Quand vous entrez dans le vestiaire des Stars de Dallas, le premier casier à droite est occupé par Stéphane Robidas. Le deuxième, par Mike Ribeiro. Et en face de Ribeiro, il y a Steve Bégin.

Bienvenue chez le Canadien du sud des États-Unis, comme certains amateurs de hockey de Dallas surnomment leurs Stars.

Ribeiro, Bégin, Robidas, trois Québécois qui ont dû s'expatrier à Dallas malgré le fait que leur amour pour le CH était tissé serré.

Le 8 mars dernier, le Canadien affrontait les Stars à l'American Airlines Center, eux qui en étaient à leur sixième match en huit soirs. Défaite annoncée de 3-1 des Stars malgré le fait qu'ils aient dominé 31-19 au chapitre des lancers et sixième défaite consécutive encaissée à la maison.

Ça vient tout juste de se terminer. Ribeiro répond intelligemment aux questions qui lui sont posées. Robidas, toujours aussi gentil, parle de la chance qu'il a eue de se retrouver au sein d'une équipe qui a cru en lui. Et Bégin, lui, remercie le ciel d'avoir été échangé à une équipe qui apprécie son jeu et qui lui fait sentir à quel point le rôle qu'on lui confie est important.

Sixième défaite consécutive des Stars à la maison mais, dans le vestiaire, aucun cri, aucun signe de découragement, comme s'il s'agissait d'une autre journée ordinaire de terminée au bureau.

Mike Modano, sur qui les Stars comptent beaucoup afin de suppléer les absences de Brad Richards, Brenden Morrow et Toby Petersen, tous trois blessés - aucun but à ses 21 derniers matchs le beau Mike ! - se tape les cuisses de plaisir après que Kirk Muller, du Canadien, à la porte du vestiaire des Stars, lui en eut raconté une bien bonne...

Allô la pression!

À Montréal, cette scène aurait été impensable.

Ribeiro: «Nous sommes des professionnels. Nous savons ce que nous avons à faire. Ici, on vous juge selon les résultats obtenus et non sur les rumeurs, bonnes ou mauvaises, qui peuvent circuler à votre sujet.»

Robidas: «Vous savez, la chimie que l'on retrouve au sein d'une équipe, elle se juge par le rendement des joueurs sur la glace. Si dans une équipe, chacun accepte de jouer le rôle qui lui a été confié, d'elle-même la chimie s'installera et vous vous retrouverez en face d'une équipe qui a du corps, du coffre et qui se tient.»

Mais revenons à Ribeiro.

À sa première saison complète avec le Canadien, il termine en tête des compteurs en dépit du fait que ses alliés sont Pierre Dagenais et Michael Ryder...

«À cette époque, dans le vestiaire, je ne me sentais pas le bienvenu. Saku Koivu me regardait de travers, c'était presque du mépris. Dans ma tête, c'était clair, Saku n'acceptait pas que je puisse lui ravir un jour le poste de premier centre de l'équipe. Et il me le faisait bien savoir. Au cours des entraînements, il ne se gênait pas pour me frapper. Ce qui ne m'a jamais dérangé. Moi, je lui remettais coup pour coup. Mais je trouvais que notre capitaine avait un comportement plutôt étrange. De plus, il se faisait un malin plaisir de nous surnommer, Théo, Dagenais et moi, Los Tres Amigos, comme si le fait que trois gars qui s'entendaient bien et passaient beaucoup de temps ensemble pouvait nuire à l'équipe.»

Ça ne s'est toutefois pas arrêté là. Une fois rendu à Dallas, les anti-Ribeiro ont continué à casser du sucre sur son dos. L'an dernier, quand Ribeiro a marqué 27 buts, récolté 56 passes et terminé au premier rang des marqueurs chez les Stars, plusieurs ont dit que c'était grâce à Brenden Morrow. Pourtant, c'est tout à fait l'inverse qui s'est produit. C'est en étant jumelé à Ribeiro que Morrow a connu sa meilleure saison en carrière (32 buts, 42 aides pour 74 points).

Encore cette année, la présence de Ribeiro améliore grandement la performance de ses ailiers. À ce jour, il domine largement la colonne des marqueurs: 19 buts, 49 aides, pour 68 points. Il devance Loui Eriksson, le deuxième compteur de l'équipe, par 11 points et a fait de Steve Ott, un joueur d'abord et avant tout renommé pour la force de ses bras, un attaquant de qualité. Depuis qu'il s'est joint à Ribeiro, Ott, un joueur de cinquième trio - c'est quand même impensable - a récolté 16 buts et amassé 21 passes en 57 matchs.

