C'est presque trop facile de frapper sur Bob Gainey ces temps-ci. En fait, c'est rendu un hobby. J'ai même reçu des courriels d'experts tout récemment, vous savez, des experts qui s'amusent à décoder le langage corporel de monsieur Bob. Trop tendu, trop fermé, trop ci, trop ça, regardez ce que ça fait au moral de l'équipe, affirment-ils en substance... L'heure est grave, mesdames et messieurs.

Les tics de monsieur Bob, moi, ça ne m'énerve pas trop. Ce que je trouve un peu plus inquiétant, par contre, c'est la fameuse question des 11 joueurs sans contrat pour la saison prochaine. Parce qu'elle explique en partie pourquoi cette équipe se bat présentement pour sa survie.

On a toujours cru, naïvement peut-être, qu'un joueur sans contrat, ça joue chaque match comme si c'était son dernier. L'idée étant, bien sûr, de faire grimper sa valeur et de récolter un immense chèque au cours de l'été.

Pourtant, c'est exactement le contraire qui se produit au Centre Bell. On y voit des joueurs sans contrat qui n'ont pas l'air de trop s'en faire avec la vie. Étrange, non?

«Ce n'est pas si étrange que ça, m'a expliqué hier un dirigeant d'une équipe adverse, sous le couvert de l'anonymat. Les joueurs savent qu'ils auront toujours une porte de sortie. Ils savent que s'ils ne jouent pas à Montréal, il va toujours y avoir trois ou quatre équipes qui vont se battre pour eux.»

Appelons ça le phénomène Michael Ryder. Vous vous souvenez de cet attaquant sibyllin? Vous savez, celui qui a disputé la saison 2007-2008 à Montréal avec la même passion que le type qui doit nettoyer les toilettes au resto du coin. On l'avait même vu fabriquer des avions de papier quand il était en pénitence sur la galerie de presse...

Or, les Bruins de Boston ont récompensé Ryder avec un joli salaire de quatre millions de dollars cette saison.

«C'est ça qui est décevant, a ajouté le dirigeant. Le gars ne fout rien pendant toute l'année, il s'en va ailleurs et il obtient ce contrat-là... Je le répète, les joueurs ont toujours une porte de sortie. Si ça fait pas l'affaire à un endroit, ça va faire l'affaire ailleurs.»

C'est précisément là où Bob Gainey a perdu son pari cette saison: en pensant que ses 11 joueurs sans contrat allaient tous se défoncer pour la cause. Mais ce n'est pas arrivé. Même Mike Komisarek, celui en qui les attentes étaient si énormes, s'est transformé en défenseur parfaitement ordinaire.

Là-dessus, par contre, mon dirigeant anonyme a sa petite explication.

«Le gros problème du Canadien, c'est que Carey Price a eu de la misère devant son filet, a-t-il ajouté. Il y a eu les blessures à Lang et Tanguay, mais c'est sur Price que le Canadien misait. Et quand ton gardien éprouve des difficultés, ça met en évidence les faiblesses des autres joueurs. Soudainement, tout le monde joue avec moins de confiance. C'est ce qui est arrivé avec Komisarek; on a vu ses faiblesses parce que le gardien joue mal.

«L'autre chose, c'est que les joueurs sans contrat, souvent, pensent juste à aller chercher des points. Ils pensent à leurs statistiques. Ça veut dire qu'en zone défensive, ces gars-là sont peut-être moins concentrés qu'à l'habitude.»

J'ai quand même des petites nouvelles pour ces joueurs du Canadien qui pensent que ça va être mieux ailleurs: avec un plafond salarial qui est appelé à baisser dramatiquement d'ici deux ans, avec cette nouvelle réalité économique guère réjouissante, les équipes vont sans doute être plus prudentes à l'avenir. Ceux qui croyaient pouvoir s'acheter une villa à Malibu et une autre à South Beach avec leur nouveau contrat vont peut-être devoir se contenter d'un bungalow à Brossard, finalement.

Tout ça nous ramène à Bob Gainey. C'est lui qui a placé son club dans cette situation. C'est lui qui a choisi d'amorcer la saison régulière avec autant de joueurs sans contrat. «Moi, je me serais arrangé pour avoir un maximum de joueurs sous contrat, a ajouté le dirigeant. Au moins, ça te permet d'avoir des cartes dans ton jeu, de faire des échanges. Échanger des joueurs sans contrat, c'est beaucoup plus dur.»

Pour terminer en beauté, une prédiction de ce dirigeant: vos Canadiens vont être des séries. «Ils ont un calendrier plus favorable que les Panthers, alors normalement...»

Normalement, oui. Mais j'aimerais rappeler qu'il n'y a pas grand-chose de normal avec cette équipe cette saison...