(Atlanta) Matthew Bergeron a tout pour lui. Une carrière prometteuse, un train de vie confortable et une nouvelle famille. Même si pour lui, la maison, ça restera toujours entre les routes 116 et 122.

Le joueur de ligne offensive se trouvait à 2000 kilomètres de son cocon familial de Victoriaville, jeudi, lorsque La Presse est allée à sa rencontre au centre d’entraînement des Falcons d’Atlanta.

Ledit centre se trouve à Flowery Branch, à 45 minutes au nord du centre-ville d’Atlanta. Car oui, l’équipe s’entraîne en banlieue. Mais foi de Travis, un chauffeur de taxi qui préfère se faire appeler DJ Trav, ce quartier fait quand même partie de la ville d’Atlanta, a-t-il expliqué pendant que les deux dés géants roses en mousse accrochés à son rétroviseur s’entrechoquaient comme les billes d’un pendule de Newton.

PHOTO NICHOLAS RICHARD, LA PRESSE

Le centre d’entraînement des Falcons d’Atlanta, à Flowery Branch, en Géorgie

La route pour s’y rendre était bordée d’arbres matures au feuillage généreux. Le vert n’avait pas encore hiverné, comme au Québec.

La journée était relativement froide pour la saison en Géorgie. Le thermomètre indiquait 18 °C et le ciel était poivre et sel. Il fait rarement aussi frisquet à cette période de l’année. Le vent s’est aussi mis de la partie, suffisamment pour que les journalistes locaux se couvrent de plusieurs épaisseurs.

Matthew Bergeron, accompagné de son coéquipier Ryan Neuzil, a été parmi les premiers à fouler le terrain. Tranquillement, casque à la main, il a marché entre les deux terrains d’entraînement, d’une zone de touché à l’autre, pour aller porter son équipement tout au bout avant de s’étirer.

Le receveur Drake London a suivi. Il est le premier joueur à avoir touché aux ballons.

Les Falcons ont battu les Texans de Houston dimanche dernier et ils s’apprêtent à affronter des Commanders de Washington en difficulté. Bergeron affrontera d’ailleurs son compatriote Benjamin St-Juste pour la première fois.

L’entraînement des Falcons s’est terminé au bout de deux heures. Personne n’a pu en témoigner, car l’accès aux membres des médias est interdit pour éviter toute fuite d’informations.

L’ambiance dans le vestiaire est délirante. Comme si l’équipe voguait sur une séquence ininterrompue de cinq victoires. Dans cette immense pièce au tapis gris dominé par un gigantesque logo de l’équipe, des joueurs s’amusent à tirer des trois points dans le panier de basketball installé au centre de la pièce. Certains se mesurent au filet de ping-pong, tandis que d’autres, comme Matthew Bergeron, assis devant son casier tout au fond du vestiaire, scrutent leur téléphone cellulaire.

PHOTO STEVE LUCIANO, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Matthew Bergeron lors du réchauffement avant le match des Falcons et des Jaguars de Jacksonville organisé au stade Wembley, à Londres, le 1er octobre

Toujours vêtu de son maillot et de son bonnet d’entraînement au logo de la NFL, Bergeron explique combien sa nouvelle vie est palpitante, mais presque irréelle.

« Je suis ici depuis le mois de mai et je commence à m’habituer depuis peu. Mais dans la NFL, il faut profiter de chaque moment, parce que tu ne sais jamais quand ça peut finir. Il ne faut rien tenir pour acquis. Il y a des vétérans qui ont vu des gars arriver et repartir aussi vite. Mais pour le moment, je vis le rêve », souligne le Québécois, en retrait, pour éviter de recevoir un smash dans la nuque.

Une ville variée

Bergeron vit près du centre d’entraînement, à environ une heure du centre-ville, dans un quartier tranquille. « Atlanta, c’est trop de trafic pour moi. Je n’ai pas assez de patience pour ça ! » Il suffit de traverser deux fois une autoroute à sept voies dans le même après-midi pour le comprendre.