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Avant de quitter pour Dallas, un collègue m'avait fait une confidence: «Tu veux savoir la vraie raison qui a incité le Canadien à échanger Ribeiro? À ses derniers jours avec le Canadien, des rumeurs circulaient à l'effet que Ribeiro avait maille à partir avec un présumé caïd de la mafia et que sa ligne téléphonique avait même été mise sous écoute.»

- C'est vrai, ça, Mike?

Ribeiro ne sourcille pas.

«Je ne connais pas la raison qui a incité Gainey à m'échanger. Mais si, comme vous dites, j'étais mêlé à une scabreuse affaire, pourquoi le Canadien ne m'en a-t-il jamais parlé? Si le Canadien n'aimait pas mon comportement hors glace, pourquoi ne m'en a-t-il jamais soufflé mot?»

Mais ne vous en faites pas, Ribeiro file le parfait bonheur. À Dallas, il mène une trop belle vie pour se rabattre sur son passé. À cinq millions par année pendant cinq ans - son contrat se termine en 2012-2013 - et les succès sur la patinoire qui s'accumulent, Ribeiro surfe sur un nuage.

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Quand Ribeiro a nous a chaleureusement accueillis dans sa somptueuse demeure située à une demi-heure du centre-ville de Dallas, on a tout de suite compris que le jeune homme menait une véritable vie de pacha.

Wow! Vraiment.

En plus, sa vie familiale semble au beau fixe. L'homme est comblé. Sa femme Tamara, originaire de LaSalle, et trois beaux enfants, Michael, 8 ans, Noah, 4 ans, et Victoria, 3 ans, lui procurent toutes les joies dont il a besoin.

Michael lui ressemble comme deux gouttes d'eau. Le teint foncé, les yeux noirs qui pétillent comme ceux de son père, Michael, à ce que l'on raconte déjà, fera tout un joueur de hockey.

«Son équipe n'a pas perdu un seul match cette année, dit fièrement le papa. Comme il n'y a presque pas d'équipes ici, c'est ma femme qui l'amène à San Diego ou à Chicago, comme ça s'est produit cette année, participer à des tournois où le niveau de jeu est passablement plus relevé.»

- Va-t-il être aussi bon que son père?

De son petit air baveux qui faisait tant enrager Saku, Ribeiro sourit.

«Il est rapide et vif comme c'est pas possible. Mais l'important, pour l'instant, c'est qu'il s'amuse.»

- La question à mille dollars, maintenant : qu'est-ce qu'un jeune homme de 30 ans, un jeune homme qui, au terme de la prochaine saison, aura empoché près de 13 millions au cours des trois dernières années, peut-il espérer de plus de la vie?

- Devine?

Remporter une Coupe Stanley. Robidas, à mon arrivée à Dallas, m'en avait aussi parlé.

«Il nous manque Brenden Morrow, Brad Richards et Toby Peterson, avait dit Robidas. On ne parle pas ici de joueurs marginaux mais de joueurs étiquetés Ligue nationale et qui, au sein de n'importe quelle formation, feraient partie des deux meilleurs trios. En l'absence de ces trois joueurs, ce sera difficile de mériter une place en séries. Mais si on y parvient, avec le retour au jeu de nos blessés, nous serons dangereux.»

Ça, c'était il y a 15 jours.

Depuis, Richards a renoué avec l'action, mais il s'est blessé à nouveau. On parle d'une fracture à un avant-bras. Son absence risque d'être longue.

Aussi bien dire que les carottes sont cuites pour les Stars.

Dommage. Rarement une équipe ne m'a autant ébahi.

L'effet Ribeiro sans doute.

Sérieusement, sa façon de jouer et de passer la rondelle à ses ailiers rend ses coéquipiers, tous ses coéquipiers, encore meilleurs qu'ils le sont.

Avec un Ribeiro dans sa formation, le Canadien chaufferait actuellement les Bruins au premier rang de leur division et on parlerait de lui comme un candidat logique à la Coupe Stanley.

Honte à Gainey, donc?

Honte à Gainey, c'est sûr.

Rarement un échange n'aura autant fait reculer le Canadien.

En Ribeiro, on parle ici d'un joueur qui, à Montréal, à coup sûr, avec les années, serait devenu aussi populaire que les Lafleur, Richard et Béliveau...

Un autre beau gâchis.