Auteur du livre Field of Schemes, réédité en 2008, le journaliste américain Neil de Mause est un expert des mécanismes permettant aux équipes de sport professionnel de s'enrichir grâce à de nouveaux stades ou arénas. Il suit de près le dossier du «nouveau Colisée» de Québec et a accepté de commenter les récents développements.

La Presse: Vous analysez les dynamiques entre équipes et gouvernements depuis presque 15 ans. Avez-vous constaté des changements dans les façons de faire? Le public a-t-il tiré des leçons?

Neil de Mause: C'est incroyable de voir à quel point les choses n'ont pas changé. Ce sont les mêmes stratégies qui sont utilisées et c'est encore le financement public qui prédomine. On a vu pousser des tonnes de nouveaux édifices dans les différents sports. Ce n'est pas parce que ceux de la génération précédente tombaient tous en morceaux; c'est parce que les clubs ont réalisé qu'en faisant construire de nouveaux domiciles avec l'argent des autres, ils pouvaient grandement augmenter leurs profits.

Q: Et dans le cas de Québec, le propriétaire potentiel insiste lui aussi pour que l'amphithéâtre soit construit avec de l'argent public...

R: La raison derrière cela, c'est que s'ils essayaient de financer le projet avec de l'argent privé, ce ne serait pas économiquement viable. Autrement dit, si vous mettez les coûts de construction dans la balance, c'est déficitaire. La seule façon de faire fonctionner le projet est de forcer le contribuable à assumer les coûts et de laisser la LNH et le propriétaire engranger les profits. Et c'est là vraiment l'essence de l'industrie sportive en ce qui a trait aux stades et aux arénas: privatiser les profits et socialiser les coûts.

Q: Quand vous regardez le projet de nouvel aréna à Québec, quelle est la première chose qui vous frappe?

R: C'est le fait qu'il n'y ait pas d'équipe! On ne doit jamais construire un amphithéâtre basé sur de la spéculation. Regardez ce qui s'est passé à Kansas City: ils ont construit un aréna en disant qu'une franchise de la LNH ou de la NBA viendrait, mais l'édifice est vide aujourd'hui. Il a été brandi comme menace par les Penguins de Pittsburgh et les Sonics de Seattle, mais Kansas City n'a jamais eu d'équipe. C'est également dangereux parce que si vous construisez un édifice et que vous devez ensuite en négocier les termes d'occupation avec l'équipe, celle-ci exigera que vous vous soumettiez à toutes ses conditions, sans quoi vous allez vous retrouver avec un building vide.

Q: Bref, même si les circonstances ne sont pas partout les mêmes, les gouvernements se placent en position de faiblesse?

R: Le problème, c'est que Québec veut une équipe et la Ligue nationale a le pouvoir de dire: «Si vous voulez une équipe, vous allez jouer selon nos règles». Mais c'est à se demander si la LNH ne bluffe pas un peu car elle a tellement de concessions en difficulté. Bon nombre d'équipes seraient mieux à Québec que dans leur marché actuel! Elle peut bien soutenir que Québec n'aura pas d'équipe tant que la ville n'aura pas de nouvel édifice, mais il y a sûrement un point où elle ferait des compromis s'il y avait de la pression exercée sur elle. Québec pourrait dire à la Ligue: si vous pensez que nous sommes un bon marché, assoyons-nous et regardons ce qu'on peut faire pour partager les coûts.

Q: Voyez-vous quelque chose qui distingue Québec des autres dossiers que vous avez suivis?

R: Peu de détails ont filtré jusqu'ici, mais si les choses se déroulent comme elles ont été présentées, ce serait franchement beaucoup d'argent investi par les gouvernements. Je ne vois pas d'exemple récent au Canada ou aux États-Unis où autant d'argent fédéral aurait été injecté. Or, à partir du moment où la porte s'ouvre, tout le monde va réclamer sa part du gâteau. Les Oilers d'Edmonton pourront dire: pourquoi Québec a reçu cet argent et pas nous? Les gouvernements au Canada ont été en général plus raisonnables que ceux des États-Unis dans ce type de dossier. Mais j'ai peur que ce projet-là n'entraîne le Canada dans le mécanisme que l'on voit aux États-Unis depuis 20 ans.