à Gérone, la guerre Israël-Hamas a été abordée avec les 30 cyclistes de 13 nationalités, dont 4 Israéliens et 5 Canadiens, parmi lesquels Hugo Houle et Guillaume Boivin.

« Ça a provoqué des discussions à l’interne, a relaté M. Adams, propriétaire d’IPT. On a parlé de la situation en Israël, de ce qui s’est passé le 7 octobre, de ce qu’Israël a fait depuis. On a expliqué ce qui se passait avec la guerre, ses objectifs, la situation des otages, des familles et du déplacement de 250 000 personnes dans le pays, ce qui est inimaginable. »

PHOTO OHAD ZWIGENBERG, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Maisons détruites dans le kibboutz de Be’eri, en Israël, mercredi dernier

Un résidant du kibboutz de Be’eri, à une dizaine de kilomètres de la bande de Gaza, est venu témoigner des horreurs qu’il a vécues quand sa petite communauté a été prise d’assaut par des combattants du Hamas.

« Il nous a expliqué comment sa famille et lui ont survécu, le 7 octobre, quand 25 % [des habitants] de son kibboutz ont été assommés, torturés, brûlés et massacrés de façon inimaginable », a expliqué Sylvan Adams.

Le cofondateur d’IPT estime que tout le monde a été rassuré par les séances d’information : « On a été proactifs pour encourager les discussions. Sincèrement, la question des menaces n’a pas été discutée comme telle. Je n’ai pas senti de peur des coureurs et des gens qui travaillent pour l’équipe. Je n’ai pas senti autre chose que la volonté d’attaquer la saison avec une équipe améliorée. Je suis très encouragé par nos nouvelles acquisitions et j’espère que nous aurons une équipe du tonnerre. »

Prudence pour Houle

À la veille d’amorcer sa troisième campagne pour Israel-Premier Tech, Hugo Houle ne se sent pas particulièrement menacé en roulant dans son maillot de 2023, que ce soit autour de chez lui, dans la région de Monaco, ou sur les routes du Québec, où il affronte le froid ces jours-ci. Par mesure de prudence, le coureur de 33 ans portera néanmoins un uniforme neutre à l’entraînement quand il le recevra le mois prochain.

PHOTO THIBAULT CAMUS, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Hugo Houle après sa victoire d’étape au Tour de France, en 2022

« Pour ma part, je pense que c’est sécuritaire sur la route, je n’ai jamais eu de problème », a expliqué le vainqueur d’étape au Tour de France en 2022, dans un message écrit. « Cependant, il faut se protéger puisqu’il suffit d’une seule personne pour s’attaquer à nous. Nous sommes déjà vulnérables sur les routes, il vaut mieux jouer safe. »

Son coéquipier Guillaume Boivin n’a pas vraiment réfléchi au maillot qu’il portera dans les prochaines semaines en Australie, où il lancera sa saison en janvier.

« Honnêtement, ça ne me dérange pas tant que ça : je vais prendre le premier maillot dans le tiroir et ça va être ça », a tranché le vétéran de 34 ans joint sur la Sunshine Coast, au nord de Brisbane.

Au moment de l’appel vidéo, Boivin revêtait le maillot spécial d’IPT pour le dernier Tour de France, où le mot « Israel » est bien en évidence. En fouillant dans son sac, il a découvert le maillot neutre tout neuf, qu’il a déballé pour le montrer à la caméra. Il est presque identique au nouvel uniforme de 2024 dévoilé la semaine dernière, à l’exception des mots « Israel » et « Premier Tech », l’autre commanditaire principal, qui n’y figurent plus. Les logos – une étoile de David stylisée et le P de Premier Tech, multinationale de Rivière-du-Loup – sont restés.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Guillaume Boivin

S’il se sent en sécurité en Australie et dans les montagnes d’Andorre, où il réside, Guillaume Boivin est reconnaissant du soin de sa formation dans la protection des coureurs.

