Il y a 50 ans, le 1er novembre 1959, Jacques Plante portait pour la première fois son fameux masque dans un match régulier de la Ligue nationale de hockey. S'il ne fut pas le premier Clint Benedict l'ayant précédé de presque 30 ans il fut néanmoins un précurseur. Car Plante a continué à porter son masque jusqu'à la fin de sa carrière, ouvrant ainsi une nouvelle ère dans l'histoire des gardiens de but de la LNH.

Il y a foule, le 1er novembre 1959, au Madison Square Garden de New York.

En fait, pour la première fois de la saison, un match des Rangers affiche complet, avec 15 925 amateurs de hockey.

Les pauvres Rangers reçoivent de la grande visite: le Canadien de Montréal. Vainqueur quatre fois de suite de la Coupe, le CH aligne une pléthore de vedettes: les frères Richard, Jean Béliveau, Geoffrion, Moore, Harvey... Dans les buts, Jacques Plante, le solide numéro 1, lauréat du trophée Vézina.

 

Au début de la quatrième minute de la première période, les Rangers foncent en zone du CH. À quelques mètres du but, l'ailier droit Andy Bathgate lance de toutes ses forces en direction du filet. La rondelle frappe Jacques Plante du côté gauche du visage, juste sous l'oeil. Plante s'effondre.

«Il est tombé comme un sac sur la glace, rapporte le journaliste de La Presse, Gérard Champagne. Lorsqu'il s'est relevé, la glace était maculée de son sang.»

Plante est envoyé à l'infirmerie où il reçoit sept points de suture. Le match est retardé. Pendant ce temps, l'entraîneur-chef du Canadien, Toe Blake, se ronge les sangs. À l'époque, les équipes n'ont qu'un seul gardien de but en uniforme. L'équipe receveuse propose un gardien de réserve dans l'éventualité d'une blessure. Mais les deux candidats des Rangers ont peu d'expérience.

Jacques Plante, qui porte un masque depuis quelques années déjà à l'entraînement, convainc alors Blake de le renvoyer dans la mêlée. Mais à une condition: celle de pouvoir porter son protecteur facial. Blake donne son accord. Masqué, Plante revient sur la glace des Rangers. La foule applaudit. Visiblement inspiré, le Canadien remporte le match, 3 à 1. Jacques Plante vient d'entrer dans l'histoire.

Une mesure temporaire

En fait, dire que Plante a convaincu Blake est un terme mal choisi. Il l'a carrément mis au pied du mur.

«Toe faisait face à un choix: ou Jacques portait son masque ou il acceptait de prendre un gardien qu'il ne connaissait pas», se remémore Jean Béliveau.

Pour le journaliste et auteur Todd Denault, qui vient de publier un ouvrage sur Jacques Plante1, Toe Blake était si animé par son désir de vaincre qu'il a choisi la formule qui lui paraissait la meilleure. «Pour lui, le concept de prendre un gardien sans expérience signifiait certainement la défaite, raconte Denault. Il n'avait plus le choix s'il voulait gagner la partie.»

La nouvelle fait le tour de l'Amérique. Dans leur édition du lundi 2 novembre, plusieurs grands journaux évoquent cette percée. Et comme le match est disputé au lendemain de l'Halloween, d'aucuns font un rapprochement entre le masque de Plante et la fête des bonbons. Pour Gérard Champagne, Plante «est entré dans la grande atmosphère de l'Halloween». Dans The Montreal Star, on écrit à la blague que Plante avait un jour de retard sur l'Halloween.

Mais au-delà de ce rapprochement facile, les journalistes qui ont couvert le match multiplient les éloges. Dans le Montréal-Matin, Jacques Beauchamp affirme que Plante a démontré «un courage admirable» et «une tenue exceptionnelle». Alors journaliste au Montreal Star, Red Fisher constate que «rien n'a été de travers» et que Plante a «atteint de nouveaux sommets». The Gazette évoque une performance magistrale alors que The New York Times dit que le gardien a «accompli un travail incroyable».

«L'histoire prouvera si tous les gardiens de but ont aujourd'hui raison de démontrer leur gratitude à Jacques Plante, le premier homme qui ait eu le courage de porter un masque pendant une joute régulière de la Ligue nationale», écrit quant à lui un Gérard Champagne prophétique. Il ajoute que «l'expérience de Plante s'est révélée un succès complet».

Selon Todd Denault, Toe Blake croyait que le geste de son cerbère ne serait que temporaire, qu'il ne porterait son masque que le temps de guérir sa blessure. C'était mal connaître l'entêté gardien qui, depuis quelques années déjà, affrontait vents et marées dans sa longue quête pour faire accepter le masque dans la LNH.

