La «glorieuse» histoire du Canadien - à quand le glorieux présent? - s'articule autour de quelques grandes images, maintes fois ravivées en cette année centenaire plus faste en cérémonies qu'en victoires.

Les Flying Frenchmen, le Temple du hockey, Maurice Richard, idole d'un peuple... La liste est longue, mais au-delà des noms célèbres et des numéros retirés, l'image suprême reste le flambeau, ce flambeau transmis d'une génération à l'autre, symbole sacré des vertus de courage et d'abnégation que doivent montrer ceux qui ont «le CH tatoué sur le coeur». On dirait qu'il y a eu une erreur, cette année: pas le bon tatouage, ou qui part à l'eau, pas à la bonne place, couleurs douteuses ...

Mais revenons à ce flambeau évoqué, on le sait, dans le célèbre poème In Flanders Fields, de John McCrae, dont la transcription bilingue, sur les murs du vestiaire du Canadien, reste l'un des rares exemples de communion entre la poésie et le sport: «Nos bras meurtris vous tendent le flambeau/À vous toujours de le porter bien haut».

McCrae, un Ontarien de Guelph, n'a jamais été associé au Canadien ou même au hockey, bien qu'il soit venu étudier la médecine à McGill après la guerre des Boers (1901) - où il avait servi comme artilleur - et qu'il pratiquait toujours à Montréal à l'époque où l'équipe fut fondée.

Quand la Première Guerre mondiale éclate, en juillet 1914, le pathologiste répond à l'appel de l'empire et reprend du service, comme médecin cette fois. En avril 1915, il se retrouve dans les tranchées d'Ypres (Belgique), où les Allemands ouvrent l'ère de la guerre chimique en lançant sur les Alliés des attaques au chlore aux effets terribles.

Ce printemps-là, le Canadien (6-14) finit sixième et dernier, mais Didier Pitre est deuxième marqueur de la National Hockey Association avec 30 buts. Le 19 avril, Édouard Fabre devient le premier Canadien français à gagner le marathon de Boston, trois semaines avant que Babe Ruth, la recrue des Red Sox, ne frappe son premier circuit dans les majeures.

Ici, au Champ-de-Mars, des manifestations de Canadiens français opposés à la conscription tournent à l'émeute.

McCrea compose son poème, son avant-dernier, le 3 mai. Publié dans le magazine britannique Punch en décembre, In Flanders Fields deviendra le poème de l'armée en plus de servir à la campagne canadienne des obligations de la victoire (Victory Bonds). McCrea, lui, mourra en janvier 1918, des suites d'une pneumonie.

Son poème commencera sa deuxième vie, si on peut dire, après la Deuxième Guerre mondiale, quand le nouveau directeur général du Canadien, Frank Selke, arrivé à Montréal en 1946, fera inscrire les vers dans le vestiaire de l'équipe, occupé à l'époque par les Richard, Blake, Lach et Plante; sous Selke, ils gagneront six fois la Coupe Stanley: en 1953 et cinq fois de suite, de 1956 à 1960. Le flambeau n'a jamais été porté si haut depuis...

Dans ce poème de 15 vers, ne comptant que deux rimes, les soldats tombés au combat - ceux qui reposent sous les coquelicots dans «les champs des Flandres» - s'adressent aux vivants: «Embrassez notre cause contre l'ennemi»...

Les «mains défaillantes», devenues, en français, les «bras meurtris», lançaient la «torche» dans le poème original alors qu'elles «tendent le flambeau» dans la traduction.

Quoi qu'il en soit, le message le plus fort se trouve dans les deux derniers vers, qui arrivent juste après le passage du flambeau. Je traduis librement: Si vous trahissez notre confiance, à nous qui mourons/Nous ne dormirons jamais...

Voyez le problème; quelques jeunes se coucheraient trop tard, tandis que les Glorieux disparus ne dorment plus... Rien de bon à la veille de partir pour Boston où il faudrait arriver avec le flambeau haut. Et allumé, si possible.

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SOURCES: 1. thecanadiananecyclopedia.com 2. In Flanders Fields and Other Poems by Lieut.-Col. John McCrea, M.D., Putman, New York&London, 1919.