Son apport est sous-estimé, mais un seul de ses coups de pied peut faire la différence entre la victoire et la défaite. Des moqueries liées à sa position, David Côté est capable d’en prendre, parce qu’il sait, au fond, combien il est utile. Incursion dans la tête et dans le quotidien du botteur des Alouettes de Montréal.

La température ressentie dépassait 40 aux abords du terrain synthétique situé entre le Stade olympique et le stade Saputo lors de l’entraînement des Alouettes. Après plus de deux heures de dur labeur, Côté s’est présenté, douché, à l’espace gourmand L’Insolite du Stade olympique.

Il avait enfilé un t-shirt bleu-gris des Alouettes et un short noir usé du Rouge et Or de l’Université Laval. C’est d’ailleurs pourquoi le parcours de l’athlète de 26 ans est digne d’intérêt.

Grâce à une précision et une constance déconcertante, il est devenu l’un des plus talentueux de sa profession, mais le Québécois est encore meilleur pour réaliser ses rêves.

« Quand j’étais petit, j’allais voir le Rouge et Or avec mon père. Il a des billets depuis je ne sais pas combien d’années », lance le natif de Lebourgneuf, à 15 minutes du PEPS. Quelques années plus tard, Côté aura marqué l’histoire du programme.

Enfant, il regardait aussi Anthony Calvillo, Ben Cahoon et Luc Brodeur-Jourdain. « Je suis venu à la Coupe Grey quand c’était ici au Stade olympique contre Calgary. Les Alouettes, c’était mon équipe. » Ce l’est encore aujourd’hui, plus que jamais, et il est un élément névralgique des succès de la brigade.

L’année dernière, il a pris le quatrième rang des botteurs de la Ligue canadienne avec un taux de placements réussis de 86,3 %. Depuis le début de la saison, il a converti six de ses sept tentatives.

La force du mental

Côté n’est pas un botteur ordinaire. À six pieds quatre pouces et 215 livres, il aurait pu faire carrière à n’importe quel poste sur le terrain.

Il gagne sa vie grâce au football, mais il doit faire fi chaque jour de la mauvaise compréhension de son métier par les gens autour.

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David Côté

Tout le monde dit que c’est facile, jusqu’à ce qu’il reste deux secondes et que ton pied décide de l’issue du match. C’est ton mental qui te différencie.

David Côté, à propos de son rôle

« Beaucoup de gens peuvent botter de 50 verges, mais pas être précis et le faire avec la pression qui vient avec », soutient-il avec sa grosse gourde en main pendant que la pièce Anti-Hero de Taylor Swift résonne dans le restaurant.

« Il y a toujours des running gags sur les botteurs. Je les ai tous entendus », jure-t-il. Même qu’il en rit avec ceux qui veulent bien se marrer. Reste qu’il prend son métier très au sérieux. Si bien qu’il est devenu une sommité dans son domaine. « Quand tu te places pour un placement, tu regardes le ballon. S’il est dedans c’est bon, s’il ne l’est pas ce n’est pas bon. En général, toute la pression est sur toi et c’est le pied qui décide. »

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Le botteur des Alouettes David Côté (15) et son coéquipier Joseph Zema (36)

La pression, il la gère magnifiquement bien selon son entraîneur Byron Archambault : « Il a du sang-froid ! Même si le moment est grand, même s’il en a manqué un auparavant, il est toujours capable de répondre. Il oublie facilement et c’est une grande force chez lui. »

Les botteurs ont en commun le devoir d’être parés et efficaces à tout moment. Lors du dernier match au stade Percival-Molson, Côté a attendu sous la pluie battante pendant près de deux heures et demie entre son premier et son deuxième botté. « On n’embarque pas souvent, donc quand on embarque, on s’attend à ce que ce soit parfait. »

La routine

Côté est imparfait. Et il le sait. Toutefois, ce n’est pas par manque de volonté. La marge entre un botté raté et un botté réussi est infime. L’entraînement et la répétition sont déterminants, parce que oui, contrairement à la croyance populaire, les botteurs s’entraînent autant que les autres joueurs, assure-t-il.