Sarcasmes et quolibets

Cette quête, elle a commencé à l'automne 1955 alors que Plante a été blessé à l'entraînement par un tir dévié. Il a commencé à porter des masques durant les entraînements. L'histoire s'est répandue. Des gens lui ont envoyé divers prototypes. Un jour de l'été 1959, il s'est rendu dans un hôpital montréalais pour se faire mouler un masque de fibre de verre. Sa croisade s'est intensifiée.

«L'affaire est allée si loin qu'il a eu une rencontre avec Clarence Campbell, président de la LNH, raconte Todd Denault. Campbell a donné son accord pour que Plante porte son masque durant les matchs. Mais ni Toe Blake ni le directeur général du CH, Frank Selke, ne lui ont donné le feu vert. Ils évoquaient plusieurs raisons, la première étant qu'ils étaient inquiets que sa vision n'en soit affectée, qu'il soit incapable de voir la rondelle à ses pieds.»

De plus, le Canadien avait remporté la Coupe Stanley quatre fois de suite avec un Plante sans masque. Pourquoi alors briser une formule gagnante? Pourquoi cette distraction? répétait Toe Blake.

Et puis, dans le monde macho et plutôt conservateur du hockey professionnel, porter un masque n'était pas signe de courage. Si ce n'était pas dit ouvertement, plusieurs le pensaient.

«La LNH était une vieille école, croit Todd Denault. Le hockey n'a jamais été un sport où les changements étaient facilement acceptés. Regardez le temps que cela a pris pour que tous les joueurs portent le casque! Et encore aujourd'hui avec la visière!»

L'ancien gardien du Canadien Ken Dryden partage cette idée. À ses débuts dans le hockey, il ne portait pas de masque. Il a commencé seulement à le faire à l'Université Cornell. «La qualité qui était la plus importante chez un gardien était l'absence de peur. Quant on portait un masque, c'était bien évident qu'on avait peur. Cela constituait un grand obstacle», explique-t-il en entrevue.

Dans sa livraison du 3 novembre 1959, The New York Times rapporte que le geste suscite la controverse. L'auteur de l'article cite notamment Muzz Patrick, directeur général des Rangers qui déclare: «L'usage du masque enlève quelque chose aux fans. Ils veulent voir le joueur, particulièrement le public féminin.» Hum!

Le biographe Todd Denault a eu la surprise de constater que les autres gardiens de la ligue ont dénigré son choix. «Gump Worsley (gardien des Rangers) a qualifié son geste de ridicule. Terry Sawchuk, Glenn Hall, Johnny Bower qui avait essayé, étaient tous contre. On aurait cru que les gardiens seraient solidaires mais ce fut le contraire. Ils avaient joué si longtemps sans masque. Ironiquement, tous ont terminé leur carrière en le portant!»

Le nouvel homme masqué a reçu de meilleurs appuis chez ses coéquipiers, poursuit l'auteur et journaliste. Pour une raison bien simple: ils étaient habitués à le voir jouer avec son masque durant les entraînements. «La majorité de ses coéquipiers se sont dit: tant qu'il gagne avec son masque, il n'y a aucun problème.»

Sur le sujet, Jean Béliveau répond: «Je ne crois pas que cela ait été une situation majeure.» Dollard St-Laurent, qui n'était plus avec le CH à l'automne 1959 mais qui a joué plusieurs saisons avec Plante ,déclare: «On trouvait ça drôle mais moi, je disais à d'autres gars que si c'était bon pour sa protection, c'était correct. Et puis, il continuait à bien jouer et il voyait bien. Donc, ça ne dérangeait pas qu'il en porte un.»

Une faveur à Toe

Le masque que Jacques Plante portait le soir du 1er novembre 1959 n'était pas adéquat. Fixé directement sur le visage, il était très chaud. La sueur perlait rapidement sur le dessus de la tête du gardien et lui coulait dans le visage. Pas très pratique.

En décembre, il avait déjà un nouveau masque. Et il est demeuré le même gardien. En fait, jusqu'au 8 mars 1960, Plante n'a jamais perdu un match. Or, à l'approche des séries, Toe Blake, redevenu nerveux, lui a demandé de jouer sans masque à l'occasion d'une partie contre les Red Wings à l'Olympia de Détroit. Plante a accepté et le Canadien a perdu! C'en était fait. Au match suivant, il a remis son masque et ne l'a jamais enlevé.

Et ce printemps-là, le Canadien, avec son héros masqué, a totalement dominé les séries de la Coupe Stanley, ne subissant aucune défaite en huit matchs. Avec trois blanchissages et une moyenne de 1,35 but accordé par match, Plante a sans conteste été un des grands héros de cette cinquième conquête consécutive.

1 Denault, Todd Jacques Plante: l'homme qui a changé la face du hockey Les Éditions de l'Homme. En librairie le 3 novembre.