(Latrobe, Pennsylvanie ) Le vétéran des Steelers de Pittsburgh Cameron Heyward se souvient qu’en 2011, quand il a été repêché au premier tour, l’évènement sportif préféré des parieurs était le tournoi de basketball de la division I de la NCAA, qui attire des millions de gens aux États-Unis par le biais de pools entre amis et collègues de travail.

À l’époque, la ligue avait une politique restreignant le pari chez les joueurs et les autres membres du personnel, estimant que parier risquait de compromettre l’intégrité du sport.

Mais, à l’époque, le pari était moins accessible, et Heyward trouvait que ces directives comptaient peu.

« Honnêtement, je ne pensais pas vraiment que la règle sur les jeux d’argent était liée au football », a dit le vétéran la semaine dernière au camp d’entraînement des Steelers. « Mais ça a pris beaucoup d’ampleur, et il faut s’assurer d’être à jour sur ce qui est permis ou pas. »

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Le pari sportif aux États-Unis a pris une ampleur inouïe depuis que l’ailier défensif des Steelers de Pittsburgh Cameron Heyward a été repêché en 2011. Les jeunes joueurs ont grandi dans une ère où le pari sportif est légal et facilement accessible sur un téléphone intelligent.

En 2018, sept ans après la sélection de Heyward, la Cour suprême a invalidé une loi qui interdisait le pari sportif dans la plupart des États. Depuis, le pari sportif prolifère autour de la NFL et de nombreux États ayant autorisé cette activité.

La NFL a conclu des accords de commandite avec trois sociétés de paris sportifs, qui font de la publicité lors de la diffusion des matchs et d’autres émissions. Les téléspectateurs sont bombardés de publicités de paris sportifs, qui offrent des promotions et des applications mobiles. Au moins deux équipes – les Commanders de Washington et les Cardinals de l’Arizona – ont du pari sportif au stade.

Mais l’adhésion de la NFL au pari sportif contraste avec sa sévérité envers les joueurs qui enfreignent la règle anti-paris de la ligue.

Depuis avril, la ligue a suspendu indéfiniment au moins sept joueurs qui ont parié sur des matchs de la NFL, en violation du règlement. Ces joueurs pourront demander leur réintégration après la saison 2023. Trois autres joueurs, dont le receveur de deuxième année des Lions de Detroit Jameson Williams, ont aussi été suspendus pour avoir parié sur d’autres sports dans les installations de leur équipe.

Selon la NFL, la tolérance zéro envers joueurs, entraîneurs et autres employés est essentielle pour protéger l’intégrité du football, soit l’assurance absolue pour les amateurs que les matchs sont de véritables compétitions sans résultat prédéterminé.

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Le demi inséré C. J. Moore (ci-dessus) et l’ailier espacé Quintez Cephus, des Lions de Detroit, ont été suspendus pour avoir parié sur des matchs de la NFL. Ils ont depuis été libérés par l’équipe.

Mais cette approche soulève des questions sur l’équité, l’idée d’intégrité et le contrôle de la ligue sur des athlètes ayant grandi avec des téléphones intelligents et moins de restrictions dans leur vie d’adulte que des joueurs à peine plus âgés que Heyward.

Le froid et le chaud

À la suite des suspensions, entraîneurs et joueurs veulent éviter qu’il y en ait d’autres et trouvent que la NFL pourrait mieux expliquer sa politique et ses conséquences.

Certains joueurs sont déconcertés : la ligue leur interdit de parier, mais s’implique activement dans l’industrie du pari sportif. Jameson Williams, un des joueurs suspendus, affirme qu’il n’était pas au courant du règlement anti-paris, même s’il est détaillé dans la convention collective de la NFL et dans le contrat de chaque joueur.

Pendant des décennies, la NFL a évité les jeux d’argent et a milité contre l’expansion du pari sportif. Depuis que la Cour suprême a annulé la loi empêchant de légaliser cette activité, les équipes ont vite signé des commandites avec des casinos et des sociétés de paris sportifs. En 2021, la NFL a conclu des partenariats avec DraftKings, FanDuel et Caesars Entertainment, d’une valeur de près de 1 milliard de dollars sur cinq ans.

Après avoir longtemps évité Las Vegas, la ville du jeu d’argent, la ligue a permis aux Raiders de s’y installer dans un nouveau stade. La NFL y a tenu le Pro Bowl deux fois, puis le repêchage en 2022. En février prochain, ce sera le Super Bowl.

Aux États-Unis, le pari sportif est légal dans 34 États et dans le district de Columbia, selon l’American Gaming Association, qui représente l’industrie des casinos.

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Le joueur de ligne offensive des Titans du Tennessee Nicholas Petit-Frère a été suspendu le 29 juillet, trois jours après le début du camp d’entraînement. Il ratera les six premiers matchs de la saison pour avoir parié sur d’autres sports que le football alors qu’il se trouvait dans les installations des Titans.

Cameron Heyward croit que la prolifération du jeu d’argent dans le sport a peut-être incité la ligue à devenir plus sévère que nécessaire avec les joueurs.

À ce stade, on est plus réactifs que proactifs ; c’est comme ça parce qu’on n’a pas réfléchi à tous les enjeux. Alors en étant réactifs, on a des punitions plus lourdes au lieu d’en tirer les leçons et de voir comment évoluer.

Cameron Heyward, des Steelers de Pittsburgh

L’âge moyen des dix joueurs suspendus est d’un peu moins de 25 ans : ils étaient probablement encore au football universitaire quand la Cour suprême a rendu sa décision. Ils ont grandi dans une ère numérique où les paris sont légaux et faciles d’accès grâce à la technologie.

« C’est difficile pour quiconque a travaillé avec des jeunes de cet âge d’explorer cette nuance, en particulier compte tenu du nombre de changements qu’un jeune joueur absorbe lorsqu’il entre dans un sport professionnel », a déclaré Bob Boland, professeur de droit du sport à Seton Hall et ancien responsable de l’intégrité du sport à Penn State.

Dans les mois qui ont suivi les suspensions de l’intersaison, la ligue et les joueurs ont tenté d’empêcher d’autres paris au sein du sport.

La NFL a obligé les recrues à assister à des réunions sur la politique en matière de jeux d’argent et a envoyé des responsables dans les équipes pendant les entraînements d’intersaison et les camps d’entraînement pour expliquer plus en détail ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Selon Joe Schoen, directeur général des Giants de New York, le personnel de la ligue a fait une présentation dans les installations des Giants dès le premier jour du camp d’entraînement.

Aucun joueur des Giants n’a été suspendu pendant l’intersaison, mais Schoen dit qu’il comprend ceux qui auraient pu enfreindre la règle sans le savoir. Cela étant, désormais, personne n’a plus d’excuse.

« Peut-être que certains gars ont commis des erreurs parce qu’ils ne comprenaient pas les règles. Mais l’intégrité du football est capitale pour la ligue et pour tout le monde. On a tous assisté à la même présentation, donc désormais, s’ils se mettent dans le pétrin ou enfreignent les règles, c’est de leur faute. »

Cet article a été publié dans le New York Times.

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