La courte équipe des botteurs est sur le terrain environ 30 minutes avant le commencement de l’entraînement, « parce que souvent, en pratique, c’est la place qui manque. On sort avant et on fait le gros de notre travail », précise-t-il.

« On travaille souvent dans l’ombre. Pendant la pratique, on botte quand il y a des trous. On essaye de prendre la place qu’il y a. » Ensuite, les botteurs retournent à la salle d’entraînement, « comme tout le monde ».

Autant de travail et de perfectionnement lui permet d’être complètement en phase avec son art. « Dès que j’y touche [au ballon], je le sais si c’est dedans ou non : 95 % du temps, je pourrais m’en aller avant que le kick soit rendu en sachant le résultat. »

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David Côté

Pour limiter les erreurs, Archambault dérange constamment son botteur à l’entraînement. Côté adore « travailler dans l’inconfort ».

Pour simuler une situation de match, l’entraîneur des unités spéciales le pousse, le bouscule, tourne autour de lui ou arrête le ballon juste avant l’envoi du botté.

« On n’hésite jamais à envoyer Dave dans la mêlée. On sait qu’il est fiable. On pense qu’avec lui, c’est trois points garantis pour nous », précise avec vigueur Archambault.

Oublier pour mieux jouer

Il arrivera toutefois des moments où la touche ne sera pas assez précise, assez adéquate, assez parfaite. Lorsqu’on s’y attarde froidement, la mission des botteurs est à la fois simple et répétitive : botter le ballon entre deux poteaux.

Arrivent toutefois des impondérables pouvant écraser la certitude. La plupart des autres joueurs peuvent improviser. Plusieurs options s’offrent à eux si leur plan initial tombe à l’eau. Côté, dans tous les cas, doit envoyer le ballon au centre de la cible. Et le résultat est sans équivoque. Il n’y a pas de place à interprétation. C’est réussi ou c’est raté.

L’année dernière, il a loupé sept placements. Le véritable travail commence une fois que le ballon est passé à l’extérieur des tiges jaunes.

« Tu es fâché. Mais une fois que tu l’as raté, qu’est-ce que tu veux faire ? Ça va toujours arriver d’en manquer un ici et là. Je sais que je vais en manquer d’autres, mais je sais que je vais en avoir d’autres aussi », répond-il.

Lorsque ça arrive, dans son esprit, la frustration doit durer seulement une fraction de seconde. « Tu ne peux pas rester concentré sur ton dernier raté, sinon ta game est finie. »

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David Côté (15) célèbre un placement réussi avec Joseph Zema (36) lors d’un match contre le Rouge et Noir d’Ottawa à Montréal.

Attendre son moment

Dans la mémoire des amateurs de football québécois, le botté gagnant de Damon Duval lors de la Coupe Grey de 2009, à la suite d’une pénalité ayant annulé sa première tentative ratée, est un souvenir impérissable.

Évidemment, Côté aimerait être au cœur d’un moment comme celui-là. « Tu joues un peu pour ça, admet-il. Je fais beaucoup de visualisation le soir, surtout la veille des matchs, et je pense à des bottés comme ça. Ça m’excite plus que ça me stresse. »

En attendant, Côté à un boulot à faire et il veut s’appliquer. « Mon travail, c’est d’être un en un à chaque fois, précise-t-il. À chaque match, je sais que je vais aider l’équipe, mais comment, je ne sais pas. Je le sais sur le moment. »

Ces moments, il veut les transformer en occasions de briller. Pour toutes les fois où il a fait l’objet de taquineries. Pour toutes les fois où il a été sous-estimé. David Côté est un botteur d’exception conscient de sa valeur. Mais surtout, il est un athlète fier. Fier de lui, fier de son équipe et fier d’avoir déjà pu réaliser ses rêves.