« Quand tu t’entraînes, tu ne sais jamais sur qui tu peux tomber », a souligné celui qui est l’un des plus anciens de l’équipe israélienne, qu’il représente depuis 2016. « Ç’a toujours été un peu la réalité, mais c’est amplifié depuis la guerre à Gaza. […] C’est toujours plus pour l’exception que pour la population en général. Ça dépend aussi de la région où tu habites. Je comprends que ça peut être plus dérangeant pour certains. C’est bien que l’équipe ait pris en considération les craintes que quelques-uns pourraient avoir. »

« Nous maîtrisons la situation »

De façon générale, Sylvan Adams n’est pas particulièrement préoccupé par la possibilité qu’un de ses coureurs soit victime d’un évènement fâcheux.

« Ceux qui font des menaces de violence ne sont pas des gens qui suivent notre sport, a estimé l’homme de 65 ans. Mais s’ils voient le nom “Israel”, c’est comme une provocation pour eux parce qu’ils ont de la haine envers Israël et le peuple juif en même temps. »

À au moins deux reprises ces dernières années, des manifestants propalestiniens ont chahuté pendant la présentation des coureurs d’Israel-Premier Tech avant le départ du Grand Prix cycliste de Montréal. M. Adams lui-même s’est fait apostropher en 2022.

Le propriétaire d’IPT a indiqué que « des mesures défensives pour assurer la sécurité [du] personnel » de la formation isréalo-canadienne seront mises en place durant la prochaine saison, comme ce fut le cas ces dernières années.

« Ces gens violents sont plus visibles depuis le 7 octobre, mais ils étaient là avant. J’ai confiance [dans le fait que] nous maîtrisons la situation et que les mesures de sécurité que nous entreprenons seront suffisantes pour nous permettre de rouler comme une équipe de cyclisme sur nos routes publiques, qui devraient être sécuritaires pour tout le monde. »

Le projet d’une « course de la paix » en Israël, à Bahreïn et aux Émirats arabes unis, à la fin d’octobre, pourrait être repoussé. « La situation de la guerre a un peu ralenti les discussions à cet égard, a reconnu Sylvan Adams. On verra comment les choses se déroulent. »

Israel-Premier Tech, Guillaume Boivin et le Canadien Derek Gee amorceront la nouvelle saison du 16 au 21 janvier au Tour Down Under, en Australie. Les coureurs porteront tous le maillot officiel de l’équipe, avec le nom complet inscrit sur la poitrine.

Le point sur Chris Froome

PHOTO RICHARD A. BROOKS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Mark Cavendish en discussion avec Chris Froome

À 38 ans, Chris Froome peut-il retrouver le niveau pour participer au prochain Tour de France, son objectif avoué pour 2024 ? Sylvan Adams demande à voir.

« Chris reste confiant en la possibilité qu’il puisse retourner à son ancienne forme, a indiqué le proprio d’IPT. L’équipe va lui donner tout le soutien possible pour qu’il réalise ses objectifs. Va-t-il le faire ? À part Chris, personne ne serait plus heureux que moi s’il y parvenait. »

Sous contrat avec IPT jusqu’en 2025, le quadruple vainqueur du Tour de France n’a obtenu qu’un résultat notable depuis son accident en marge du Critérium du Dauphiné en 2019 : sa troisième place à l’Alpe d’Huez au Tour de France 2022.

L’an dernier, Sylvan Adams a admis « ne pas en avoir eu pour son argent » depuis l’embauche en 2021 du Britannique d’origine kényane, une déclaration reprise partout et qui a mené à une mise au point entre les deux hommes.

Chris Froome estime avoir découvert la source de ces maux de dos ces dernières années : une différence notable de son positionnement sur sa monture par rapport à ses glorieuses années avec Sky et Ineos.

Son patron le pense-t-il capable de décrocher une place pour le Tour de France ?

« Il a tellement une grande confiance en lui ! a d’abord répondu Adams en riant. Je voudrais voir ça de façon plus tangible dans des courses préparatoires. Je réserve ma réponse avant de voir. »

Après un camp en altitude en Afrique du Sud, Froome commencera sa saison au Tour du Rwanda, en février. « L’an passé, il n’a pas réussi à gagner ni une étape ni le Tour. Ce sera un bon test pour lui pour voir où il en est. Le Tour du Rwanda est une course de plus bas calibre. On aimerait voir une performance de Chris qui nous donne une vision des possibilités à venir cette année. »

Froome a l’intention de courir jusqu’à la fin de son contrat et n’écarte pas l’éventualité d’étendre sa carrière au-delà de 2025.