Au milieu de sa phrase, trois de ses coéquipiers viennent perturber l’entrevue. L’un d’eux lance : « Venez, il est en train de dire des conneries en français ! », pour taquiner le joueur recrue, qui s’exprime rarement, voire jamais, dans sa langue maternelle dans le vestiaire.

Mais Bergeron ne se laisse pas déconcentrer pour autant et poursuit en vantant l’effervescence de sa ville d’adoption : « Atlanta est une belle ville. Je suis allé à un concert de Drake et c’était vraiment le fun. Il y a beaucoup de culture, beaucoup de diversité. La bouffe est super. »

Parmi ses coups de cœur, le jeune homme de 23 ans cite l’aquarium d’Atlanta – « c’est vraiment beau ; Si on a du temps, il faut aller là » –, ainsi que le site historique Martin Luther King, parce que « ça vaut la peine ».

« À côté du stade, il y a plein de petits musées, ajoute-t-il, c’est vraiment le fun ! »

Loin des siens

Même s’il adore son nouvel environnement, le 38e choix au total du dernier repêchage de la NFL reconnaît que l’éloignement des membres de sa parenté est sans doute l’aspect le plus difficile avec lequel composer.

Du moins, plus que lorsqu’il évoluait au cégep de Thetford Mines ou à l’Université de Syracuse, dans la NCAA. « Syracuse, c’était plus proche de la maison, juste cinq heures de route. Là, je suis vraiment éloigné de tout le monde. Je suis parti directement après le secondaire pour aller au cégep, donc je suis habitué, mais je ne suis pas habitué à être aussi loin, à 20 heures de route. Arrive un âge où il faut quitter le nid familial, mais j’aimerais que ma famille puisse être là plus souvent. »

PHOTO BRETT DAVIS, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Matthew Bergeron soulève son coéquipier Bijan Robinson (7) après un touché contre les Texans de Houston.

Heureusement, le nombre de vols directs entre Montréal et Atlanta permet à ses proches de venir le visiter aisément.

Par exemple, toute la famille a fourni du jus de bras pour l’aider à déménager cet été. Tout le monde a aussi assisté à son premier match dans la NFL, contre les Panthers de la Caroline à domicile. Et certains de ses amis sont venus le voir gagner contre Houston il y a quelques jours.

Mais sa vie s’est rapidement transformée en sablier, car le temps ne cesse jamais de s’écouler, et dès qu’il croit avoir enfin un peu de répit, il doit relancer la machine. En somme, le joueur de ligne offensive n’a pas le temps de s’ennuyer.

Pour l’instant, ça va vraiment vite et on dirait que je suis tellement concentré sur chaque étape que c’est un peu difficile de se libérer. Mais c’est sûr que je vais prendre plus de temps lors de la prochaine saison morte pour aller voir mes amis et le monde à Victo. Rentrer à la maison et manger un peu de poutine, ça me manque !

Matthew Bergeron

L’entrevue s’est conclue en parlant du succès des Bulldogs de l’Université de Géorgie et de l’abondance de l’offre sportive à Atlanta.

Mais même s’il n’est pas le visage de son équipe comme la recrue Bijan Robinson, par exemple, les voisins de quartier de Bergeron commencent à se douter que le jeune homme de 6 pi 5 po et 323 lb n’exerce pas un métier ordinaire.

« Mais je ne me fais pas vraiment accrocher dans la rue », précise-t-il.

Au Québec, toutefois, il a le potentiel d’être le modèle de toute une génération. Et le match de dimanche, alors que deux Québécois seront de la formation partante, pourrait passer à l’histoire pour la Belle Province.

« Ce sera un grand moment pour le football québécois », ajoute Bergeron.

Le grand gaillard au sourire gêné est retourné s’asseoir au casier numéro 65, le visage penché sur son téléphone cellulaire. Sans doute pour répondre à ses messages ou pour faire abstraction des singeries de ses coéquipiers lui demandant des cours de français.

Une chose est sûre. Bergeron sait qu’il peut compter sur une famille, quelle qu’elle soit, où qu’elle soit.